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Nouvelle Feuille
14 mai 2011

L'Orient des femmes

Ah! Je vous vois déjà venir vous là, dans le fond. Je vous entends déjà vociférer : "Ouais, Alfred il est bien gentil mais ses articles ça nous cause tout le temps que d'expos déjà finites". Ce à quoi je vous répondrai, redoutable cuistre, ces trois choses : tout d'abord que non, je ne suis pas gentil; ensuite qu'on ne dit pas "finites" mais "finies" et enfin que vous allez bien voir que cet article ne parle pas d'une expo finie, vu que nous sommes le quatorze et que l'exposition "L'Orient des femmes" s'achève le 15! Vous avez donc jusqu'à 21h00 aujourd'hui et 19h00 demain pour y aller. Ah ah, je vous ai bien eu hein?

Non?

Bon, tant pis, passons aux choses sérieuses.

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(Manteau en patchwork dara'a, vers 1900, Palestine)

 

On a pas mal parlé de cette expo sur les vêtements des femmes d'Orient (en fait, il s'agit essentiellement du Levant, de la Syrie au nord au Sinaï au sud). Et quand on arrive devant le premier panneau, on comprend mieux pourquoi les médias ont tant parlé de cette exposition "placée sous le patronage de Mme Carla Bruni-Sarkozy". Ah ben tiens... Et ça sert à quoi une "haute patronne"? Bref, passons...

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(Musée du Quai Branly; l'expo est signalée de façon amusante)

 

Soit dit en passant, dans le genre inutile, il n'y a pas que la greluche impériale. L'expo s'intitule exactement "L'Orient des femmes vu par Christian Lacroix". Et on se demande bien à quoi à servi Christian Lacroix... En fait, le couturier a vaguement sélectionné les habits présentés par le conservateur, il a apposé trois pensées d'une totale vacuité sur les murs de l'expo et il a exercé son métier en décorant la mezzanine du musée d'un entourage orné d'un motif arabisant et en appliquant de la moute sur le sol. Tout cela est bien gentil, mais on aurait pu se passer de sa formidable contribution sans que la face de l'expo en soit changée. Enfin, de tout cela, la moquette n'est pas le plus désagréable et si des milliers de personnes ne foulaient pas chaque jour ce lieu de leurs godillots cradingues, on serait presque tenté d'y marcher pieds nus.

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(L'apport essentiel de Christian Lacroix à la compréhension des usages vestimentaires au Proche-Orient)

 

Le parti pris général de l'exposition est de présenter les habits traditionnels des femmes du Proche Orient tels qu'ils existaient au XIXe s. quand voyageurs, peintres et écrivains les découvraient et jusque dans les années 1950-1960 quand l'occidentalisation d'une part et radicalisation islamiste de l'autre ont contribué à modifier les formes vestimentaires. Il est d'ailleurs regrettable que l'aspect "orientalisme" de l'expo, qui est effleuré régulièrement par des citations de Nerval, Lamartine ou d'autres ne soit pas plus creusé.

 Grosso-modo, le parcours est géographique selon une direction nord-sud, passant successivement en Syrie, au Liban, en Jordanie et en Palestine pour finir chez les bédouins du Sinaï et des confins du désert arabique. 

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(Carte générale)

 

La scénographie est plutôt sympathique, même si l'on peut trouver le début un peu brouillon : les robes et manteaux sont disposés de façon sympathique, très esthétisante, mais hélas de telle façon que les plus éloignées ne sont pas vraiment visibles dans de bonnes conditions. Heureusement, ce défaut disparaît par la suite. Les considérations purement esthétisantes elles, ne cesseront hélas pas.

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(Manteaux de femmes, Syrie, vers 1930)

 

L'un des intérêts de l'exposition est aussi de mettre en situation sur des mannequins certains ensemble, ce qui permet moins de détailler chaque vêtement, mais donne une agréable idée de l'ensemble une fois porté.  

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(Ensemble féminin, Quteifeh, vers 1930 : Voile de tête, manteau mdarrabiyé, robe thob, pantalon seroual)

 

 Si les couleurs sont vives et diversifiées, c'est également le cas des motifs, très variés. Presque jamais figuratifs, en accord avec la tradition islamique, ils ne sont néanmoins pas pour autant religieux. Les motifs sont essentiellement géométriques et floraux, laissés à la fantaisie des brodeuses et tisseuses. 

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(Robe brodée quadamiyé (soie), vers 1930, Syrie)

 

Parmi les vêtements des femmes de Jordanie, un ensemble de fête attire particulièrement le regard. Mélange de coton et de soie, la robe brille sous les spots. Sa tête est couverte d'un bandeau cousu de pièces d'argent, un usage qui semble courant dans ces régions et que l'on reverra beaucoup par la suite. Une des manches de la robe est ramenée sur la tête par-dessus l'épaule pour en faire une sorte de voile assez étonnant. Tout cet attirail ne devait pas manquer d'imposer une certaine lenteur aux mouvements. 

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(Femme jordanienne, Ma'an, vers 1930 : Voile de tête 'urjé, Robe de fête thob qameh, Manteau de fête qombaz)

 

La Jordanie est aussi le pays de la khalaqa la robe la plus impressionnante de l'expo, ce gigantesque morceau de tissu qui peut atteindre jusqu'à 3,5 m. de haut et dont on a du mal à comprendre ce qui a pu mener à une telle démesure. On voit mal l'aspect pratique de la chose surtout qu'elle se portait essentiellement chez les paysannes. Une vidéo ancienne montre une femme en train de s'habiller avec ce curieux vêtement.

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(Robe khalaqa, Jordanie)

 

Pour chaque nouvelle zone géographique abordée (Syrie, Jordanie, Palestine), une petite vitrine extrèmement mal fichue et peu lisible montre d'autres objets accompagnant le vêtements : bijoux, pièces de monnaie, etc... Les pièces de monnaies d'or et/ou d'argent, portées sur la tête ou en sautoir selon les traditions, représentaient semble-t-il la dot de la femme. Curiosité que j'ai remarqué et à laquelle n'est consacrée aucun développement dans l'exposition : parmi la foule de petites pièces arabes se trouvent souvent (sauf chez les bédouins) de grosses pièces d'argent européennes, pièces royales espagnoles (Philippe V) et autrichiennes (Marie-Thérèse). Effet du grand commerce? de la proximité de ces deux puissances avec le monde ottoman qui régissait alors le monde arabe? Pillage? La question mérite en tout cas d'être posée.

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(Pièce espagnole, élément de parure palestienne)

 

Dans le petit espace sur le côté de la mezzanine, l'exposition se décline en trois petites parties intéressantes. D'un côté trois robes tissées récemment en Palestine sont offertes aux doigts fureteurs du public, tandis qu'une vitrine présente toute une série de poupées, pour la plupart syriennes et qui encore une fois, appellent quelques réflexions qui n'apparaissent pas dans l'expo, dont elles semblent ne constituer qu'un accident : "Tiens, on a aussi des poupées, on n'a qu'à les mettre là-bas".

Alors qu'au contraire, ces poupées sont pleines d'intérêt au niveau de leurs habillement. Certaines reprennent les motifs et les coupes de vêtements populaires traditionnels présentés dans le reste de l'exposition mais deux ou trois autres sont habillées à la turque, démontrant la force de l'empire ottoman dans cette région, bien au-delà de la simple tutelle politique. Cette force sociale et culturelle s'impose à tel point que quand une petite fille veut habiller richement sa poupée, elle ne lui fait pas des vêtements semblables à ceux des femmes de sa famille, mais bel et bien à ceux des riches femmes turques et des sultanes. 

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(Poupée syrienne)

 

Enfin, le long du mur, de jolies gouaches réalisées par Elisabeth d'Aumale, femme du consul général de France en Palestine et Transjordanie de 1928 à 1938. Cette femme, qui devait s'enquiquiner un peu, s'est prise d'intérêt pour les vêtements des femmes du pays où elle se trouvait et en a tiré une série de jolies petites peintures où l'on retrouve exactement les pièces présentées dans l'exposition.

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(Elisabeth d'Aumale, Veste palestinienne, 1928-1938)

 

La dernière section géographique concerne les femmes bédouines, notamment au Sinaï. Si elle est moins riche que les autres, elle n'est en pas moins étonnante, notamment par la présence de burqa, terme désignant non pas le vêtement polémique de nos jours mais un curieux voile de visage ne laissant certes apparaît que les yeux et les narines (dans le but de se protéger des vents de sable). Ce voile, loin d'être austère, est en fait surchargé de perles, de pièces de monnaie, etc...

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(Parure de visage burqa', Sinaï, début XXe s.)

 

Une fois porté, l'ensemble donne un aspect vraiment étrange à ces femmes à la fois totalement cachées et surchargées de couleurs et d'objets brillants.

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(Bédouine du Sinaï, vers 1935 : Parure de visage burqa', Coiffe sakrouj, Mante qun'a, Robe de mariage thob kebir)

 

La fin de l'exposition présente des habits contemporains qui, s'ils adoptent globalement les mêmes formes que les vêtements anciens, présentent des éléments curieux et plutôt politiques, comme ces drapeaux palestiniens présents à plusieurs reprises sur cette robe. 

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(Robe thob contemporaine, Palestine)

 

Et enfin l'expo s'achève (ou démarre, selon votre choix) par la présentation d'une pièce venue tout droit du musée de Beyrouth : la robe d'une fillette qui vivait au XIIIe s. à Aassi Al-Hadath. Les corps momifiés naturellement de cinq femmes et trois fillettes ont été retrouvés en 1991 dans une grotte de cette ville, ce qui a permis d'étudier des vêtements médiévaux en contexte. Il s'agit clairement de la pièce la plus exceptionnelle de l'exposition archéologiquement parlant. La coupe comme les motifs sont proches de ceux que l'on retrouve dans la plupart des robes beaucoup plus récentes qui sont présentées.

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(Robe d'enfant, fin XIIIe s., Liban, Musée national de Beyrouth)

 

Au final, quel bilan : une belle exposition, avec des pièces superbes et un propos qui aurait pu l'être. Hélas, ça tire dans tous les sens, on effleure toutes les thématiques sans vraiment les creuser et c'est dommage. Il s'agit clairement d'une exposition soit pour le néophyte absolu qui veut juste "voir des jolies choses" ou pour le spécialiste total qui n'a franchement pas besoin d'un cartel pour tout savoir. Le visiteur plus "moyen" comme moi se sent forcèment un peu frustré au sortir de l'expo, malgré la collection exceptionnelle qui y est présentée. Un peu dommage... tout cela aurait gagné à être plus dense et débarrassé de la caution stérile de monsieur Lacroix.

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Commentaires
R
je dois faire partie des "néophytes absolus qui aiment voir des jolies choses"... bien qu'ayant vécu toute mon enfance en Algérie et ayant fréquenté des familles syriennes et palestiniennes ... et cette exposition m'a transporté dans mon enfance !!
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