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Nouvelle Feuille
19 février 2011

Sciences à Versailles

Encore une exposition, qui cette fois n'est pas finie. Enfin, disons qu'elle aurait dû l'être le 14 février mais qu'elle a finalement été prolongée jusqu'au 3 avril. Et peut-être aurait-elle dû s'arrêter plus tôt, ainsi je n'aurais pu la voir et j'aurais eu des regrets. Au lieu de cela, j'ai pu la voir. Et à la place de regrets, c'est de la déception que j'ai glané...

Autant le dire tout de suite : le sujet de l'exposition est potentiellement passionnant et les objets présentés sont souvent exceptionnels. Las, comme Versailles nous l'a montré ces derniers temps avec leurs grandes expositions d'art contemporain très médiatisées (et ne mettant à l'honneur que des artistes déjà archi-connu et archi-cotés), la forme prime beaucoup sur le fond. Si cela peut éventuellement se comprendre (et encore...) pour des statues "kawaï" géantes, ça l'est beaucoup moins pour une exposition avec un fond historique et scientifique aussi riche. Cependant, tout n'est pas négatif, et je signalerai évidemment aussi ce qui m'a plu.

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(Rhinocéros de Louis XV, offert au Roi par le gouverneur de Chandernagor, arrivé à Versailles en 1770, tué par un révolutionnaire en 1793. Dissection et taxidermie réalisée par Jean-Claude Mertrud et Félix Vicq d'Azyr. Museum d'Histoire Naturelle, Paris.)

Cela commence avec la première salle. On se trouve tout d'abord face à un écran panoramique présentant les différents lieux de Versailles où la science s'enseignait, s'étudiait ou se démontrait. Cela est plutôt bien fait et augure d'une exposition intéressante. Hélas, la salle qui suit, consacrée aux liens entre science et pouvoir à Versailles est consternante. Peut-être la pire de toutes. On se trouve dans une salle petite, dotée d'une large table vitrée au centre et d'une multitude de tableaux accrochés d'une façon que l'on aurait pu espérer révolue. On n'y comprends pas grand chose, la table au centre empêche de prendre du recul pour voir les tableaux placés en hauteur, on risque à tout moment de heurter un autre visiteur... Bref, le scénographe qui s'est occupé de cette salle mérite au minimum le pilori. Il faut rappeller que Versailles reçoit des milliers de visiteurs et qu'une exposition de cette importance ne sera pas vue par trois ou quatre pékins de la journée. Or dès que la foule est un peu dense, tout devient insupportable à regarder pour des simples questions de circulation. Tout semble mal pensé, jusqu'aux grands cartels explicatifs, qui descendent si bas et sont placés de telle façon que le moindre enfant qui veut passer est obligé de passer devant vos yeux et vous masquer la lecture. Mais relever le texte de cinquante centimètres devait être trop compliqué probablement...

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(Salle "Science et pouvoir à Versailles")

Les salles suivantes, consacrées à la zoologie, l'anatomie et la botanique sont un peu moins mal fichues que la précédente. Néanmoins elles tombent dans le travers principal de Versailles ces dernières années : tout est mis dans le décorum mais trop peu dans la pédagogie. On voit donc des salles magnifiques (dans la salle sur la botanique, les vitrines sont des sortes de serres, etc), mais dans lesquelles, hélas, on nous explique assez peu ce que l'on voit. Et pire encore, les oeuvres sont parfois placées de façon très décoratives mais si loin du regard qu'on ne peut ni les détailler ni en lire correctement le cartel. Très regrettable.

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(Mannequin d'un foetus de sept mois, 1759, réalisé par Angélique-Marguerite du Coudray, sage-femme, pour accompagner son "abrégé de l'art des accouchements", Musée Flaubert et d'Histoire de la médecine, Rouen)

Il convient cependant de préciser que, malgré les aspects très négatifs de la scénographie et la pauvreté didactique, les objets présentés sont réellement exceptionnels et constituent le principal intérêt de la visite: les voir ainsi rassemblés, à Versailles qui plus est. Comment ne pas s'étonner que l'on ait pieusement conservé l'écarteur qui a permis au chirurgien Félix de mener à bien la célèbre et délicate opération de la fistule anale de Louis XIV... Au-delà du côté anecdotique et de l'écarteur du royal rectum, il faut considérer l'importance de cette opération non seulement comme une brillante réussite chirurgicale mais aussi comme un encouragement très fort du Roi envers les chirurgiens et les techniques nouvelles. Le Roi-Soleil soutient les recherches et innovations médicales jusqu'à prêter son corps sacré pour leurs réalisations.

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(Ecarteur utilisé lors de la Grande Opération de Louis XIV, conçu par Charles-Louis Félix de Tassy, 1686, Musée d'Histoire de la médecine, Paris)

A ce moment-là, on achève la partie la plus mal foutue de l'exposition. La suite présente encore de nombreuses pièces exceptionnelles mais dans une muséographie qui, si elle n'évite pas les effets un peu prétentieux et clinquants, a au moins le mérite d'être plus aérée. La grande salle qui évoque l'éducation des enfants royaux est passionnantes et, malgré quelques explications un peu absconses, rempli à peu près son rôle en permettant une bonne vision de l'éducation scientifique donnée aux princes.

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(Louis XV enfant recevant une leçon en présence du cardinal Fleury et du Régent, XVIIIe s., Ecole française, Musée Carnavalet)

Parmi les éléments les plus étonnants de cette éducation des princes, il y a les instruments de l'abbé Nollet. Il s'agit d'une quantité de machines servant à expérimenter et démontrer diverses réactions chimiques ou phénomènes physiques. Très ingénieuses, elles ont été conçues spécialement par l'abbé Nollet pour l'éducation scientifique des enfants royaux. Près de chaque instrument, un petit écran propose une animation expliquant le phénomène qu'il servait à démontrer. Hélas, les écrans ne fonctionnent pas tous (ah, les aléas de l'informatique...) et les autres ne sont pas tous d'une grande clarté sur l'utilisation de la machine. Ces instruments à but purement éducatif constituent une collection superbe et sans doute unique au monde.

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(Abbé Nollet, Machine pneumatique, milieu XVIIIe s., Conservatoire national des Arts et Métiers)

Outre les instruments de l'abbé Nollet, sont présentés un certain nombre d'autres objets, livres et tableaux servant à l'instruction des princes. Certains détails peuvent faire sourire (comme ces tableaux synoptiques sur l'histoire universelle, qui débute par la Création du monde par Dieu, la vie d'Adam, Eve, leurs trois enfants et leur descendance), d'autres sont extraordinaires par leur qualité et leur précision, comme ce magnifique globe terrestre de la fin du XVIIIe s., témoignage que l'attention que portait Louis XVI aux explorations lointaines se retrouvait également dans l'éducation qu'il souhaitait donner au Dauphin. Dans la même veine, une vitrine évoque les explorations au Canada et montre des maquettes de kayak, une tête d'amérindien en cire, des chaussures découpées dans des pattes d'ours, etc. Le but était de permettre au jeune prince d'avoir une connaissance des pays et des peuples qu'il était amené à gouverner un jour.

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(Edme Mentelle et Jean Tobie Mercklein, Globe terrestre et céleste, 1786, commandé par Louis XVI pour l'instruction du Dauphin, Château de Versailles, dépôt de la BnF)

Les deux salles qui suivent traitent des goûts scientifiques respectifs de Louis XV et de Louis XVI. La salle sur Louis XV m'a semblée être surtout une collection de beaux objets réunis ou offerts par un roi qui y voyait plus un instrument de grandeur parmi d'autres (comme son bisaïeul Louis XIV) qu'un réel amateur de science. Cependant, la plupart des objets sont des pièces exceptionnelles de précision et représente la pointe de la connaissance de l'époque. Nous sommes là encore en présence d'un objet scientifique qui ne devient finalement qu'un objet "de curiosité" pour le souverain. La seule figure qui émerge réellement des portraits et de l'ensemble de cette salle est le duc de Chaulnes, bel esprit scientifique de l'époque.

A tout seigneur tout honneur, je ne pouvais pas choisir pour illustrer mon propos autre chose que le microscope offert par Louis XV à son beau-père Stanislas Leszczynski, roi de Pologne déchu, dernier duc de Lorraine et amateur de sciences et de lettres.

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(Alexis Magny, Microscope offert par Louis XV au roi Stanislas, 1751, Musée Lorrain, Nancy)

La salle consacrée à Louis XVI est par contre un excellent témoignage du réel goût pour les avancées scientifiques de ce roi. On connait bien sa passion pour la serrurerie ou l'horlogerie, ainsi que son encouragement et sa passion pour les voyages d'exploration sur les mers lointaines, en particulier dans le Pacifique. En lui, et l'exposition l'illustre très bien, il n'y a pas que la volonté de grandeur ou de conquête de nouveaux territoires pour la couronne, mais un vrai bonheur de voir progresser la connaissance du monde. En cela, ce roi finalement méconnu et qui retardait sans doute d'un bon siècle en ce qui concerne la compréhension des attentes de son peuple, était déjà un souverain du siècle suivant en ce qui concerne le goût de l'exploration. Autant je savais qu'il avait aidé, financé et encouragé La Pérouse dans ses voyages, autant j'ignorais qu'il avait ordonné à ses bâtiments se trouvant à portée d'aider le capitaine Cook s'il en avait besoin, alors même que celui-ci naviguait au nom de l'Angleterre, alors ennemi principal de la France.

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(Nicolas André Monsiau, Louis XVI donnant ses instructions à La Pérouse pour son voyage d'exploration autour du monde, 1817, Château de Versailles)

La dernière partie de l'exposition consiste en une salle très grande consacrée aux démonstrations scientifiques marquantes qui ont eu lieu à Versailles. Encore une fois, le décorum prend trop de place avec des parois garnies de miroirs et une présentation de chaque expérience par petite unité presque fermée. Cela a au moins comme mérite de rendre la circulation dans la salle plus évidente.

Parmi les grandes innovations présentées à Versailles et bien développées ici, il y a le miroir ardent, qui reprend le principe du miroir d'Archimède pour fondre des matériaux à très haute température ou se livrer à des démonstrations édifiantes.

L'abbé Nollet, déjà évoqué plus haut, est également l'inventeur de machines propres à créer de l'électricité statique et à amuser la galerie des Glaces en faisant ressentir une légère décharge simultanée à des centaines de personnes se tenant par la main. L'électricité semble très à la mode au milieu du XVIIIe s., sans qu'on en explique réellement l'origine ni le fonctionnement.

Ces deux expériences sont très étonnantes et propres à amuser la cour, mais ce ne sont finalement que des coups d'épée dans l'eau qui ne seront pas suivis d'applications concrètes. Il faudra attendre plus d'un siècle pour que l'on puisse produire et utiliser l'électricité. Moins divertissantes mais plus importantes à mon sens sont les cartes de Cassini. Au milieu du XVIIIe s. toujours (et l'on mesure, tout au long de l'exposition, l'importance majeure de ce siècle pour la progression de la connaissance scientifique), Cassini invente la méthode dite "de triangulation" qui lui permet de réaliser des levées géographiques très précises et ainsi de dresser des cartes les plus exactes possibles. Les levées prendront des décennies, mais ce système sera repris dans la cartographie de tous les pays européens par la suite.

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(Carte de Cassini, Île-de-France, 1783, BnF)

S'il est une expérience phare réalisée à Versailles, c'est bien celle des frères Mongolfier avec leur aérostat. Pour la première fois de l'histoire, le 19 septembre 1783 à Versailles, devant le Roi, des êtres vivants s'élèvent dans les airs au moyen d'un ballon gonflé à l'air chaud. Ces êtres vivants (en l'occurence un mouton, un canard et un coq) s'en sortiront vivants; deux mois plus tard est réalisé le premier vol humain. Hélas, je trouve que cette démonstration majeure est assez mal illustrée dans l'exposition.

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(Anonyme, Expérience aérostatique faite à Versailles le 19 septembre 1783 par Etienne de Mongolfier, XVIIIe s., Bibliothèque municipale de Versailles)

L'exposition s'achève là, mais je ne peux pas résister au plaisir de dire quelques mots sur "l'androïde de la Reine", ce superbe automate comme on les adorait à l'époque moderne; les jardins pourvus d'automates étaient même célèbres et célébrés. Celui-ci est d'une grande finesse de réalisation et de précision des mouvements : même les yeux bougent! L'ensemble est ravissant et le château de Versailles propose une vidéo où l'on voit l'automate en action, que je conseille absolument d'aller admirer: http://www.youtube.com/watch?v=pSxWmJLAaEg&feature=player_embedded

L'idéal de cette recherche sur les automates et leurs mécanismes, est de parvenir à réaliser des "androïdes capables de libérer l'humain des tâches fatigantes et répétitives" (la formule n'est pas de moi, mais je la cite hélas de tête). En somme, les techniciens qui amusaient les cours du XVIIIe s. cherchaient à créer des robots...

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(Peter Kintzing et David Roentgen, La joueuse de tympanon, 1784, Musée des Arts et Métiers, Paris)

Au final, c'est donc une exposition qui pourrait être géniale et qui est au final, à la fois belle et irritante, pour toutes les raisons développées plus haut. Mon conseil est donc: allez-y si vous voulez, mais ne vous forcez pas non plus, je vous ai raconté l'essentiel!

Je signale tout de même que parmi les quelques excellents aspects de l'exposition, il y a tout ce qui va autour, à commencer par le site internet dédié, très bien fait et qui présente la plupart des vidéos explicatives et de démonstration qui se trouvent dans l'expo. En fait, le site est bien plus compréhensible et didactique que l'expo. Je ne peux que vous le conseiller.

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(Apothicairerie royale de Saint-Germain, XVII-XVIIIe s., Château de Versailles)

NB: Les photos étant interdites dans l'exposition, toutes les photo présentées ici proviennent du site internet du château de Versailles.

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Commentaires
P
Merci pour ce compte rendu, c'est vrai que Versailles a souvent tendance à se reposer sur son prestige en oubliant le confort des visiteurs!
N
C'est dommage que les photos soient de plus en plus interdites...
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