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Nouvelle Feuille
26 octobre 2010

Totalement baba!

Le musée du Quai Branly nous a habitué à proposer des expositions aux thématiques qui sortent du commun. Il ne déroge pas à cette règle avec l'exposition "Baba bling", qui s'intéresse à la culture peranakan (celle des Chinois installés dans les détroits: Malaisie, Indonésie). Réalisée avec les musées de Singapour, l'expo se concentre essentiellement sur les peranakan de cette ville-Etat.

Cette exposition a ceci de fascinant qu'elle nous fait pénétrer dans l'histoire du goût d'une communauté très particulière, à la croisée des mondes britannique, chinois et malais. Il serait regrettable de n'en retenir que le goût du clinquant et des couleurs un peu kitsch parfois. Ce monde des Babas constitue un moment d'histoire, du XVIIIe au XXe s et une plongée fascinante dans une culture métissée de diaspora chinoise et de colonisation anglaise. Je ne peux que vous conseiller de passer les portes des maisons colorées des Babas...

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(Pintu pagar (portes battantes), Singapour, début XXe s.)

Pour bien comprendre de qui nous parlons exactement, il faut définir ce qu'est un "baba". Un baba (pour un homme, les femmes sont appelées des Nonyas), c'est un descendant de chinois installé en Asie du Sud-est, souvent métissé de malais. Ces communautés, qui se trouvent pour certaines dans cette région du monde depuis le XIVe s. ont créé une culture particulière, mélangeant les éléments chinois de leur culture originelle avec les éléments locaux, en mélangeant leur langue en un créole sino-malais, en mêlant les saveurs de leurs cuisnes respectives, etc. Mais surtout, cette communauté se distingue par sa réussite sociale et traduit sa richesse dans sa maison, lieu primordial d'exhibition des signes de richesse et d'un goût si particulier qu'il prend la dimension d'un marqueur social.

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(Pièce de réception)

La muséographie est particulièrement intelligente et tente de reconstituer des ambiances à partir d'éléments décoratifs et de mobilier agrémenté d'explications détaillées. La première partie de l'exposition s'organise autour de divers espaces de vie (autel des ancêtres, pièce de réception, salle à manger) , tandis que la deuxième s'attache plutôt aux objets selon différentes thématiques ou "moments" de la vie (habillement, mariage, parures, cuisine).

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(Autel des ancêtres)

Le début de l'exposition est organisé de façon à marquer les esprits: après avoir vu la porte de la maison, on pénètre dans l'intérieur d'une habitation peranakan, savant mélange de traditions asiatiques et de goût européen revu et corrigé. La décoration murale est extrèmenent limitée, ce qui contraste avec les couleurs vives des autres éléments décoratifs. Le seul ornement des murs, ce sont les portraits d'ancêtres, leur culte ayant une importance majeure dans la tradition chinoise. Cette thématique, traitée sur plusieurs générations d'une même famille un peu plus loin est plutôt intéressante, car elle permet de juger des permances et des évolutions de cet exercice: le portrait d'un ancêtre récemment disparu. Ces portraits vont souvent par deux, le mari et la femme. Les quatre générations présentées dans l'exposition sont révélatrices du passage lent et progressif de tous les codes du portrait chinois: personne assise, en robe chinoise, souvent accoudé sur un petit guéridon garni d'objets symboliques: livres, porcelaine, etc, vers une "britannisation" de la culture peranakan: costume occidental, livres en anglais...

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(Portrait de M. Tan Beng Wan, décédé en 1891)            

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(Portrait de M. Song Ong Siang, décédé en 1941)

Cette partie fait l'objet d'un petit jeu à destination des plus jeunes (du moins à la base cela devait-il leur être destiné...), vraiment bien fait et pas neuneu, ce qui change de ce que l'on trouve trop souvent dans les musées en matière de médiation vers la jeunesse.

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(Jeu éducatif. Vas-y petite fille, trouve la bonne réponse!)

L'on passe ensuite devant un photomontage à l'échelle pour nous permettre de nous faire une idée de l'aspect extérieur des maisons peranakan. Il paraît qu'il en subsiste quelques unes à Singapour, beaucoup plus à Malacca.

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(Façades de maisons peranakan, Photographies de Ken Cheong)

On aborde ensuite la partie de la religion de nos Babas... Et là, ça se complique. Les peranakans pratiquent, un peu comme les Chinois, un singulier mélange de religion traditionnelle, de taoïsme, de bouddhisme, de confucianisme, le tout avec une importance très forte du culte des ancêtres. Avec la colonisation britannique, un certain nombre d'entre eux s'est converti au christianisme. Ce qui a donné des résultats assez curieux, comme cet autel catholique, une sorte de buffet en teck doré à l'esthétique très sinisée (dragon, phénix, lotus, divinités taoïstes), auquel on a ajouté une Sainte Famille et sur le haut duquel on a fixé une série d'ampoules électriques!

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(Autel catholique, Singapour, début XXe s.)

La partie cuisine sert de transition entre la thématique des "lieux" et la thématique des "fonctions". On admire ainsi dans la première partie une salle à manger particulière, de dimensions imposantes, garnie d'une vaisselle aux coloris discutables. Cette tradition du tok panjang, une longue table accueillant une multitude de convives pour les grandes occasions, étant cependant réservée aux plus aisés des peranakans. Elle a aujourd'hui pratiquement disparu et la vaisselle chinoise utilisée autrefois n'a plus qu'une fonction décorative et de collection tant elle est devenue chère et précieuse.

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(Service de table tok panjang, Chine, fin XIXe - début XXe s.)

Histoire de se donner encore plus faim, on passe ensuite dans le domaine de la cuisine proprement dit et pour la première fois, dans l'univers des Nyonyas, les femmes peranakans. La vitrine qui présente les ustensiles de cuisine est un peu mal foutue selon moi: on a un peu une impression d'objets posés là un peu au hasard et l'espèce de filtre noir qui couvre la vitre n'aide pas vraiment la visibilité. Dommage.

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(Divers ustensiles de cuisine)

Après un ensemble de kamcheng (sortes de jarres arrondies et fermées, très ornées, qui servent à conserver de la nourriture), nous arrivons à une section consacrée aux Nonyas et plus particulièrement à leur habillement. En effet, là où, sous l'influence britannique, les Babas abandonnent les robes chinoises pour le costume occidental, leurs femmes créent leur propre style en mélangeant les influences chinoises, malaises et occidentales. Le résultat est plutôt gai et coloré, et en général plutôt élégant, même si certains motifs laissent rêveur (la crevette...)

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(Kebaya à motifs d'orchidées et sarong à motifs de bouquets, années 1950-1960)

A noter que, comme souvent dans ce musée, la scénographie de l'expo est plutôt riche: des cloisons évoquent les différentes thématiques présentées et les intérieurs babas, tandis que l'éclairage est assuré sous forme de grands lampions.

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(Ce que l'on voit en levant les yeux)

La dernière partie de l'exposition est, sans que l'on comprenne bien pourquoi, un peu surélevée par rapport au reste de la salle. Celle-ci s'organise autour du thème du mariage, avec des digressions sur la parure féminine et les ouvrages en perles et en broderie.

Commençons par les ouvrages de perles et les broderies, souvent réalisés pour un contexte nuptial. Il semble que la technique employée soit chinoise et que la plupart des ouvrages en question viennent de Chine ou d'Indonésie. On trouve de tout, depuis de grands ouvrages (nappes, panneaux brodés) jusqu'à de petits objets (bourses nuptiales, étui à cigarettes, etc). Les motifs employés sont souvent très traditionnels, mais évoluent peu à peu vers des motifs occidentaux.

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(Bourse nuptiale à motifs de fleurs et de canards, Penang, début XXe s., perles de verre)

Ce qui pouvait encore passer pour suranné mais charmant devient alors un monument de kitsch. Le sommet est atteint avec mon coup de coeur personnel, cette pièce tout simplement sublime:

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(Paire de pantoufles à motifs de chiens, Singapour, 1ère moitié du XXe s., perles de verre)

Nous passons à la cérémonie du mariage proprement dite ensuite, avec quelques beaux ensembles d'habits de mariage, féminins comme masculins, complétés de cadeaux de mariages très travaillés. On y voit par exemple une nappe composée de plus d'un million de perles de verre dessinant un ensemble très chargé de fleurs et d'oiseaux.

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(Grande nappe, Penang, début XXe s., perles de verre)

Une dernière pièce est reconstituée pour le plus grand plaisir des yeux: la chambre nuptiale. Extrèmement chargée, comme à peu tout ce qui relève de l'esthétique peranakan, celle-ci occupe une place essentielle dans la vie d'un jeune peranakan. Traditionnellement, c'est là que les jeunes mariés se voyaient pour la première fois et prenaient leur premier repas ensemble. La richesse de la décoration de la chambre dépendait du trousseau plus ou moins abondant de la mariée. La chambre reconstituée pour les besoins de l'exposition est celle d'un jeune couple particulièrement riche. Les mariages duraient douze jours, scandés de multiples rituels dont la plupart se déroulaient dans la maison de la mariée. Ces mariages étaient l'occasion de faire étalage de sa richesse et par là, de son rang dans la société. Les célébrations sont aujourd'hui beaucoup plus modestes. La chambre est assez merveilleuse, exubérante et intime à la fois, malgré la profusion de couleurs vives, elle semble nous inviter à en faire notre propre nid chaleureux.

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(Lit nuptial, Penang, fin XIXe s. - début XXe s.)

Enfin, l'exposition s'achève sur un vaste étalage de bijoux en or et diamants, témoins des goûts dispendieux et très clinquants des Nonyas. Un peu plus loin, un espace dédié aux enfants est plutôt sympathique, offrant quelques activités éducatives pour vérifier s'ils ont bien compris l'expo, mais aussi la possibilité de se déguiser avec des costumes imités de ceux présentés.

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(Ceinture et boucle à motifs de paons, Singapour, début XXe s.)

En somme, je vous invite tous à aller découvrir cette exposition, l'une des meilleures que j'ai vu à Paris cet automne, et à vous plonger dans le monde coloré des Babas et de Nonyas.

(Sauf mention contraire, les objets proviennent de l'Asian Civilisations Museum et du Peranakan Museum de Singapour)

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