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Nouvelle Feuille
10 novembre 2010

Le Kazakhstan au musée Guimet: une expo qui sent le cheval

Il se passe quelque chose d'assez exceptionnel en ce moment au musée Guimet: deux expositions temporaires y sont présentées conjointement (je ne parle pas des expositions d'artistes contemporains, leur logique est un peu différente).

Le musée ne disposant que d'une grande salle d'exposition, cette seconde est "délocalisée" au Panthéon bouddhique, une annexe du musée sise quelques mètres plus loin. Elle est consacrée au Kazakhastan, et apparemment, elle a été organisée un peu rapidement, pour des raisons plus ou moins politiques entre la France et ce pays (si j'ai bien compris, le président kazakh souhaitait que la collaboration entre les deux pays ne soit pas qu'économique mais également culturelle). Les musées kazakhs ont pour l'occasion prêté de très belles pièces, mais... Il y a beaucoup de "mais", on va le voir.

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(Deux chèvres des montagnes ailées, élément de décor d'un chaudron, Région d'Almaty, Ve-IIIe s. avant J-C, Musée national d'Almaty)

Il faut d'abord accéder au Panthéon bouddhique, dont l'entrée se situe sur l'avenue d'Iéna en la remontant depuis le musée Guimet. L'expo se tient dans trois petites salles. La première impression en ce qui me concerne fut - et c'est assez rare dans un musée - olfactive. Il faut en effet le reconnaître, cette exposition sent un peu le cheval. Pas partout, mais devant certaine vitrine, une légère odeur d'écurie est évidente. Rien d'insupportable, que les gens "néreux" (délicats) se rassurent, c'est au contraire plutôt amusant et j'y vois une preuve frappante de l'authenticité des objets et de leur utilisation répétée.

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(Félin, élément de décor d'un chaudron, Almaty, VIIe-IVe s. avant J-C, Musée national d'Almaty)

Le musée Guimet, chose assez rare, propose une double approche de son sujet, à la fois ethnographique et archéologique. Cependant, la scénographie est assez incompréhensible et l'on passe, après une partie ethnographique, vers des objets issus de fouilles archéologiques avant de ressortir vers l'escalier et se trouver dans une troisième pièce consacrée au travail pionnier réalisé dans la région par le français Joseph Castagné au début XXe s. Le tout se conclut avec quelques photos de la vie traditionnelle dans la steppe kazakhe... Tout cela donne l'impression d'une exposition de commande, un peu bâclée et manquant d'ambition. Et l'on se prend à rêver d'une grande exposition transversale sur l'art des steppes d'Asie centrale, qui ferait enfin un bilan scientifique solide de nos connaissances sur le passé de cette région.

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(Autel à encens, Région d d'Almaty, Ve-IIIe s. avant J-C, Musée national d'Almaty)

La première salle donc, présente quelques aspects culturels et ethnographiques du Kazakhstan (mais qui sont pour la plupart - comme c'est le cas dans la section archéologique - généralisables à toute l'Asie centrale). Le nomadisme est évoqué comme un trait de civilisation majeur, mais pas si ancien que l'on pourrait le croire. On nous présente donc, avec des cartels parfois défaillants (numéros absents, cartels mal placés, etc), des selles et des objets de la vie nomade. Une belle tentative de reconstitution d'un intérieur de yourte mérite d'être salué. L'évocation du chamanisme est également intéressante, et passe par la présentation de kobyz, l'instrument de musique traditionnel. Mais hélas, ce qui démarre de façon plutôt intéressante s'achève bien vite par manque d'ambition. Le côté ethnographique est pourtant très bien traité, on sent que le Guimet a fait de son mieux pour mettre en valeur les objets prêtés; mais à tout prendre, on aurait préféré que cet aspect fasse l'objet d'une exposition à part entière, comme sait les faire le musée du Quai Branly.

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(Kobyz, fin XIXe s., Musée national d'Almaty)

La partie archéologique est également intéressante, pleine de bonnes intentions, mais s'essouffle très vite. En effet, sur trois petits murs et en quelques vitrines sont évoqués à peu près tout l'art des steppes, depuis le XIIe s. avant J-C jusqu'au au Ier après J-C environ. Bien évidemment, ces présentations rapides de quelques "trésors", de l'art scythe, des pétroglyphes et des figures animalières sont le reflet des lacunes que nous avons dans la connaissance historique de ces territoires, mais tout de même pas à ce point!

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(Applique en forme de mouflon argali, Trésor de Chilikty, VIIe-VIe s. avant J-C, Musée national d'Almaty)

La dernière partie nous signale donc l'existence de l'explorateur Joseph Castagné, épigraphiste et conservateur du musée d'Orenbourg, dans le Kazakhstan russe et nous présente de beaux exemples de dessins d'observations qu'il a réalisé de monuments disséminés dans la steppe: tombes, monuments islamiques ou bouddhiques, etc..., poursuivant ainsi le travail de ses prédécesseurs russes et allemands du XIXe s. Cette partie est intéressante et mise en relation avec des éléments épigraphiques de la région. Hélas, encore une fois, cette partie manque d'ambition et nous laisse un peu frustré.

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(Applique de vêtement en forme de daim, Trésor de Zhalauly, région d'Almaty, VIIIe-VIIe s. avant J-C, Musée national d'Almaty)

En somme, l'exposition mérite le détour par la qualité des objets, en particulier l'orfévrerie, qu'elle présente (et également parce que ce n'est sans doute pas demain que la plupart d'entre nous irons visiter le Kazakhstan et ses musées...) Et par la qualité des explications qu'elle fourni sur chaque partie. Hélas, on ne peut que regretter l'étroitesse des murs que lui a trouvé dans l'urgence le musée Guimet et on espère qu'elle sera une sorte de galop d'essai pour une expo sur l'art des steppes (au-delà des seuls Scythes), car ses trois parties sauraient tout à fait y trouver leur place: la riche antiquité de ces régions puis leur islamisation, la façon dont l'Europe les a découvertes et redécouvertes, puis une partie ethnographique. Mais il faudrait, bien évidemment, que cela ne tourne pas autour d'un pays à l'existence et l'identité extrèmement récente, mais autour de l'ensemble de la région, depuis les rives de la mer Noire jusqu'au Turkestan chinois, en passant par les contreforts iraniens et la Sibérie. Mais pour préparer un tel travail, il faut de grands espaces d'exposition et quelques années de travail... Ceci dit, avec le peu de temps et d'espace dont a disposé la commissaire d'exposition, et sa dépendance quasi-totale envers les musées kazakhs pour ce qui concerne les objets exposés, on peut considérer que le travail qu'elle a accompli est remarquable. Et c'est déjà mieux que rien.

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