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Nouvelle Feuille
25 mai 2011

Dogon

Pour vous prouver que je parle aussi parfois d'expo en cours, je vais causer d'une expo bien en cours et ce jusqu'au 24 juillet. Non mais!

Cette exposition marche très bien semble-t-il et ce n'est pas surprenant : depuis que leur culture a été popularisée à partir des années 1930 par l'expédition Dakar-Djibouti de Marcel Griaule, les Dogons n'ont cessé de fasciner l'Occident. Particulièrement étudiés en France, ils sont sans doute l'une des populations d'Afrique noire parmi les mieux connus et ayant suscité le plus de passions et de fantasmes. Le Quai Branly a toutefois eu l'intelligence de faire de cette exposition une vraie rétrospective et n'a pas cédé à la tentation d'une expo "maison" à moindre frais composée à partir de ses seuls richesses.

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L'exposition se construit autour de trois grandes parties qui, malgré leurs intitulés plus ou moins ésotériques ('L'harmonie du monde", "l'enchantement de la collection"), sont en fait trois axes importantes : le premier, superbe mais fort austère, est consacré aux différentes populations du plateau dogon et à leurs styles respectifs dans la sculpture. Le second traite quasi-exclusivement des fameux masques, tandis que le dernier présente plutôt de petits objets d'art et objets du quotidien.

La muséographie est réellement superbe, mais hélas, on peut trouver qu'elle tombe trop dans l'esthétisme au détriment de l'explication, souvent assez légère et vulgarisant assez peu son sujet. C'est déjà un peu le reproche que j'adressais à l'exposition "L'Orient des femmes", une mise en scène propre à ravir les yeux, mais des explications trop rares et vite très spécialisées, sans réel espace intermédiaire de vulgarisation. Il ne faudrait toutefois pas bouder son plaisir devant le nombre et la qualité exceptionnelle des pièces présentées pour cette première grande rétrospective française sur l'art dogon depuis plus de 20 ans.

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(Hall de l'exposition)

 

L'exposition débute par une rapide introduction consacrée aux différents déplacements et origines des populations du plateau dogon et de la falaise de Bandiagara. Grand point fort dans toute l'expo : la présence de cartes permettant de bien situer les zones évoquées. Quelques pièces préhistoriques servent de hors-d'oeuvre aux très nombreuses sculptures qui suivent. 

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(Pierre taillée, collection particulière française
Idole néolithique, 2000 av. J-C, collection particulière française) 

 

Le parcours parmi les sculptures suit un ordre plus ou moins chrono-géographique, passant en revue l'art des différentes population dogons et pré-dogons, en distinguant les styles, ce qui, avouons-le n'est pas toujours évident.

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(Figure aux bras levés, Djennenké, Gimini, plateau de Bandiagara, XIV-XIXe s., Brooklyn Museum)

 

Parmi les principales populations pré-dogon, on retrouve les Djennenké et les Tellem. Si les Tellem connaîtront une mythification chez les Dogons, les Djennenké semblent avoir essaimé leur influence artistique sur l'ensemble du plateau et de la falaise de Bandiagara. A l'instar de plusieurs autres populations africaines, on y retrouve des figurines enduites d'une patine croûteuse épaisse dont un petit film explique en partie l'origine. Prenant le parti de ne pas s'en tenir aux hypothèses vraisemblables sur ce sujet, l'on convoque l'analyse scientifique, qui prouve que les patines croûteuses anciennes ne sont pas le résultat de longs et répétés usages libatoires à la bière, au lait ou au sang qui auraient fini par constituer la croûte, mais bel et bien d'un seul passage, sans doute un bain. Conclusion pour le moins surprenante. 

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(Figure féminine, Djennenké, plateau de Bandiagara, Collection particulière française)

 

Les Tellem schématisent énormément les formes pour arriver à des figures parfois à peine lisibles. Les deux grandes passions de cette fameuse population pré-dogon semblent avoir été la patine croûteuse et les figures aux bras levés, surabondantes dans leur art et réutilisées bien plus tard par les Dogon.

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(Figure aux bras levés, Tellem, XV-XVIe s., Collection particulière française)

 

Une autre population voisine, les Niongom, ont une particularité étonnante : ils ne modèlent pas le bois en une forme humaine, ils utilisent la forme naturelle de la branche pour y tailler leurs statues, qui se retrouvent donc souvent très longilignes et courbées.

En pays dogon, les statues et statuettes, contrairement aux masques qui font partie de systèmes de sociétés secrètes et procèdent de rites d'initiation. Visibles de tous, elles ne sont pas réalisées en secret par les initiés, mais par les forgerons, qui ont le monopole de la création de figures religieuses. 

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(Sceptre avec figure masculine assise, Dogon ou Bozo, XVIe-XXe s., Metropolitan Museum of Art)

 

On est surpris de la richesse de cet art et de la très grande diversité des figures. Si certaines sont des passages presque obligés de la statuaire d'Afrique noire (maternité, jumeaux, etc) d'autres étonnent par leurs thématiques originales : scènes villageoises (pileuse de mil, porteuse d'eau), militaires (cavaliers) ou musicales (joueurs d'instruments divers). Ces statuettes semblent avoir joué un rôle commémoratif.

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(Maternité, N'duleri, New Orleans Museum of Art)

 

Cependant, je n'ai pu m'empêcher de me faire la réflexion suivante : l'art du pays dogon est certes riche de formes et de sujets différents, mais toujours humains. Pas ou très peu d'animaux; en tout cas, jamais un seul animal traité en tant que tel pour lui-même. Tout juste ça et là des serpents ou des tortues stylisées ornent les éléments mobiliers de statues.

 

Dernière illustration que j'ai souhaité partager pour cette section, ce charmant couple, autre thématique assez fréquente dans la région.  

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(Couple, Bombou-Toro, XVIIIe-XIXe s., Musée Rietberg)

 

Après cette partie dense, passionnante mais pas forcèment évidente (et l'on regrettera les informations par moment trop parcellaires, comme cela devient de plus en plus la règle dans ce musée, où le dossier de presse est plus riche d'explications et d'analyses que l'expo elle-même. Et encore, cette exposition ne s'en tire pas trop mal sur ce sujet), nous abordons la seconde partie, dont le titre nous annonce "la fascination des anthropologues" mais qui n'éclaire pas franchement le rôle des anthropologues dans la découverte de la riche culture dogon, ni la réelle fascination qu'elle exerça sur eux. Par contre, l'on y admire une partie des superbes masques que possède le musée, complétés par quelques autres également impressionnants. L'accrochage, aéré et aérien, n'est pas désagréable.

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(Masque singe blanc omono, avant 1931, Mission Dakar-Djibouti, Quai Branly)

 

Les masques en Afrique sont très liés aux confréries et sociétés secrètes. En pays dogon, ce sont les hommes adultes et initiés qui composent la société des masques, l'awa. Les masques sont sortis régulièrement lors des cérémonies de deuil mais aussi, lors des grandes cérémonies de sigui qui ont lieu tous les soixante ans! 

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(Masque hyène, Collection particulière française)

 

Parmi les masques les plus célèbres et les plus impressionnants, il y a bien sûr les masques-immeubles, très hauts, et surtout les kanaga, ces masques à la curieuse silhouette. Les masques sont des symboles de mort; inertes, ils prennent vie une fois portés et par la danse exécutée par les initiés. Leur signification diffère également selon que l'on est profane ou initié. Tout cet univers très riche et lié à une cosmogonie complexe a été très bien étudié par les ethnologues français, notamment le fameux Marcel Griaule. Citons également parmi les multiples grands noms d'intellectuels qui se sont intéressés à cette espace culturel dogon, ceux de l'écrivain-ethnologue Michel Leiris et du cinéaste Jean Rouch.

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(Masque kanaga, avant 1931, Musée du quai Branly)

 

Outre cet aspect très déblayé et vulgarisé, cette petite section aborde aussi les peintures rupestres, un élément plus méconnu. Collectés sous "l'auvent de Songo" ou "auvent Desplagnes", ces peintures représentent essentiellement des masques et leurs porteurs. C'est sous cet auvent que les jeunes circoncis effectuent une retraite; les peintures sont là pour les initier à leur future vie d'homme. 

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(Peinture de deux danseurs masqués, Auvent de Songo, Musée Barbier-Mueller)

 

Le grand intérêt de cette exposition, au-delà des passages obligés de la sculpture et des masques, réside dans la présentation qui est faite d'objet "du quotidien", souvent proches des autres oeuvres d'art, mais sans charge magique ou sacrée particulière. La même cosmogonie et les mêmes thématiques y sont illustrés, avec toutefois une présence animalière plus forte. 

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(Appuie-nuque en forme d'éléphant, collection particulière belge)

 

Certains de ces objets illustrent un aspect moins méconnu de l'art et de l'artisanat dogon : le travail du métal.  

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(Casque, collection particulière française)

 

 Il se trouve des objets utiles et impressionnants, comme des serrures, des coupes ou des armes, mais aussi des objets plus petits : petits bijoux et aussi de nombreux, diversifiés et curieux petits bibelots en métal. Il semble qu'il s'agisse d'éléments utilisés dans le culte des ancêtres, comme talismans ou dans le cadre de pratiques de sorcellerie. Certains sont superbes et ne sont hélas pas exposés et détaillés comme ils le devraient. Bien que l'expo veuille sortir des figures imposées de ce sujet, on n'échappe pas au sentiment que ces objets, moins spectaculaires et moins déblayés par les grands noms de l'ethnologie, ont été un peu "relégués" en fin de parcours.

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(Diverses figures métalliques)

 

L'expo s'achève avec plusieurs impressionnants piliers de maisons togu na, des sortes de grands préaux collectifs assez bas servant à diverses réunions publiques et aux palabres. Enfin, complétant l'ensemble, une case peule, population voisine mais très différente des Dogons, créée en avril 2011 par un artiste et les visiteurs du musée selon les méthodes traditionnelles, orne le parvis du musée.

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(Bobo Ba, case peule, 2011)

 

En somme, cette exposition consacrée aux Dogons, l'une des passions de l'africanisme français, mérite largement la visite. Comme toutes les expositions du quai Branly, elle a tendance à marcher parfois en équilibre très délicat entre propos scientifique et mise en scène, au risque de glisser vers le pur esthétisme. Tout cela est néanmoins très intéressant, de par le portrait très large des Dogons qui est brossé et par la qualité et la rareté des objets présentés, dont un grand nombre est issu de collections américaines ou privées. Quitte à compléter ensuite ses connaissances avec le catalogue et d'autres sources, très abondantes en langue française.

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