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Nouvelle Feuille
16 juillet 2012

Chamanisme et perturbations au Quai Branly

Jusqu'au 29 juillet, le musée du Quai Branly donne à voir, dans le grand hall d'exposition, une expo pour le moins originale et franchement transculturelle, mélangeant avec un bonheur plus ou moins grand les arts populaires d'Afrique, d'Asie, d'Amérique, d'Océanie et même d'Europe (chose très rare dans ce musée), l'art traditionnel et l'art contemporain, etc... le tout dans une scénographie déroutante mais très réussie. Les scénographes ont fait assez fort en proposant quelque chose d'imparfait, aux coutures et à l'architecture visible, comme inachevée. Au début, l'on est surpris par ces murs composés de polygones blancs, puis l'on s'habitue avec une grande facilité, le parcours étant bien organisé et servant le propos de la visite. On est très loin de la nullité absolue et de la prétention ridicule de l'expo "Arctiques"!

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(Scénographie de l'exposition)

 

L'idée de cette exposition dont le coeur du propos concerne les pratiques chamaniques, est de constater comment, à travers les différents grands espaces culturels, sont perçus les désordres et comment ils sont combattus pour rétablir l'ordre du monde. Une troisième partie évoque la notion de catharsis face à ce désordre, de manière intéressante mais dont l'articulation est moins nette toutefois. La muséographie et les objets d'art contemporain choisis sont là pour symboliser ce désordre à l'oeuvre. Certaines oeuvres sont plutôt réussies et intéressantes, d'autres m'ont semblées un peu inutiles. Ainsi, typiquement, on tombe, après les panneaux introductifs et une sorte de petit tunnel, sur un vaste panneau de Thomas Hischhorn composés de globes terrestres déformés à grands renforts de scotch brun, pour nous signifier, dans une symbolique franchement lourdingue du genre : "oh la la, il y a plein de désordres aussi dans notre société et c'est nous qui les créons, regarde comme la Terre est pourrie". Bonjour la subtilité...

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(Thomas Hischhorn, Outgrowth, 2005, Centre Pompidou)

 

Parmi les choses criticables, on peut signaler ces beaux panneaux de bois indiens, prêtés par le musée Guimet. Certes, les panneaux sont remarquables, mais leur présence un peu sur le côté, sans lien clair avec le reste du propos et avec un cartel pas vraiment clair ne leur rend pas hommage comme il se doit. 

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(Narasimha combattant Hiranyakasipu, Inde, XVIIe s., Musée Guimet)

 

Pour le reste, cette première partie est tout à fait pertinente, avec des objets venus de très nombreux musées différents et de grande qualité. On remarque aussi avec plaisir la présence, sous les cartels de certaines oeuvres, d'une référence bibliographique permettant de creuser plus loin si besoin.

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(Figure aripa, XIXe s. (?), Papouasie, Museum der Kulturen, Bâle)

 

Cette première partie explore donc le désordre du monde et surtout le rôle joué par divers intercesseurs non-humains : ancêtres, divinités, etc... Le but est de montrer l'ambivalence de ce rôle, qui est souvent tout aussi à l'origine de la perturbation que le moyen de rétablir l'ordre. On passe vraiment dans un grand nombre de cultures très éloignées aussi bien chronologiquement que géographiquement. Cela passe par une grande présence des représentations de divinités liées au chaos car potentiellement dangereuses. C'est typiquement le cas de cette Sekhmet, déesse-lionne causant de terribles ravages, et qui constitue parfois une sorte de "forme terrible" de la déesse-chatte Bastet.

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(Statue de Sekhmet, XVIIIe dynastie, règne d'Aménophis III (XVe s. av J-C), Musée du Louvre)

 

Un peu moins connu que les dieux égyptiens ou indiens, j'ai bien aimé cet esprit inuit malfaisant qui possède tout de même la vertu de servir dans certains cas aux chamanes, pour l'espionnage au loin ou les promenades dans le monde des esprits. Comme toujours, on retrouve l'ambivalence : malfaisant d'un côté mais apprivoisable et bénéfique de l'autre si l'on sait l'utiliser. Exactement comme Sekhmet, dont les plus fervents fidèles étaient les médecins.

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(Masque Qumsuugnasqaq (celui qui est laid), population sugpiaq, île Kodiak, Alaska, XIXe s.Château-musée de Boulogne sur Mer)

 

Autre aire culturelle (qui n'a encore pas fait l'objet d'une grande exposition à Branly d'ailleurs) : les améridiens, qui évoquent cette ambivalence de la Nature avec l'Oiseau-Tonnerre sur ce tambour à deux faces. L'Oiseau-Tonnerre apporte l'orage et la pluie qui va avec, provoquant de grands ravages mais permettant aussi l'épanouissement des cultures et la survie du bétail et des hommes 

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(Tambour double-face, population pawnee, Oklahoma, vers 1890, Field Museum of Natural History, Chicago)

 

Autant certains choix d'oeuvres d'art récent sont foireux, autant d'autres sont formidablement bien trouvés et amenés. Et faire se répondre ainsi les statuettes du dieu vaudou Eshu et la représentation de la version américaine de ce personnage (Exu) par Basquiat (originaire d'Haïti, grand pays du vaudou américain), est une idée brillante et très réussie. 

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(Eshu, population Fon, Bénin, XXe s., Musée Vodou, Strasbourg & Statuette d'Exu, Brésil, XXe s., Musée du quai Branly)

 

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(Jean-Michel Basquiat, Exu, 1988, Collection privée)

 

La seconde partie, très vaste et très riche en pièces étonnantes et superbes, est centrée sur la question de l'intercession et donc articulée autour de la figure du chamane, qui est la plupart du temps le principal habilité à communiquer avec l'inframonde pour tenter d'y agir afin de rétablir l'ordre dans le monde des hommes. Le chamane (et d'autres figures proches, comme le sorcier ou le clown sacré) est exploré dans toutes ses dimensions, en particulier en étudiant les différents moyens qu'il utilise pour entrer en transe et ainsi communiquer avec les forces chaotiques et les réguler. C'est réellement passionnant et d'une grande densité de pièces et de réflexion, qui fait enfin accéder cette expo au niveau de ce que l'on espérait, après un propos de début qui décollait mollement.

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(Costume d'initiation de chamane, population Evenk, Sibérie, fin XIXe s., Musée ethnographie de la Russie, St Pétersbourg)

 

La diversité et la qualité des prêts obtenus par le musée est assez ébouriffant : c'est une réelle chance de pouvoir admirer cette belle tenue de chamane sibérien, venue tout droit de St Petersbourg, avec la fragilité et la complexité des questions de conservation que l'on imagine. Cette "robe d'esprit" était un précieux auxiliaire du chamane lors de son voyage dans les autres mondes. Elle s'orne des symboles de tous les esprits que maîtrise le chamane et qui vont l'aider dans sa lutte contre les forces mauvaises.

 

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(Masque et costume Awauta ou Iwata, population kamayura, Amazonie, 1911, Musée du carnaval et du masque, Binche)

 

Les questions de conservation sont d'ailleurs au coeur de l'exposition de cet incroyable manteau inuit, dont on nous montre une réplique venue du Canada, l'original étant conservé à New-York. L'extrème fragilité de l'original le rend intransportable mais cette reproduction permet de comprendre le mythe raconté sur ce manteau, qui témoigne de l'acquisition d'un esprit auxiliaire par le chamane qui y a fait figuré son épreuve iniatique : Qingailisaq était alors apprenti chamane lorsqu'il tua un ijiqqat (sorte d'esprit caribou). Une fois mort, l'esprit se changea en femme vêtue de ce manteau et mourut en donnant naissance à un enfant mort-né. Les autres esprits l'attaquèrent alors mais, discutant avec eux, les convainquit qu'il ne leur voulait pas de mal. Les esprits lui demandèrent alors de se confectionner le même manteau que celui de l'esprit mort. (Tout ceci est raconté par l'anthropologue Bernard Saladin d'Angure : http://classiques.uqac.ca/contemporains/saladin_danglure_bernard/Ijiqqat_voyage_pays_inuit/Ijiqqat.html).

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(Manteau du chamane Qingailisaq, population inuit (Iglulik), Canada, 1902, Université de Laval, Québec)

 

L'Europe, pour l'instant encore peu représentée, commence à pointer le bout de son nez avec une statuette magnifique même si sa présence paraît un peu limite par rapport au sujet. On nous affirme que cette petite statuette de l'âge du fer est un prêtre celte, ce que je suis tout à fait prêt à admettre. Mais relier les pratiques druidiques (et encore, son origine est plutôt ibérique, et la présence du druidisme dans cette zone est plus que douteuse) avec le chamanisme et ses transes semble pour le moins discutable. Mais ne boudons pas notre plaisir, elle est vraiment très jolie et en plus ma photo est réussie. 

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(Statuette de prêtre, Sierra Morena, Espagne, âge du fer celte, British Museum, Londres)

 

Mais toutes les sociétés n'utilisent pas l'intermédiaire d'un chamane. Pour d'autre, c'est une société secrète, dans laquelle l'importance de l'initiation, de l'élection est primordiale. C'est alors un petit groupe, fermé, avec ses grades et ses interdits, qui sert d'intercesseur avec les forces de l'autre monde. C'est notamment le cas de nombreuses sociétés africaines mais aussi océaniennes. Cet aspect est mis en avant avec talent, sans en faire trop car le risque existait vu l'abondance des collections du Quai Branly à ce sujet.

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(Masque tubuan, Population tolaï, Nouvelle-Bretagne, XXe s., Museum d'Histoire Naturelle de La Rochelle)

 

Quelques panneaux abordent, à travers peu d'oeuvres mais toutes pertinentes, la question des clowns sacrés. Sont rassemblés sous ce termes de clowns tous les fous, les bouffons, les personnages marginaux qui jouent un rôle d'intermédiaire religieux justement par leur attitude hors norme, hors de la société "normale". Leur marginalité en fait des êtres sacrés dans certaines cultures, pour peu qu'ils adaptent cette marginalité aux formes attendues par leurs contemporains pour pouvoir tolérer leur comportement. Coprophages, bouffons rituels, fous de dieux et ascètes nus forment cette vaste famille des gens que leur place "limite" dans la société transforment en puissants intermédiaires avec l'autre monde, bénéficiant d'un accès ouvert par leur équilibre entre les mondes. On nous présente successivement d'excentriques moines zen, un qalandar persan (forme de soufisme ascétique), des fols-en-Christ, ces gyrovagues provocateurs, 

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(Saint Jean et Procope d'Oustioug, vers 1660-1700, Russie, Ikonen Museum, Recklinghausen)

 

Un peu plus loin, on retrouve un clown amérindien, Kachina Koyemshi (ce qui signifie tête-de-boue) un personnage farceur et joueur très apprécié dans les cérémonies des indiens Hopi.

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(Masque de Kachina Koyemshi, population hopi ou navajo, Etats-Unis, 1ère moitié du XXe s., Musée d'ethnologie de Leyde, Pays-Bas)

 

Mais si le chamane a le pouvoir de faire des voyages dans les autres mondes et de faire appel à des esprits auxiliaires, tout cela n'est pas sans anodin et sans danger. Le chamane possède aussi, dans certaines cultures, la capacité de se métamorphoser, le plus souvent en prenant une forme animale. Cette forme est un vecteur supplémentaire pour le dialogue avec les esprits et les voyages mystiques. A ce titre, un exceptionnel pectoral en tumbaga (alliage d'or et de cuivre) est présenté; il vient du British Museum où, malgré nos différentes visites, nous n'avons pas souvenir de l'y avoir vu exposé.

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(Pectoral en forme d'homme-oiseau, culture Cauca, Colombie, XI-XVIIe s., British Museum)

 

Quand l'on utilise les mots suivants : chamanisme, transe, voyage, métamorphoses... on finit par penser à l'utilisation de produits plus ou moins étranges pour parvenir à la transe et pénétrer dans le monde des esprits. Et sur ce sujet, l'Amérique précolombienne (et jusqu'à nos jours en fait) en connait un rayon. Toute une vitrine évoque l'ingestion de drogues naturelles diverses pour mieux communiquer avec l'autre monde : ayahuasca, peyotl mais aussi... urine de cerf! Toutes sortes de choses qui attire désormais l'occidental un peu new-age en mal de "rapport authentique avec la nature" et de "sagesse des anciens chamanes"... La télévision fait de temps en temps des reportages sur ce genre de fêlés.

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(Vase pour l'ingestion de l'urine de cerf par le chamane, culture mochica, Pérou, 100-800 après J-C, Collection privée)

 

Pour illustrer l'utilisation de ces psychotropes, une sculpture contemporaine, beau travail du verre des artistes Berdaguer et Péjus, intitulée "jardin d'addictions". C'est assez impressionnant, plutôt sympathique mais hélas, c'est sensé nous diffuser (au moins de très près) des odeurs; or cela ne sent strictement rien!

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(Berdaguer et Péjus, Jardin d'addiction, 2011, Collection CIRVA, Marseille)

 

Toute cette partie purement chamanique est vraiment formidable, mais si l'on doit lui faire un reproche, c'est le manque de clarté du parcours. On ne sait pas toujours très bien où aller ni dans quel ordre prendre les choses, ce qui fait que l'on subit parfois des retours en arrière ou des incompréhensions dans le discours. Le chaos est là aussi et malgré tous les esprits présents, cela reste un peu désordonné!

J'ai prêté une certaine attention à une très jolie pièce exposée un peu en catimini et à laquelle peu de gens semblaient prêter attention. Et pourtant, on ne peut que saluer encore une fois le courage du musée ethnographique de St Pétersbourg qui prête des pièces vraiment très délicates (ici de l'écorce). Ce tapis de chamane arbore un symbolisme complexe représentant le voyage du chamane : la grenouille centrale évoque l'inframonde tandis que les serpents et lézards assurent la connexion avec les autres mondes. Ce tapis sert de support à la transe dans laquelle arrive le chamane par le chant et la musique. 

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(Tapis de chamane, population orotche, Sibérie, fin XIXe - début XXe s., Musée éthnographique de la Russie, St Pétersbourg)

 

Une petite vitrine prend place un peu au milieu de la vaste pièce et semble consacrée à la culture taïno, celle de ses premiers indiens découverts dans les îles américaines et aussi les premiers à disparaître totalement. Le musée du quai Branly, héritier partiel du musée de l'Homme, en conserve quelques beaux exemples et s'est rappelé par exemple de ces siège duho, que les premiers Européens prirent pour de simples sièges cérémoniels mais qui étaient en réalité l'apanage du chamane qui y consommait des produits hallucinogènes pour entrer en transe. 

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(Duho, population taïno, Caraïbes, XIVe s., Musée du Quai Branly)

 

Une très belle vitrine présente également toutes sortes de petites statuettes ou poupées symbolisant un des esprits auxiliaires maîtrisés par le chamane. Très souvent ces esprits ont une forme animale et peuvent parfois représenter la transformation subie par le chamane dans certaines cultures.

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(Esprit auxiliaire, Groenland, 1ère moitié du XXe s., Musée national du Danemark, Copenhague)

 

On sera surpris également par la présence d'un grand poteau venu d'Araucanie dont la proximité formelle avec les statues de l'île de Pâques est étonnante.

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(Poteau cérémoniel rewe, population mapuche, Chili, XXe s., Musée du Quai Branly)

 

Je passe rapidement sur l'affreuse grande vitrine intitulée "épicerie des forces". Elle constitue à mon sens le très gros point noir de l'exposition.

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En effet, un peu fatigué ou paresseux, le commissaire d'exposition créa cette vitrine en y accumulant sans aucune méthode des objets hétéroclites. Et il vit que c'était bon. Mais ça ne l'était pas.

Et puis, il se dit que les cartels étaient un truc obligatoire mais un peu pénible, alors il les plaça tous à la suite sur un mur non loin de là, mais assez pour décourager le visiteurs de faire de multiples allers-retours. Et il vit que c'était bon. Mais c'était nullissime.

Bref, nous sommes passés rapidement, tant l'ensemble était mal fichu ici, alors même que les pièces présentaient pour la plupart un intérêt certain.

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(Poupée de transformation, population tlingit, Alaska, fin XIXe s. - début XXe s., Metropolitan Museum of Arts, New York)

 

 

L'un des désordres le plus fréquemment rencontré par l'être humain est celui qui touche son corps. Grave ou bénin, peu importe. Toujours le sorciers, le chamane, le rebouteux, les dieux sont là pour tenter une guérison. Cette belle section débute avec une série de petits personnages d'époque hellénistique, tous difformes ou souffrant de maladies handicapantes. Le reste n'est pas décevant, avec quelques pièces vraiment spectaculaires, comme cet énorme masque srilankais représentant les démons des maladies

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(Masque des 18 démons de maladie, surmontés de leur maître Maha-Kola Sanniya, Sri Lanka, avant 1899, Université d'Oxford)

 

Encore une fois, la mise en rapport de pièces d'origines et de traditions très diverses est plutôt réussie, même si certaines sont parfois tirées par les cheveux. Ainsi, l'on a placé ce beau St Michel terrassant le dragon ici car il était souvent évoqué par la religion populaire comme exorciste et protecteur. Pourquoi pas... le tableau est très beau et on est toujours heureux d'admirer ce genre d'oeuvre, mais il y avait peut-être, pour évoquer la lutte du catholicisme populaire contre la maladie, des objets plus parlants, moins conventionnels et savants aussi, sur lesquels on aurait pu placer un discours sur les questions de transition païen - chrétien au Haut Moyen Âge. C'est dommage de s'être contenté de cela alors même que la dernière partie de l'exposition (on y arrive bientôt!) offre de belles collections d'ethnographie européenne.

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(Josse Lieferinxe, St Michel terrassant le dragon, fin XVe s, Musée du Petit Palais, Avignon)

 

Mais le désordre du corps n'est pas forcèment l'oeuvre d'un démon qui instille une maladie. La grossesse est un désordre parfaitement naturel, mais qui modifie le corps. Et cet état d'entre-deux est source de dangers, qu'il faut écarter. Alors on reste un peu perplexe devant ce masque d'exorcisme destiné à protéger les femmes enceintes, qui nous montre une scène moyennement rassurante autant pour la femme que pour l'enfant à naître... Mais après tout, si cela nous fait peur, les démons aussi doivent être effrayés.

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(Masque d'exorcisme pour protéger les femmes enceintes, Sri Lanka, XIXe s., The Field Museum of Natural History, Chicago)

 

C'est peu après avoir visité cette section que les premiers appels à la fermeture du musée retentissent. Conscients que nous n'avons pas le temps d'achever correctement notre visite, nous décidons de nous arrêter là.... et de revenir finir tout cela le lendemain! Nous sommes un peu acharnés, c'est vrai...

 

On débute donc la partie appelée catharsis, qui évoque surtout les fêtes des fous, carnavals et autres phénomènes d'inversion permettant le renversement temporaire des codes et des hiérarchies sociales pour mieux le remettre en marche une fois la "folie" achevée. Une sorte de désordre d'autant mieux contrôlé qu'il fait partie de l'ordre normal, intervenant à intervalles réguliers. Ici, à de rares exceptions près, nous sommes dans le domaine européen, ces manifestations étant placées si l'on en suit l'exposition, dans la droite lignée des bacchanales antiques. 

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(Théodore Chasseriau, Femmes aux tambourins, 1ère moitié du XIXe s., Musée du Louvre)

 

Même Picasso est convoqué. Il y a d'ailleurs plusieurs Picasso présentés au cours de l'exposition, de façon très pertinente, vu le travail effectué par le peintre sur les formes d'art tribales, populaires, "primitives" et son goût pour l'excès. En contrepartie, vu le nombre et la qualité des pièces présentées, j'imagine que la valeur d'assurance de l'exposition doit aussi faire dans l'excès et dans le désordre. Sans doute un parti-pris muséographique jusque dans les questions administratives et financières! Quoi qu'il en soit, nous ne nous en plaindrons pas.

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(Pablo Picasso, Faune avec étoiles, 1955, Metropolitan Museum of Arts, New York)

 

Tout ce qui constitue les carnavals et autres folies populaires est convoqué dans cette section : débauche, danse, masques, abus d'alcool, vulgarité, bruit... même la scatologie présente dans ce vilain petit fou en ivoire du XVIe s., avec son chapeau-poulet, qui est très nettement en train de déféquer! Surprenant.

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(Personnage en costume de fou, déféquant, Pays-Bas ou Nord de la France, XVIe s., Musée de la Renaissance, Ecouen)

 

Dans le même esprit mais avec quelques différences, on peut saluer le très beau plateau présentant les costumes liés aux fêtes d'hiver et de la Saint Nicolas en Europe centrale (c'est beaucoup plus effrayant qu'en Lorraine par exemple). Suisse, Autriche, Allemagne du sud... certains de ces costumes d'être fantastiques, de sorcières et de croquemitaines nous rappellent certaines choses vues au magnifique musée ethnographique du Tyrol à Innsbrück. Mais ce genre de costumes et de fêtes, résurgences de vieilles fêtes païennes liées au solstice et aux saisons, concerne également des régions plus périphériques, comme la Sardaigne ou la Bulgarie. L'ensemble réuni ici est passionnant et superbe, même si je ne passerai pas la nuit au musée à côté d'eux.

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(Costume et masque de Tschäggätä, Lötschental, Valais, Suisse, 1880-1900, Museum der Kulturen, Bâle)

 

La conclusion de cette belle exposition - je le répète - au sujet passionnant et pas avare en objets d'un grand intérêt, laisse un peu à désirer. On finit avec quelques oeuvres d'art au sens occidental du terme : tableaux, photos, installation. L'installation, malgré sa débauche de trucmuches et de symbolisme lourdingue, ne possède hélas ni la grâce ni la folie de tout ce que l'on a pu voir auparavant. Paradoxalement, c'est l'une des rares pièces sans âme, un comble dans une telle exposition. Pour dialoguer avec cet amoncellement, on peut voir notamment un tableau de Bosch et un autre de Ben... Dommage de finir sur une impression mitigée. Si l'on tenait à rester dans l'aspect "populaire" des choses, pourquoi n'avoir pas évoqué par exemple, soyons fous, les super-héros américains et leur cohorte de méchants qui viennent établir sans cesse le désordre le plus violent et le plus destructeur, avant d'en être empêché par le super-héros. Une beau portrait du Joker de Batman par exemple...

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(Installation d'Arnaud Labelle-Rojoux, 2012)

 

Quoi qu'il en soit, pour vous faire un avis par vous-mêmes, dépêchez-vous, il ne vous reste que jusqu'à dimanche! 

 


Comme il nous restait du temps avant la fermeture et qu'on était un jour de match de l'équipe de France, nous en avons profité pour aller voir un peu les changements réalisés dans la section Afrique des collections permanentes. C'est une politique intéressante que de faire un peu tourner les collections et de renouveller les présentations. Dans le cas des superbes statues du royaume d'Abomey (déjà longuement évoquées dans une exposition consacrée à l'art de cet ancien royaume), une meilleure mise en valeur était nécessaire. Elles étaient jusque là presque cachées dans un renfoncement, peu visibles. Désormais bien placées, elles sont mieux mises en lumière (si j'ose dire, vu la pénombre permanente du musée). Ces oeuvres uniques trouvent enfin une place de choix bien méritée. 

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(Sossa Dede, Bochio mi-homme mi-poisson du roi Béhanzin, vers 1890)

 

L'Ethiopie fait également l'objet d'une mise en valeur avec l'exposition déroulée de très beaux manuscrits sacrés, dont l'iconographie est bien détaillée sur les cartels. Et a priori, ce vaste renouvellement des salles est loin d'être achevé! De quoi y retourner encore et encore.

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(Rouleau, XVIIIe s. (?), Ethiopie. Détail : Comment Salomon tua les rois des forgerons)

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