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Nouvelle Feuille
25 décembre 2008

Si vous ne devez en lire qu'un de lui...

NB: Comme ça fait un bail que je n'ai rien écrit ici, pour la peine, je me permets de remettre dans la tête de tout le monde l'immense auteur (vivant) qu'est Pierre Pelot en plaçant ici ce que j'avais écrit en mai 2006 à propos du livre C'est ainsi que les hommes vivent, dudit Pelot, que je vous engage plus que jamais à lire! Une idée de cadeau pour Noël en retard...


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"N'ayons pas peur des mots, ce livre est un chef-d'œuvre. Toutefois, quelques avertissements sont de rigueur :
Attention aux âmes sensibles, certains passages sont très violents.
Attention aux paresseux, le bouquin en question fait 1111 pages.
Attention aux puristes de la jolie langue française classique, le livre contient des tournures archaïques ou vosgisantes.
Attention aux groupies de C.M., C.L. et C.A (j'ai cru comprendre que c'était ces trois Grâces qui créaient le débat actuellement !), c'est un vrai livre d'aventure, sans introspection ni nombrilisme de l'auteur.
Attention aussi aux amateurs de Beigbeder ou Sollers, notre écrivain ne passe pas à la télé, ou alors de façon homéopathique.
Attention aux parisianistes, notre homme gîte à Saint-Maurice, au fin fond des Vosges.

Si après tout cela, vous lisez encore ces quelques mots, c'est que le livre peut vous intéresser. Et il faut s'y intéresser. C'est le grand roman français de la rentrée, peut-être même de l'année. Une amie m'a fait la réflexion qu'il était tellement exceptionnel qu'on dirait presque un roman étranger.

A ce moment, vous me direz : Oui, mécékoiki raconte le Pelot, dans son gros bouquin? Voyons donc l'histoire. Ou plutôt les histoires. Car il y en a deux, au départ sans grand lien entre elles :
Fin de l'année 1599, on brûle une sorcière dans Remiremont. Une pauvre femme victime de la méchanceté des hommes de son village. Au passage, peu avant le bûcher, la femme accouche d'un petit garçon (scène difficile que celle de l'accouchement en prison !). Une jeune dame, Apolline d'Eaugrogne, arrive dans la cité des chanoinesse le même jour, pour devenir religieuse auprès de sa tante. L'enfant de la sorcière sera déposé devant la porte d'Apolline qui recueillera le jeune Dolat, qui deviendra plus tard son amant. A partir de là, à grands coups de chapitres de 100 pages, Pelot nous donne à voir une immense histoire d'amour, deux destins liés, dans une époque troublée et violente. Fuite éperdue, vie paysanne, attaques de malandrins divers, brèves étreintes sensuelles, à l'époque où Français et Suédois ravageaient le duché de Lorraine, suivis par des hordes sauvages de barbares et de renégats menant les pires exactions (un estomac bien accroché est conseillé pour la lecture de certains "crimes de guerre"). L'extrême violence de l'époque, et même de Dolat, en permanente reconstruction mnésique, contraste avec l'image du geste désespéré d'une musaraigne a demi "amortée" pour se protéger, image qui revient régulièrement.

400 ans plus tard, soit la fin 1999, dans les alentours d'un autre drame, celui de la tempête. Lazare Favier, de son vrai nom Grosdemange, enfant du pays qui a réussi dans le journalisme de guerre, est de retour dans son village natal. Installé chez son frère à l'occasion de l'enterrement de leur mère, cela fait plusieurs mois qu'il y est. Car depuis, il a été victime d'une attaque cardiaque, et enquête sur Victor Favier, un ancêtre bagnard en Nouvelle-Calédonie. Triple quête de la mémoire : mémoire personnelle, mémoire familiale, mémoire du pays. Et quelques passages bien sentis sur les chasseurs ou les magouilles (enfin, les "arrangements") politiques du département (le nom de l'omnipotent sénateur-maire de Remiremont, M. Vancelet, est transparent) sont un vrai régal.

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Peu à peu, les deux histoires, en dehors du simple cadre géographique, présentent de multiples similitudes : perte de mémoire, rencontres imprévues, etc. Se rejoindront-elles ? (question purement rhétorique).


Bon, je sais ça peut paraître terriblement foisonnant, mais je rassure les anxieux, pas besoin de dresser une liste des personnages pour s'y retrouver. Malgré un vocabulaire d'une grande richesse et la faiblesse du petit lexique de fin d'ouvrage, pas besoin d'un dictionnaire du XVIème siècle ou d'un arrière-grand-père bressaud, la compréhension des mots inconnus est facile et intuitive, même pour celui qui a d'incurables lacunes en patois vosgien.

Et puis, j'en suis certain, vous vous laisserez emporter par les longues phrases pelotiennes, chantournées de mots évocateurs et migrabonds, et la beauté des paysages décrits avec patience, et les scènes violentes, dures, racontées avec force et réalisme ; le tout porté par un art de la métaphore et de "l'expression" assez rare aujourd'hui.

Au final, que dire de plus, sans raconter toute l'histoire ? On peut dire que Lazare Grosdemange, c'est Pierre Pelot, du moins en partie. Grosdemange est le vrai nom de Pelot, et comme il a réchappé lui aussi d'une attaque, le prénom de Lazare est significatif, bien que Pelot se défende d'y avoir pensé en écrivant.

Alors à tous les gens qui veulent un vrai bon roman français, roboratif, qui tienne au ventre et fasse plaisir au cerveau, je veux faire partager mon enthousiasme pour un très grand auteur trop mal connu. Faites l'effort de le lire, et je suis prêt à deux paris : si vous le commencez, vous irez au bout, à coup sûr. Si vous allez au bout, vous ne serez pas déçu et serez heureux d'avoir découvert quelque chose d'aussi magnifique. En somme, si vous ne devez lire qu'un livre cette année, lisez celui-ci. En sortant de ce tourbillon foisonnant, votre tête vous tournera peut-être encore un peu, tout abasourdi d'en avoir oublié jusqu'à votre vrai nom. J'espère que mon résumé n'est pas trop embrouillé. Mais j'en ai déjà dit beaucoup, trop sans doute. Mieux vaut lire et se taire."


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Extraits:

Alsaciens
"- Vous êtes pas alsaciens, dit l'homme.
- Non.
- J'vois ça, dit l'homme. Pis j'entends, aussi.
[...]
- J'les aime pas, ajouta-t-il — demandant : Savez pourquoi, mon homme ? (Mansuy fit un signe de tête pour signifier qu'il ne savait pas.) Parce qu'ils nous prennent tout su' la montagne. Sont riches à en crever, mais y crèvent pas, au contraire, y sont à cens et arrentés pour tout c'qui s'arrente sur les pâtis et les chaumes d'Monseigneur, tout c'qu'est pas du finage des villages. V'là pourquoi. Les mynes, c'est eux et pis des gens d'Autriche. Les marcairies c'est eux. Les chaumes où qu'y font pâturer leurs troupeaux d'rouges bêtes, c'est eux. Qu'est-ce qui nous restera ? Où qu'on va aller, bientôt, nous autes ?" p. 268

Récuse-poto
"Il revit Turficon qui déjà à l'école était insupportable, et dont le patronyme interactif n'arrangeait pas la sociabilité, déjà sournois, adipeux, les lèvres ourlées d'une salive soulignant chaque mot, le premier à ricaner en douce quand un malheur arrivait à quiconque, un cafardeur, un «récuse-poto», un qui sans hésiter aurait vendu du beurre aux boches, et sa mère avec, si la guerre ne l'avait pas pris de vitesse. Turficon, un sale con." p. 371

Les vieux
"C'était jouer avec son coeur une dangereuse partie. Mais n'en redoutant pas alors le risque purement physique encouru, il sua et rauqua en parfaite inconscience, la meute de vieux opiniâtres sur les talons et leur bourdonnement qui le poussait au cul — même dans les raidillons les plus rudes il y en avait toujours au moins un pour lâcher quelque considération, y aller de quelque plaisanterie.
Ces gens-là, se dit Lazare plusieurs fois et jusqu'à la totale conviction, devraient être interdits. Lui qui n'était pas encore de leur nombre s'en trouvait exclu à jamais et ne se souvenait étonnamment pas avoir autant peiné dans les montagnes du Kosovo, sur les sentes du Panshir à la rencontre de Massoud." p. 535

Patrimoine
"Qu'est-ce qu'elle a donc, ma maison, que vous avez l'air de plus pouvoir vous en passer ? que je lui demande. Et le voilà qui se lance dans ses grandes phrases tellement tarabiscotées qu'on dirait un patois inventé tout exprès pour qu'on y comprenne rien. Pour me dire la valeur historique, le patrimoine, tout ce bordel, et pis l'étang, etc... Et enfin pour me dire que ça serait un sacré pavillon de chasse. Faudrait savoir. Où qu'ils vont le caser leur patrimoine, dans leur pavillon de chasse ? Je t'en fous, moi, tiens." p. 814

Paysage de guerre
"Ici, l'ouragan avait transformé la forêt en paysage de guerre, laissant de loin en loin un arbre à demi plumé dressé droit comme un malheureux survivant condamné de toute façon à une mort imminente ; pour le reste, ce n'était que troncs brisés à une hauteur de deux ou trois mètres, tordus et hachés par un même abattement, une même poussée, un fléau tout à coup appelé d'un autre âge, et les fûts en travers ici et là, en tous sens, et les cadavres gris exsangues jonchant la scène du carnage. Et là-dessus béant d'une infinie indécence la fente grise du ciel qui pleurait". p. 946

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