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Nouvelle Feuille
30 décembre 2011

Les marionnettes de Charleville

Cette année, fin septembre, se tenait à Charleville-Mézières, dans les Ardennes, le festival international de la marionnette, un évènement qui ne se produit que tous les trois ans autrefois, tous les deux ans désormais.

Nous ne connaissions pas du tout ce festival auparavant et ce fut l'occasion d'une double découverte : celle d'une ville qui souffre d'une réputation tristounette totalement injustifiée et celle d'un festival incroyablement beau et riche. Je vais tenter d'en retracer pour vous un petit bilan, histoire de vous donner envie d'aller y voir en 2013. Nous en tout cas, nous y serons, c'est quasiment sûr.

Plan de la ville 

(La ville n'est pas grande et les spectacles assez concentrés, tout se fait aisèment à pieds)

 

NB: Nous avions réservé à l'avance, avec une certaine peine, les places des spectacles que nous souhaitions voir. Ceci est indispensable, car il peut être franchement compliqué de trouver une place pour le festival "in" sans réservation. Le "off", qui se déroule dans les rues de la ville un peu partout, est lui gratuit, il suffit juste de se faufiler entre les gens.

 

Bref, nous prenons le train à Paris et arrivons en gare de Charleville une heure et demie plus tard. Alors que nous n'avons pas encore quitté la gare, le ton est donné par un accueil surprenant et poétique :

Accueil, gare de Charleville

(A l'arrivée à Charleville)

 

Petit bonus : ce week-end a été particulièrement ensoleillé et agréable au niveau du climat. Nous traversons la place de la gare pour gagner notre hôtel non loin de là et une chambre gigantesque qu'il nous a été difficile de dénicher : c'était tout simplement la dernière disponible sur le net. Les hôteliers forcent énormément les prix pendant le festival, ce qui se comprendre vu l'attractivité médiocre de la ville le reste du temps. Mais quand même, ça fait un peu mal...

Bel immeuble (2)

(Charleville, immeuble avenue du Maréchal Leclerc)

Le premier spectacle auquel nous devons assister se tient à 15h00, ce qui nous laisse pas mal de temps pour découvrir un peu la ville. Charleville est réellement belle, avec ses immeubles dont la plupart datent d'une période entre le XVIe et le XIXe s. et son plan de ville royale, avec une grande place au centre. Ici, cette place est dite "ducale", du nom du duc de Gonzague (nous y reviendrons).

La place ducale est sans doute l'une des plus belles qui reste en France de style Louis XIII, avec la place des Vosges à Paris, à laquelle on ne peut s'empêcher de penser. A juste titre semble-t-il, puisque l'architecte de celle de Charleville, Clément Métezeau est le frère de celui de la place parisienne, Louis Métezeau. Seul l'hôtel de ville, construit au milieu du XIXe s., rompt la belle unité des façades de pierre jaune et de brique rouge.

Place ducale

(Place ducale, 1606)

 

Comme son nom l'indique, Charleville-Mézières est la réunion de deux cités distinctes : la vieille forteresse médiévale de Mézières et la ville neuve de Charleville. Charleville est fondée en 1606 par le prince Charles de Gonzague, qui possède le duché de Rethel où se situe ce terrain, et qui a laissé son prénom à sa ville. Une belle fontaine, oeuvre du sculpteur local Alphonse Colle, lui rend hommage au fondateur de cette jolie cité emblématique de l'urbanisme du XVIIe s.

Statue de Charles de Gonzague (2)

(Alphonse Colle, Statue de Charles de Gonzague, 1899)

 

Après nous être un peu repérés dans la ville, nous allons retirer nos billets au centre d'accueil. L'art de la marionnette est vraiment partout pendant ce festival, et pendant que je rame un peu pour obtenir mes billets, Louise se régale avec un petit castelet animé par deux personnes : un narrateur-musicien avec son accordéon et une manipulatrice; de mémoire, il s'agissait d'une troupe venue du Tarn. Ils proposent un spectacle de Polichinelle, le cruel bouffon de la commedia dell'arte. Polichinelle parle beaucoup, se bat beaucoup et s'en sort toujours. Il se bat ainsi contre une vache, contre le propriétaire de la vache, contre les gendarmes, contre le bourreau qui doit l'exécuter puis contre la Mort elle-même qu'il vainc sans vraiment de difficulté. Le spectacle est drôle et enlevé, la vingtaine de chaises installées devant est occupée et les applaudissements sont sincères, tout comme les petites pièces pour les deux artistes, qui les méritent largement.

Polichinelle et la Mort (2)

(Polichinelle affronte la Mort)

 

Juste à côté de cet espace d'accueil se trouve l'église St Rémi, un grand édifice néo-roman, plutôt élégant mais sans charme particulier ni rien de précis à signaler à son endroit.

Eglise St Rémy (3)

(Eglise St Rémi, années 1860)

 

Curiosité, une affiche à l'entrée nous signale qu'ici tout le monde, y compris dans les milieux catholiques, vit au rythme de la marionnette, dût-elle frôler - au niveau esthétique - la caricature de type "Guignols de l'info".

Affiche de marionnettes catholiques, église St Rémy

(Affiche : les géants de la charité)

 

Retour sur la place ducale pour aller voir l'exposition de marionnettes asiatiques qui se tient dans la galerie d'art située au-dessous de l'office du tourisme. On peut y voir de beaux exemples d'art populaire de Java, Bali, Lombok...

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(Golek (marionnettes à fils), Java, XXe s.)

 

des ombres chinoises et thaïlandaises...

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(Marionnette d'ombre Nang Talung, Thaïlande, XXe s.)

 

et quelques masques tribaux des régions himalayennes, très rares. (cf. cette exposition du Quai Branly fin 2010)

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(Masque, Himalaya, XIXe ou XXe s.)

 

 

 Nous retraversons la place ducale, à la recherche du musée de l'Ardenne. En chemin, nous nous attardons sur les différents spectacles "off" qui se déroulent dans la rue. Certains ne sont pas extraordinaires, d'autres franchement enthousiasmants, jolis, poétiques... J'ai pour ma part beaucoup aimé ce manipulateur qui, avec grande dextérité, composait de petites scènes amusantes avec ses marionnettes en bois. Son spectacle ravissait petits et grands.

Festival off (4)

(Festival "off")

 

Si ce petit spectacle, comme celui, non loin de là, d'une vache jouant du piano, parle immédiatemment, d'autres sont plus complexes à aborder, plus lents de rythme et sans narration, l'ensemble, bien qu'intéressant peu rapidement devenir un peu ennuyeux. Ainsi ces curieux bonhommes quelque part entre chamanisme et chasseurs-cueilleurs attirent la curiosité d'abord, mais très vite, on ne comprend pas trop où cela veut en venir et c'est vraiment dommage car cela avait le mérite de l'originalité.

Festival off, près du musée (2)

(Festival off, près du musée de l'Ardenne)

 

Nous sommes à côté du musée, près de l'institut international de la marionnette, qui fêtait ses trentes ans, et où viennent se former les marionnettistes et fabricants de marionnettes. A côté se trouve l'horloge du "Grand Marionnettiste", dont je reparlerai.

Institut international de la marionnette

(Institut international de la marionnette)

 

Puis nous arrivons au musée, où la troupe Kok Thlok de théâtre d'ombres du Cambodge vient d'achever une démonstration de découpe des marionnettes dans le cuir. Louise, qui connaît un peu le sujet et la troupe pour avoir assisté aux répétitions, discute un peu avec les personnes demeurées sur place. Cela nous permet de voir plus en détails la façon de procéder pour créer ces superbes panneaux de cuir.

Découpage des cuirs cambodgiens (3)

(Marionnette de Sbek Thom inachevée)

 

Nous allons ensuite visiter le musée de l'Ardenne. Il est globalement plutôt intéressant. Le musée se veut le témoin de l'histoire locale, avec son archéologie, les éléments saillants de son histoire, ses traditions et quelques artistes locaux. L'ensemble est relativement bien agencé dans un bel immeuble datant du XVIIe au XIXe s., un peu tarabiscoté de cours et de galeries.

La visite démarre au sous-sol par les sections d'archéologie. La préhistoire locale est évoquée, mais ce n'est pas la partie la plus enthousiasmante : on y voit beaucoup d'ossements d'hommes ou d'animaux. Les seuls éléments plus évocateurs sont les reconstitutions : maquette d'un sanctuaire de l'âge du Bronze tardif, métier à tisser gaulois.

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(Métier à tisser gaulois, réalisé par Marie-Pierre Puybaret)

 

Les collections, issus de fouilles de tombes, deviennent plus intéressantes à partir de la période de La Tène (Ve - Ier s. av. J-C), avec notamment les éléments d'harnachement pour cheval trouvés à Semide, dans les Ardennes.

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(Petites appliques, La Tène ancienne (400-375 av. J-C), La Tomelle aux Mouches, Semide)

 

Le musée possède une petite collection de naturalia, en fait des exemples de faune locale empaillés. Le parti-pris du musée a été de les exposer au milieu d'une oeuvre d'art contemporaine sur un escalier en bois. Pourquoi pas...

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(Sanglier naturalisé. Jean-Luc Parant, ammoncellement de boules, résine, 2003)

 

Pendant la période romaine, la région, qui ne compte pas de ville importante et n'est pas franchement un lieu de transaction commerciale privilégiée, n'offre pas grand chose de fascinant. L'intérêt du secteur renaît bien plus avec la période des invasions puis l'époque mérovingienne. On voit ainsi de beaux exemples de bijoux, d'armes, d'orfévrerie et de travail du verre. Néanmoins, il est assez net qu'à toutes les époques, les Ardennes se sont retrouvées un peu en marge des grands lieux d'activité, coincées dans une sorte de cul-de-sac entre la Lorraine, la Belgique, le Nord de la France et la vallée du Rhin et la Champagne.

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(Gobelet à deux anses, verre, Ve s., Mouzon)

 

La section suivante, fort grande, est consacrée à la manufacture d'armes de la ville, qui fonctionna de 1688 à 1836. Autant dire que cela est très riche, mais qu'il faut aimer les armes à feu. Néanmoins, ce n'est pas inintéressant et les fusils sont dans un état exemplaire de conservation, certains ayant encore leur pierre de silex serrée dans les mâchoires du chien.

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(Fusil de la manufacture de Charleville, détail de la platine à silex)

 

Dans les salles suivantes, consacrées à la ville à l'époque moderne, de grandes maquettes permettent de mieux appréhender la topographie des différentes parties de la ville (Mézières, Charleville, Mont Olympe) et de ses fortifications. Dans cette partie, on peut également voir d'autres belles maquettes, notamment celle d'un atelier monétaire, assez instructive. La pharmacie de l'hôtel-dieu du XVIIIe s. avec plus de cent pots en faïence a été déplacée ici et est également digne d'être signalée.

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(Du Monstier, Portrait de Charles de Gonzague, Princes d'Arches, duc de Nevers et de Rethel, fondateur de Charleville, XVIIe s.)

 

Alors que nous continuons notre parcours, nous tombons sur une exposition évoquant la figure de Géo Condé, homme d'une importance énorme dans l'art de la marionnette en France au XXe s. Ce lorrain a beaucoup fait pour la marionnette dans l'est de la France et a formé Jacques Félix à cet art, ledit Félix étant le fondateur du festival de Charleville.

Expo Géo Condé

L'exposition se concentre sur les différents aspects de l'oeuvre de cet artiste qui ne s'est pas contenté de travailler sur les marionnettes, mais a aussi versé dans la sculpture, le jouet en bois, la céramique, le dessin...

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(Géo Condé, Chat sur roulette, bois, Collection Marie-Françoise Neimann)

 

L'oeuvre décorative de Géo Condé semble emprunter beaucoup à une double inspiration art déco et animalière, très plaisante.

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(Géo Condé, Assiettes et dessous de plat à motifs d'oiseaux)

 

En ce qui concerne les marionettes, sa grande innovation est d'utiliser la laine comme matériau, ce qui donne un aspect assez étrange à ses créations, que nous avions déjà vu lors de notre passage au musée Gadagne de Lyon, qui comporte une importante section de marionnettes.

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(Géo Condé, La sorcière, Blanche-Neige et les sept nains, Collection du musée de l'Ardenne)

 

On passe ensuite derrière le mécanisme de l'horloge du "Grand Marionnettiste", qui représente chaque heure un des douze épisodes de la légende des quatre fils Aymon, particulièrement importante pour les Ardennes.

Mécanisme du Grand Marionnettiste (2)

(Mécanisme du Grand Marionnettiste)

 

L'exposition Géo Condé se poursuit dans la salle suivante, surtout axée sur les marionnettes.

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(Affiche pour Faust)

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(Géo Condé, Méphisto, Faust, 1934, Collection Gérard Condé)

 

La découverte de l'oeuvre de cet artiste touche-à-tout, créatif et populaire à la fois, fut réellement un grand plaisir. Allez, un petit dernier pour la route :

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(Géo Condé, Le baron aux chats, Modèle pour peinture sous verre, Collection Gérard Condé)

 

Les sections suivantes évoquent l'artisanat, les industries et les traditions locales. Les Ardennes, je l'ignorais, sont la patrie des vis, des clous et des boulons. Le musée possède donc une énorme collection de clous, la plus importante de France. C'est certes intéressant, mais autant dire que, muséographiquement parlant, ce n'est pas franchement sexy.

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(Clous anciens)

 

Le travail dans les carrières d'ardoise est joliment évoqué par des portraits photographiques et des témoignages d'anciens ouvriers, et la vie "traditionnelle" par une jolie reconstitution d'un intérieur rural ardennais.

Intérieur ardennais traditionnel (4)

(Intérieur traditionnel ardennais, la salle commune)

 

Les beaux arts trouvent leur place dans une petite salle. S'y détachent surtout deux artistes locaux, le peintre Eugène Damas, auteur de scènes pittoresques comme la chasse aux vanneaux ou le piégeage des taupes.

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(Eugène Damas, Le piégeur de taupes, 1895)

 

Et surtout le sculpteur Aristide Croisy, bien représenté dans le musée par plusieurs portraits et quelques sculptures de soldats liées aux commandes publiques dont il a bénéficié. Pour ma part, je préfère les deux charmantes scènes enfantines : "Le nid", un plâtre montrant deux enfants endormis sur un fauteuil, et plus encore "la toilette de la poupée", une adorable scène de genre en bronze.

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(Aristide Croisy, La toilette de la poupée, 1892)

 

Nous finissons enfin par le rez-de-chaussée, où se poursuite l'exposition sur les marionnettes à Charleville autour de Géo Condé et Jacques Félix. Où l'on retrouve les marionnettes de Condé, brodant avec fantaisie autour des contes traditionnels.

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(Copie du castelet de Géo Condé, décors originaux, marionnettes en laine : Blanche-Neige, les sept nains, oiselets, le phacochère multicolore, Collection du musée de l'Ardenne)

 

Les débuts de la marionnette à Charleville - ville a priori sans aucune tradition ancienne liée à cet art - datent des années 1940, autour de Jacques Félix et sa troupe des Petits comédiens de chiffons avec un fort fond de légendes locales et d'inspiration catholique type scoutisme et jeunesses chrétiennes.

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(Les Petits comédiens de chiffons, Le montreur d'ours et son ours, Les quatre fils Aymon 2e version, Collection des Petits comédiens de chiffons)

 

Le temps de manger une bricole, de regarder un peu le festival off, et c'est le moment de notre premier spectacle "in". Il s'agit de "La courtisane amoureuse" par la compagnie Emilie Valantin, une troupe française. Ce sont de petits contes grivois adaptés de Jean de la Fontaine avec une certaine inventivité : les manipulateurs interviennent comme narrateurs aussi bien que comme éléments du décor (le pauvre homme déguisé en poirier est un moment très savoureux).

La courtisane amoureuse (10)

Certaines marionnettes sont très grandes et il s'agit réellement d'un théâtre, où elles se déplacent comme des acteurs. Bien qu'il s'agissent de contes anciens, la petite pointe d'humour lié à l'actualité, qui fait la saveur de nombre de spectacles, est bien présente. Ainsi, quand les femmes de la cour, se pâmant devant un jeune étalon, se renversent brusquement en dévoilant leur derrière et en hurland "Silvio, Silviiioooo", on ne peut réprimer un rire devant le côté farce de la situation.

La courtisane amoureuse (21)

 

Bref, nous passâmes un très agréable moment avec cet amusant spectacle. Pour notre premier choix de spectacle payant, nous n'avions pas fait fausse route.

La courtisane amoureuse (31)

 

Dans les rues, il y a certes des spectacles dans divers coins de la ville, mais il y a aussi les spectacles ambulants, ainsi de cette curieuse automobile sur laquelle est perché un homme-orchestre qui dialogue avec les petites marionnettes du castelet situé au-dessous de lui et manipulées par le conducteur du véhicule... Bon, je sais, ce n'est pas clair, alors je vous mets une petite photo, pour vous donner une petite idée de l'aspect de ce truc au demeurant  vraiment sympathique.

Festival off dans les rues (4)

(Spectacle ambulant)

 

Pour ne pas tomber dans les clichés, nous nous dirigeons vers le musée consacré à Rimbaud, LA grande figure locale, mais ne le visitons pas! Nous nous contentons de la beauté de ce Vieux Moulin ducal avec son impressionnante façade Louis XIII et nous nous laissons promener le long des rives de la Meuse.

Vieux Moulin

(Vieux Moulin - musée Rimbaud, XVIIe s.)

 

Nous croisons au passage quelques chats parfaitement indifférents à nos tentatives d'amitié.

Indifférence (2) 

 

 Nous recroisons le chemin du Grand Marionnettiste alors en pleine manipulation des fameux fils Aymon.

Grand Marionnettiste en pleine action (2)

(Grand Marionnettiste)

 

Tout doucement, alors que la journée s'achève, nous allons vers Mézières, où se déroule le prochain spectacle. Un peu en avance nous en profitons pour visiter la jumelle de Charleville, petite bourgade enserrée dans des remparts le long de la rivière et qui protègent la basilique Notre-Dame d'Espérance. Eglise totalement rebâtie en 1950 dans le style néogothique après avoir été bombardée en 1815, 1870, 1914, 1940 et 1944. Ce sont ces multiples souffrances qui lui valurent le rang basilical.

Basilique de Mézières (2)

(Basilique de Mézières)

 

Lors de notre passage, la basilique présente une exposition autour de Polichinelle. Mais le bâtiment vaut surtout pour ses superbes vitraux réalisés entre 1955 et 1979 par le vitrailliste André Seurre sur les dessins de l'artiste René Dürrbach. Le style cubiste de l'ensemble est très élégant et respecte les règles anciennes de couleur dominante par rapport à l'exposition de la verrière (nord : teintes bleues, sud : teintes rouges). Les vitraux modernes ne sont pas toujours formidables, mais ici c'est une réussite totale.

Vitraux de René Dürrbach (6)

(René Dürrbach, vitrail de la basilique)

 

Le spectacle pour lequel nous avons réservé ensuite se tient à l'hôtel de ville de Mézières et s'intitule "Garbage Monster". Malgré ce titre anglais, il s'agit d'un spectacle de Karagöz, ces marionnettes d'ombres turques avec lesquelles je vous ai assez saoûlé pendant les articles sur notre voyage dans ce pays. C'est une création de Cengiz Özek, un marionnettiste turc visiblement assez impliqué sur les questions écologiques.

Le propos du spectacle, entièrement en turc mais totalement compréhensible, consiste en une utilisation de tous les éléments traditionnels, avec les fameux Karagöz et Hacivat, au service d'un message environnemental simple mais franchement utile, surtout en Turquie : il ne faut pas jeter ses déchets n'importe où. Ainsi, Karagöz, qui balance ses ordures partout, se trouve aux prises avec un monstre marin dérangé par les détritus.

Karagöz (6)

(Garbage Monster, Karagöz aux prises avec le monstre)

 

A la fin, le manipulateur intervient pour expliquer à ce gredin de Karagöz à trier ses ordures et ne plus les jeter à l'eau. J'ai beaucoup aimé ce spectacle, même si les gamins qui se trouvaient là semblaient plus dubitatifs et n'avaient pas l'air d'avoir vraiment ni apprécié ni compris.

Karagöz (7)

(Garbage Monster, Karagöz trie ses ordures)

 

Le spectacle suivant se déroule aussi à Mézières, dans une salle située entre les remparts et la Meuse. Hélas, pour des questions de places mal gérées, tout le monde ne peut pas accéder à la séance de 19h00, mais pour dépanner, ils proposent une seconde séance immédiatemment après, à 21h00. Cela nous arrange plutôt et nous revenons donc à l'heure dite.

Je n'ai aucune bonne photo de ce spectacle, mais il est l'un des plus beaux que nous ayons vu. La troupe Aran Puppet Theater Group est iranienne et constituée autour du metteur en scène Behrooz Gharibpour et le spectacle s'appelle "Achoura", du nom de la grande fête chiite qui pleure le massacre de l'imam Husayn, le troisième imam chiite.

Le spectacle est composé de marionnettes à fil légèrement inférieure à la taille humaine, très impressionnantes, qui sont parfois très nombreuses sur scène, aux mouvements complexes. Les manipulateurs sont essentiellement des femmes et se tiennent sur une sorte de mezzaninne où, cachées, elles actionnent les marionnettes. L'histoire est une sorte d'opéra complexe, tout est en persan, mais on est fasciné par la beauté du spectacle. A tel point que nous sommes revenus le lendemain pour acheter le DVD du spectacle que la troupe vendait à la fin.

Je n'ai trouvé que cette vidéo youtube pour vous donner une idée du spectacle exceptionnel offert par cette troupe iranienne : http://www.youtube.com/watch?v=dCzfXPCpSDo

 Meuse

(La Meuse, près du Mont Olympe)

 

Le lendemain matin est activement consacré à se paumer un peu au nord de Charleville du côté du Mont Olympe, avant de trouver la salle où se tient notre spectacle du matin : "Cuttlas, anatomia d'un pistoler".

Cuttlas est un cow-boy de bande-dessinée du dessinateur Calpurnio, au trait simpliste, à l'humour acerbe et à l'univers très libre où les éléments de western-spaghetti se mêlent aux voyages dans une soucoupe volante...

Cuttlas (2)

(Cuttlas, scène de saloon)

 

Pour rendre le trait minimaliste de la BD, la troupe catalane Acetato Teatro a imaginé des marionnettes filiformes. L'interaction avec les manipulateurs n'est pas absente et donne lieu à de savoureux moments que je rends comme je peux :

" - Mais qui êtes-vous?

- Nous sommes les manipulateurs.

- Non! Personne ne me manipule. (La marionnette demeure donc inerte et les manipulateurs se croisent les bras, vexés)

- Bon bon, je veux bien qu'on me manipule... un peu."

Le tout est surtitré en français, ce qui est franchement appréciable.

 Cuttlas (13)

(Cuttlas et sa fiancée Mabel)

 

Nous errons ensuite encore pas mal dans la ville, nous attardant notamment dans les nombreux stands qui vendent des marionnettes plus ou moins belles, plus ou moins anciennes... Et qui vendent aussi à manger de bonnes choses à prix modestes, ce qui n'est pas négligeable.

Nous retournons vers Mézières pour le prochain spectacle, qui se déroule en plein air, dans le square Bayard juste à côté de la salle où se jouait "Achoura".

Statue de Bayard

(Statue de Bayard, d'après l'oeuvre de Croisy fondue en 1940 par les allemands, remplacée en 2005)

 

Pour nous faire patienter, un spectacle "off" se tient par là, avec des êtres mystérieux, cornus, griffus et velus sur des échasses, petits effets pyrotechniques et loup noirs un peu effrayants. 

Festival off, square Bayard (4)

(Festival off, square Bayard)

 

Cela provoquera une rencontre assez étonnante entre ces créatures venue d'un inframonde inquiétant et les manipulatrices iraniennes qui se détendent après leur spectacle.

Rencontre entre troupe d'Ashoura et festival off (3)

(Rencontre impromptue entre le "in" et le "off")

 

Le prochain spectacle : "Le crépuscule des temps anciens" se tient en plein air dans le square. Tandis que le spectacle franco-burkinabé se prépare, nous patientons en regardant passer une sorte de défilé de jeunes personnes avec des marionnettes sur le dos, manipulées par des tiges. Nous n'avons pas exactement compris de quoi il s'agissait, mais ça avait l'air d'une sympathique initiative. Nous les reverrons encore après le spectacle.

Jeunes d'une école (3)

(Défilé)

 

Le crépuscule des temps anciens est une pièce inspirée du roman du burkinabé Nazi Boni. Avec musique, masques, marionnettes à gaine et danse, la troupe nous raconte de très belle manière l'épopée tragique du jeune Théré. 

Le crépuscule des temps anciens (6)

(Le crépuscule des temps anciens)

 

Un beau mélange entre traditions africaine et française, où la narration se superpose aux danses et à du théâtre de marionnettes de type très "guignol".

Le crépuscule des temps anciens (10)

(Le crépuscule des temps anciens)

 

Un très beau spectacle en somme, divertissant et original. Certains moments, notamment avec le lion, la tête coupée ou certains masques, ont tout de même un peu effrayé certains enfants. Si l'on rajoute que l'histoire finit mal, ce spectacle n'est pas franchement à conseiller à de très jeunes enfants; pas en dessous de 8 ans environ, pour qu'ils puissent bien suivre l'histoire.

Le crépuscule des temps anciens (13)

(Le crépuscule des temps anciens)

 

Nous remontons à Charleville pour assister au dernier spectacle, celui, exceptionnel de Sbek Thom, les grands cuirs du théâtre d'ombres cambodgien, un art en voie de disparition depuis les années 1950 et qui faillit bien être totalement annihilé pendant le règne sanglant des Khmers Rouges qui n'étaient pas franchement friands de ce genre de spectacle traditionnel. Ces spectacles, proches de leurs homologues thaïlandais,  renaissent au Cambodge depuis les années 1990 et bénéficient depuis 2008 d'un classement par l'UNESCO au titre du patrimoine culturel immatériel. Pour tous les détails sur ces cuirs, je vous renvoie au travail de mon admirable fiancée, qui creuse la question depuis plus d'un an.

Sbek Thom, préparation (2)

(Sbek Thom, préparation)

 

Le spectacle démarre avec une bonne demie-heure de retard, par une prière de consécration servant à rendre vivantes les marionnettes et à faire que les marionnettes de personnages néfastes ne jette pas de mauvaise influence sur le spectacle et la troupe.

Sbek Thom, cérémonie de consécration 

(Sbek Thom, cérémonie de consécration)

 

La troupe se divise en trois : une partie est composée de manipulateurs/danseurs qui promènent leurs marionnettes devant un écran blanc éclairé théoriquement par un feu (ici des éclairages artificiels); sur le côté se trouvent quatre ou cinq musiciens chargés d'accompagner le spectacle; et devant les musiciens vient se placer le récitant qui narre l'histoire.

Sbek Thom (13)

(Sbek Thom, "Il était une fois Ravana, dans la lignée de Brahma")

 

La troupe qui nous présente ce spectacle exceptionnel s'appelle Kok Thlok. Il s'agit de l'une des rares troupes à présenter ce spectacle de façon traditionnelle légèrement revue au niveau de la durée (les spectacles anciens duraient théoriquement plusieurs heures pendant plusieurs nuits consécutives). Ils fabriquent eux-mêmes leurs cuirs d'après des modèles plus anciens.

Sbek Thom (58)

(Sbek Thom, "Face aux troupes d'Indrachit, Lakshmana commande à toute son armée...")

 

Les manipulateurs se font parfois danseurs lors des scènes qui se veulent plus de farce, singeant leur personnages et allant même jusqu'à mimer des combats.

Sbek Thom (61)

(Sbek Thom, scène de combat)

 

L'histoire représentée par les Grands Cuirs est immuable sur le fond : il s'agit d'un art sacré qui nous donne à voir uniquement le Ramayana, l'une des deux grandes épopées du monde indianisé. Ou plutôt, il s'agit ici de sa version khmère, le Reamker. Bien entendu, le poème étant monumental, la troupe choisit de n'en représenter qu'un épisode, en l'occurence la bataille d'Indrajit.

Sbek Thom (92)

(Sbek Thom, "A son arrivée, il demande à boire le lait de sa mère qui le guérira de ses plaies")

 

Le surtitrage est particulièrement appréciable pour ceux qui, comme moi, ne savent pas un mot de langue khmère. L'histoire est bien tordue, les démons sont très retors, les duperies et retournements sont nombreux mais les gentils finissent par s'en sortir malgré les vacheries et chausse-trappes des affreux.

Sbek Thom, salut final

(Kok Thlok, Association d'artistes du Cambodge. Salut final.)

 

Pour essayer de se faire un peu d'argent (le voyage semble avoir coûté très cher), la troupe vend quelques unes de ses créations. Ces cuirs magnifiques sont de trois sortes : Grands cuirs (Sbek Thom), Petits cuirs (articulés, Sbek Touch) et cuirs colorés (Sbek Poa). Nous craquons pour une jolie marionnette de Sbek Thom, d'un prix abordable et qui ne sera pas trop calamiteuse à transporter jusque Paris par train.

Vente de cuirs colorés (Sbek Poa)

(Exemple de Sbek Poa, cuirs colorés)

 

Il est bien 19h00 quand nous sortons et ce dernier jour de festival s'étire mollement. Les stands se replient, les spectacles dans la rue s'achèvent et Charleville reprend un rythme plus calme, tout doucement. Juste le temps d'un dernier spectacle, avec un vieux marionnettiste, visiblement une figure locale, qui manipule un pantin crachant le feu! De quoi impressionner toute l'assistance. Et l'homme, finissant son spectacle, de rappeller le premier festival, cinquante ans auparavant. Lui en faisait partie, en ces temps héroïques et l'hommage qu'il rend à Jacques Félix, fondateur de cet évènement merveilleux, est plus que qu'approprié et achève en beauté notre passage par les Ardennes. Et vraiment, avec une telle qualité de programmation, une telle ambiance, un tel bonheur, il est certain que nous ferons tout pour assister à nouveau à ce festival qui commence à gagner une forte notoriété mille fois justifiée.

Dernier spectacle (4) 

(Dernier spectacle, rendez-vous en 2013) 

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