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Nouvelle Feuille

21 septembre 2014

Cambodge 4 : Le Bayon et ses environs

Situons tout de suite les choses pour ceux qui ne verrait pas trop de quoi il s'agit: le Bayon est un des temples angkoriens les plus connus grâce aux visages géants qui ornent les tours. Si vous ne voyez pas de quoi il s'agit, ça ressemble à ça:

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(Bayon, tour à visages)

 

On en avait déjà un peu parlé à l'occasion de l'exposition du musée Guimet sur Delaporte, mais il faut bien avouer que malgré leur beauté et leur grand intérêt historique, ces moulages ne donnent qu'une faible idée de la taille et de la majesté de la chose.

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(Bayon, entrée principale)

 

Le Bayon se situe au centre géographique exact de la cité d'Angkor Thom. Il est le temple d'Etat de Jayavarman VII, le plus célèbres des rois d'Angkor. De loin, on ne peut pas rater sa masse imposante qui ressemble un peu à un tas de pierres. C'est de près que sa richesse décorative nous apparaît avec évidence.

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(Bayon, vu de sud)

 

Nous pénétrons dans le temple par l'entrée principale, une chaussée bordée de bassins qui débouche sur un gopura - une porte monumentale - , selon le schéma classique que nous avons déjà vu et que nous serons amenés à revoir de nombreuses fois.

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(Bayon, Mur d'enceinte)

 

Plus que les immenses visages, qui frappent plus quand on se trouve aux 2e et 3e niveaux, c'est surtout la profusion de bas-reliefs et de décoration qui nous marque dès nos premiers pas dans l'enceinte du temple.

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(Motifs décoratifs, porte Est)

 

Les décors qui ornent les accès reprennent les figures assez classiques de l'art khmer : danseuses (apsaras), gardiens, motifs géométriques, décors architecturés et floraux, etc... tout ce que l'on retrouve sous sa forme la plus classique à Angkor Vat.

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(Bayon, Apsara)

 

La vigueur et la liberté avec laquelle les artistes du Bayon ont réinterprétés les motifs d'Angkor Vat surprend et tranche avec l'aspect solennel et austère des visages énormes qui dominent le temple. 

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(Bayon, danseuses et décors floraux)

 

C'est quand on se trouve face aux sculptures du mur extérieur du premier niveau que l'originalité du Bayon par rapport aux autres grands temples-montagnes du Cambodge apparaît. En effet, sur 1.2 km de long se déploient de grands tableaux sculptés à la narration riche et complexe qui en fait l'une des grandes sources d'informations sur la vie dans l'ancien royaume khmer.

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(Bayon: Relief de la fuite des Cham; départ des soldats khmers au combat)

 

Le premier panneau évoque, sur trois niveaux, la fuite des soldats Cham devant les troupes de Jayavarman VII. A mesure que le regard s'élève, les scènes deviennent moins lisibles, car elles sont noircies et parfois non achevées.

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(Bayon: Relief de la fuite des Cham)

 

Au-delà de l'aspect militaire et royal, l'intérêt de ces scènes est aussi que l'on peut voir représenté des scènes de la vie quotidienne: charrettes à boeufs, cueilleurs dans les arbres, femme portant un bébé, présence d'animaux de ferme, etc... 

A l'angle sud-est, le thème change et l'on découvre un panneau plus petit sur lequel de petites scènes évoquent des rites religieux shivaïtes. Le temple a en effet été construit par le roi bouddhiste Jayavarman VII mais a ensuite connu un retour vers l'hindouisme. Nous le constaterons également dans d'autres temples, où les traces d'iconoclasme dans un sens ou l'autre sont parfois visibles.

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(Bayon: Relief du culte du lingam)

 

Arrivé à l'angle des murs est et sud, on découvre qu'une partie est inaccessible car toujours en travaux de restauration, par une équipe japonaise il me semble.

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(Restauration des reliefs de l'enceinte sud du Bayon)

 

Nous faisons donc un détour par les espaces intérieurs, en l'occurence la cour du premier niveau. C'est là que nous attend la vue des multiples tours à visages qui sont l'un des symboles de l'art angkorien.

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(Bayon, cour du 1er niveau)

 

 

Le Bayon est l'un des temples qui a bénéficié de l'anastylose la plus complète; malgré sa complexité, son plan est donc assez lisible et l'on peut observer au mieux des éléments qui sont souvent effondrés ou disparu ailleurs, comme ces galeries ouvertes aux toits caractéristiques.

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(Bayon, cour du premier niveau, galeries ouvertes)

 

Nous retrouvons la galerie du mur d'enceinte extérieur. Sur ce long mur, la guerre entre Khmers et Cham se poursuit, mais cette fois au cours d'une bataille navale qui semble épique.

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(Bayon : Relief de la bataille navale)

 

Cet immense relief est sans doute l'un des plus beaux et des mieux conservés in-situ. Il raconte une grande bataille navale sur le lac Tonlé Sap (au coeur du Cambodge). On est frappé par la grande richesse des détails présents dans la bataille proprement dite où s'entremêlent les armes et les corps, mais aussi autour de la bataille.

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(Bayon : Relief de la bataille navale)

 

C'est cette abondance de petits détails et d'éléments amusants tirés de la vie quotidienne qui rendent l'ensemble des reliefs du Bayon inoubliables. Un peu à la manière des artistes de la fin du Moyen Âge qui plaçaient comme pour meubler leurs tableaux aux sujets souvent religieux, une quantité de petits détails curieux issus de la vie quotidienne ou de l'imaginaire.

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(Bayon : Relief de la bataille navale, détail)

 

Ici, il s'agit de détails animaliers très abondants : veau têtant sa mère, crocodile mordant un des soldats tombé du bateau, poisson qui en dévore un autre, etc... Un peu plus rarement, ce sont des scènes de la vie villageoise, liées ou non au sujet du relief: préparation d'un grand banquet, femme qui accouche, etc.

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(Bayon : Relief de la bataille navale, détail)

 

Le relief suivant poursuit l'histoire immédiatement après la bataille navale: les derniers bateaux des Cham coulent, la bataille se poursuit sur le rivage et les scènes de vie quotidienne prennent encore plus de place. On remarque au passage un fait que l'on retrouve très fréquemment dans la décoration des temples khmers: la plupart du temps, les sculptures sont inachevées. Les travaux d'aménagement d'un temple prenaient en effet beaucoup de temps et, dès que le roi qui était à l'origine de la construction disparaissait, la construction cessait. Ce qui explique que si les temples sont la plupart du temps achevés au niveau architectural, la décoration est souvent partielle.

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(Bayon: Relief du défilé militaire, détail inachevé)

 

Tandis que nous tournons tout autour de l'enceinte du temple, nous pouvons admirer des reliefs qui nous narrent des défilés de triomphe militaire, des guerres aux belligérants peu identifiables, et d'autres scènes de triomphe, dont ce relief dit du "Roi qui voit tout" sur lequel on peut voir des détails bizarres, comme ce poisson géant qui avale une espèce de chèvre.

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(Bayon: Relief du Roi qui tout, détail)



Les autres reliefs décrivent de nombreuses scènes de défilé autour de la victoire du roi Khmer. L'un des plus intéressant est sans doute le petit relief - largement inachevé - qui nous montre, sans doute à l'occasion de la victoire, un cirque en action. Cela est curieux et permet de faire remonter très loin la tradition du cirque au Cambodge - encore illustrée aujourd'hui par le Phare Ponleu Selpak de Battambang. On peut donc y voir des jongleurs (un homme fait tourner une roue avec ses pieds), des acrobates (un homme qui semble tenir trois nains ou enfants sur ses mains et sa tête), ainsi que des funambules (ce qui rejoint ce que je racontais dans la note précédente au sujet des Prasat Suor Prat, ces "tours des funambules" qui se trouvent en face de la Terrasse des Eléphants).

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(Bayon: Relief du cirque, détail)

 

Les deux niveaux suivants présentent moins d'intérêt en matière de bas-reliefs, le temple étant largement inachevé dans ses parties supérieures. On y croise cependant bien quelques apsaras et des frontons habités de rishis (ascètes).

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(Bayon: apsara)

 

Le second niveau est rectangulaire, comme le premier, tandis que le troisième est circulaire. C'est en déambulant et en grimpant dans ces niveaux architecturalement assez complexes que l'on peut le mieux admirer les fameuses tours-visages.

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(Bayon: Tour-visage)

 

Ces visages au sourire calme et froid sont une représentation du boddhisatva Avalokisteshvara, figure omniprésente dans le bouddhisme mahayana, la religion promue par Jayavarman VII.

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(Bayon: Tour-visage, détail)

 

Certains y voient également une sorte de portrait du roi en question, qui surveillerait ainsi symboliquement son royaume dans toutes les directions grâce à ses 216 visages placés sur 54 tours.

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(Bayon: Tour-visage)

 

Une ou deux choses semblent importantes à préciser: nous visitâmes le Bayon à l'heure la plus chaude de la journée, et ce temple présente assez peu de zones d'ombres, les reliefs par exemple se trouvant souvent en plein soleil. Nous avons fait cela pour éviter les bus de Chinois et de Coréens qui rendent le site presque impraticable le reste de la journée. Mais en contrepartie, nous avions donc grand soif en nous éloignant du sublime tas de cailloux...

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(Bayon: Vue générale)

 

Nous sommes donc allés acheter des bouteilles d'eau à un marchand qui vit sur place avec sa famille, un peu en retrait du chemin principal. Et là, c'est le premier instant "animaux mignons" du jour, car cette petite famille élevait aussi un porc, plutôt joli et très tranquille. 

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(J'ai hélas oublié ton nom! Pardonne-moi, ami cochon!) 

 

Et voilà que, aidé des notions de khmer de Louise, on commence à papoter avec le brave homme qui nous présente et nous annonce les noms de sa femme, son gamin, son cochon et son chien!

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(Un chien très joyeux...)

 

Nous nous dirigeons, sans vraiment suivre la route principale, vers la porte sud d'Angkor Thom (qui mène à Angkor Vat donc). Sur le chemin, nous croisons d'autres petits temples contemporains, souvent constitués d'une esplanade ancienne sur laquelle on a monté une sorte de auvent qui abrite quantité de statues et souvent une moniale qui mendie ou arnaque gentiment les touristes.

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(Petit temple, Angkor Thom)

 

Toujours le long de cette route qui nous mène à la sortie d'Angkor, nous arrivons au 2e instant "animaux mignons" de la journée! 

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(Macaques, Angkor Thom)

 

C'est notre première rencontre avec les singes d'Angkor. On en verra encore et encore et sur de nombreux autres sites. Pas sauvages pour un sou, ces macaques ne sont pas non plus à approcher de trop près: habitués aux touristes, ils se montrent facilement voleurs, voire agressifs au besoin. Ce jour-là en tout cas, nous nous contenterons d'observer une petite famille à bonne distance tout en nous extasiant comme il se doit sur le côté particulièrement mignon des bébés singes. Toutes nos rencontres avec ces bestioles ne seront pas si sereines, on le verra...

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(Macaques, Angkor Thom)

  

Nous quittons l'enceinte de la cité d'Angkor Thom par la porte sud, qui est parfaitement identique et dans l'alignement exact de sa soeur du nord. On ne se lasse pas de la monumentalité de ces portes et des austères visages qui les surmontent.

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(Angkor Thom, Porte sud)

 

Immédiatement au sud de l'enceinte d'Angkor Thom, en longeant les douves vers l'ouest, se trouvent quelques édifices en briques. Tout d'abord un minuscule petit autel garni d'un linga.

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(Autel avec linga, à proximité du Prasat Bei)

 

Une fois dépassé cet autel, nous arrivons au petit temple de Prasat Bei, un édifice en briques à trois tours du Xe s. qui est demeuré inachevé. Et qui ne figure pas dans mon guide, d'où un instant de flottement sur son identification.

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(Prasat Bei)

 

Dans les douves, une petite dizaine de barques "typiques" sont arrimées au bord. Aucun panneau ni personne ne parait traîner dans le secteur, ce qui est curieux tant on imagine l'intérêt touristique important que pourrait avoir un tour en barque autour de l'ancienne capitale khmère.

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(Barques)

 

Non loin de là se trouve le temple, plus imposant, de Baksei Chamkrong. Ce temple shivaïte a été édifié au milieu du Xe s. et abritait une grande statue dorée de Shiva. L'escalier qui mène au sommet de ce temple est d'une raideur incroyable, avec des marches parfois très usées, à tel point que nous renonçons à cette grimpée qui s'annonce comme une escalade. Ce n'est que lorsque nous nous apprêtons à rebrousser chemin que l'on voit un couple de vieux Cambodgiens entamer vaillamment l'ascension. A mesure que nous nous éloignons, nous nous retournons et constatons l'avancée des deux vieux, qui parviennent sans difficulté apparente au sommet... 

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(Baksei Chamkrong)

 

Un peu plus au sud se trouve le Phnom Bakheng. Précisons-le de suite: en khmer, "Phnom" ça veut dire "montagne". Vu que le pays n'est pas vraiment montagneux, ce terme a tendance à désigner la moindre colline qui traîne au milieu d'une plaine très très plate. Ce qui ne veut pas dire que la grimpette pour arriver au sommet ne soit pas ardue.

 

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(Sur la route du Phnom Bakheng)

 

Pour le Phnom Bakheng, la montée est rude, mais ça va encore. Ce qui n'empêche pas certains hôtels de Siem Reap de proposer des services de promenades en éléphant jusqu'au sommet...

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(Montée vers le Phnom Bakheng)

 

La montée dévoile de superbes vues sur les environs et c'est, semble-t-il, l'une des principales attractions du parc archéologique que de venir ici au soleil couchant, pour profiter des vues sur Angkor Vat.

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(Vue depuis le Phnom Bakheng)

 

Au sommet, on découvre un temple de vastes dimensions, mais au plan assez compliqué à lire.

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(Phnom Bakheng)

 

Le plan est rendu encore plus complexe à appréhender car le temple est largement en travaux. Ici ce n'est pas un pays mais l'excellent World Monuments Fund qui gère la restauration du site. 

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(Phnom Bakheng)

 

Le Phnom Bakheng a son importance car il s'agit du premier temple-montagne construit sur le site d'Angkor par Yasovarman Ier après la décision d'abandonner Roluos (à quelques kilomètres de là). Il constitue une sorte de prototype de temple-montagne khmer avec ses cinq niveaux et ses multiples tours et date du tout début du Xe s.

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(Phnom Bakheng)

 

Bien que le temple ne soit pas en aussi bon état que les grands temples "classiques" du Bayon ou d'Angkor Vat, il reste assez impressionnant et les décorations de ses tours ont plutôt bien résisté au temps et aux pillages. Les frises végétales, les apsaras...  beaucoup d'éléments sont déjà là, même si le canon est plus raide, plus hiératique.

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(Phnom Bakheng, tour)

 

Nous sommes alors déjà bien fatigués (je vous rappelle que nous crapahutons depuis 6 heures du matin et sur déjà trois notes de blog!) et nous redescendons. Nous avons décidés de réserver la visite d'Angkor Vat pour une autre journée, mais on ne peut tout de même pas décemment rentrer à Siem Reap sans jeter un oeil dans le temple le plus mythique du Cambodge, celui qui fait tant rêver. 

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(Angkor Vat)

 

Et il faut bien reconnaitre, même si le tour que nous faisons n'est qu'un survol, qu'au-delà de son intérêt architectural, archéologique, historique et culturel, le lieu est assez merveilleux, au point qu'on en oublie presque le grand nombre de touristes présents. C'est un plaisir incroyable que d'être là, d'avoir cette chance et d'en profiter pleinement.

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(Groupe de jeunes moines bouddhistes, Angkor Vat)

 

Nous regagnons Siem Reap en tuk-tuk et passons la soirée dans un restaurant, à vaguement nous endormir sur la table... Cette première "vraie" journée à Angkor aura été bien intense et comme toujours en voyage, nous ne nous sommes pas économisé...

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14 août 2014

Cambodge 3 : Le cœur d'Angkor Thom

Pour la suite de notre journée à Angkor Thom, je remets le plan signé Wikipédia. Comme on a pu le lire ICI nous avons débuté notre visite par le Baphuon. Dans cet article je vais traiter de tout ce que nous avons arpenté à Angkor Thom, à l'exception du Bayon qui fera l'objet d'un article à part.

(Angkor Thom, source wikipedia)

 

Nous pénétrons l'enceinte qui mène à l'ancien palais royal et au temple de Phimeanakas par une imposante porte.

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(Angkor Thom, Porte d'enceinte du palais royal)

 

Elles sont trois du même genre dans cette enceinte du palais royal et c'est l'Indonésie qui se charge de leur restauration. On le constatera au fur et à mesure, Angkor est un lieu tellement mythique et symbolique et le Cambodge un pays tellement démuni, que chaque site archéologique ou bout de site fait l'objet d'une restauration de prestige qui doit rejaillir sur le pays qui s'en occupe: la France au Baphuon, l'Allemagne (qui a remplacé l'Inde après des erreurs graves de conservation) à Angkor Vat, ailleurs le Japon, la Chine ou les Etats-Unis... On pourrait presque dresser une carte d'Angkor en mettant un petit drapeau sur chaque temple selon le pays qui se charge de le restaurer.

Tout cela est fort bien pour le prestige et le tourisme, mais se fait hélas au détriment des fouilles archéologiques proprement dites sur des sites moins spectaculaires. Ce qui fait que l'on connait tout de l'architecture et la statuaire des anciens Khmers mais presque rien sur leurs conditions de vie matérielles dans ce qui était à son apogée (XII-XIIIe s.) la plus grande cité du monde, forte d'environ un million d'habitants.

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(Paillotte présentant le travail effectué par les Indonésiens sur les trois portes de l'enceinte)

 

Du palais royal, on l'a dit, il ne reste rien que les bassins à ablutions que l'on voit sur le plan. Construit par Rajendravarman II au milieu du Xe s., il avait été embelli et modifié par ses successeurs jusqu'à Jayavarman VII au début du XIIIe s..

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(Angkor Thom, Un des bassins du palais royal)

 

Le temple de Phimeanakas était sans doute le temple privé du palais. Construit par le même Rajendravarman II pour Angkor redevenu sa capitale, il est aujourd'hui dans un état stable mais loin d'être aussi excellent que les temples voisins. En raison de ses dimensions relativement faibles et de sa décoration très sobre, il est peu visité, ou alors pour la très belle vue qu'il offre sur le Baphuon.

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(Phimeanakas)

 

Bien que seul un des quatre escaliers soit accessible, on peut grimper sur ce temple. L'ensemble de la visite est ponctué par les panneaux de danger et les cordes à ne pas dépasser. La seule décoration visible se situe sur les angles des terrasses; il s'agit de statues de lions et d'éléphants. Très nettement, ce site a perdu beaucoup de sa splendeur après la chute d'Angkor. L'un des témoignages anciens sur le Cambodge, celui du voyageur chinois Tchéou Ta-Kouan le décrivait comme "La Tour d'Or"... (on pourra lire ici le texte traduit en 1819 du récit de ce voyageur chinois)

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(Phimeanakas, Statue d'éléphant)

 

C'est en suivant assez naturellement le chemin qui part du Phimeanakas qu'on accède à la gigantesque terrasse qui embrasse les environs et plus particulièrement l'immense place centrale d'Angkor Thom.

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(Vue sur la place centrale et les prasat Suor Prat)

 

On présume que depuis cette esplanade composée de deux terrasses (terrasse des Eléphants et terrasse du Roi Lépreux), les rois Khmers et leur cour assistaient aux défilés, parades et autres évènements publics dont les reliefs de certains temples portent la trace.

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(Terrasse des Eléphants vue depuis la Terrasse du Roi Lépreux)

 

La Terrasse du Roi Lépreux porte ce nom de convention grâce à la statue qui a été découverte à son sommet et qui se trouve aujourd'hui au musée de Phnom Penh. Aujourd'hui remplacée par une copie pour éviter les pillages (cf. photo plus haut), son interprétation fait débat, mais il est certain qu'elle ne représente pas un roi atteint de la lèpre mais sans doute le dieu Yama. C'est la pierre utilisée qui, avec le temps, était devenue lépreuse... Quoi qu'il en soit, cette statue fait toujours l'objet d'une certaine dévotion.

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(Copie de la statue dite du Roi Lépreux, au sommet de la terrasse éponyme)

 

Globalement carrée, la terrasse du Roi Lépreux fait environ 25 m. de côté et présente des reliefs évoquant les Enfers (Dvaraka) sur toutes ses faces et sur 5 ou 6 mètres de hauteur.

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(Terrasse du Roi Lépreux) 

 

C'est assez compliqué à expliquer, mais à l'intérieur de la terrasse se trouve une sorte de galerie, une espèce de terrasse dans la terrasse qui lui donne en fait une forme de U fermé... Bref.

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(Terrasse du Roi Lépreux)

 

Toujours est-il que l'on est surpris de la beauté et de la fraîcheur des bas-reliefs qui s'étagent sur 4 à 6 niveaux selon l'endroit.

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(Terrasse des Eléphants, détail)

 

Les reliefs représentent surtout des personnages royaux armées, entourés d'une cour d'apsaras, mais aussi des nagas, des apsaras seules, des gardiens, etc... J'ai fait pas mal de photos, et il a été difficile de n'en choisir que quelques unes pour illustrer cet article. Peut-être devrais-je les mettre en ligne, pour d'éventuels étudiants...

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(Terrasse du Roi Lépreux, détail: nagas)

 

Juste au sud de cette première terrasse débute l'immense terrasse des Eléphants, longue de plus de 300 mètres. C'est sur l'esplanade centrale de cette terrasse que se tenait le souverain quand il assistait aux cérémonies publiques déjà évoquées.

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(Terrasse des Eléphants)

 

Qu'on la parcoure depuis le bas pour en admirer les sculptures ou qu'on se balade sur l'esplanade pour profiter de la vue, tout est impressionnant dans cette terrasse des Eléphants.

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(Terrasse des Eléphants)

 

Par ses dimensions spectaculaires tout autant que par la qualité des sculptures, cette construction est l'une des plus surprenantes. Quand on est comme moi un simple curieux bien loin de tout connaître, on a en tête les grands temples et leurs tours en forme de pains de sucre, mais on n'imagine pas cela car, curieusement ce lieu n'est pas tellement connu du grand public et on a du mal à comprendre pourquoi.

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(Terrasse des Eléphants)

 

La terrasse, relativement rectiligne, est ponctuée de trois avancées au centre et une à chaque extrémité. Chacune de ces avancées s'ouvre sur un escalier et comporte une bonne partie du bestiaire angkorien: la barrière à nagas, le lion, des garudas comme soutien, etc...

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(Terrasse des Eléphants)

 

D'autres escaliers prennent place dans des avancées plus modestes et sont décorés d'éléphants, ou du moins des têtes d'éléphants, les trompes faisant symboliquement office de colonnes. 

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(Terrasse des Eléphants)

 

Des bas reliefs composés à partir des pierres qui constituent le mur de la terrasses représentent soit des garudas (image ci-dessous) soit la fameuse "parade des éléphants" (photo un peu plus haut). C'est la même technique que celle du Bouddha couché du Baphuon (cf. article précédent)

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(Terrasse des Eléphants)

 

Nous quittons ces terrasses qui m'ont particulièrement impressionné, pour nous diriger vers la grande porte du nord de l'enceinte royale d'Angkor Thom. Ces portes monumentales, surmontées de visages, sont l'une des images les plus célèbres d'Angkor. Et il est vrai que, pour peu que la circulation des bus de touristes chinois et de taxis ou autres tuk-tuk se calme un peu, la photo est plutôt frappante. Et si vous capturez une charrette qui passe à ce moment-là sur la route, vous aurez réussi un cliché des plus pittoresques...

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(Angkor Thom, Porte Nord)

 

Les villes-fortes des anciens rois Khmers, un peu comme les châteaux forts du Moyen Âge occidental, voyaient leurs remparts doublés par une douve. Ce qui frappe dans les villes angkoriennes, c'est l'aspect de mangrove qu'ont prises ces douves, ainsi que leur côté très géométriques (en forme de carré parfait, elles doublent le carré des murailles).

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(Douves, nord des murs d'Angkor Thom)

 

Dès qu'on a franchit la porte monumentale, la route devient elle aussi monumentale: en effet, les douves sont franchies par une route bordée de chaque côté d'une de ces fameuses barrière à nagas, comme on peut en voir une (enfin, un bout d'une) dans le grand hall du musée Guimet consacré à l'art khmer. Déjà à Guimet, c'est impressionnant. Mais alors sur place, face à des barrières complètes, c'est incroyable. Et en plus, c'est long d'une bonne centaine de mètres.

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(Barrière à nagas et porte nord d'Angkor Thom)

 

Alors certes, l'ensemble est massif, mais ce n'est jamais au détriment du détail, comme on peut l'admirer sur les statues encore préservées, la plupart ayant malheureusement perdu la tête avec le temps et les pillages.

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(Barrière à nagas, détail)

 

Et puis, sur cette même route, de temps en temps, l'on croise un des livreurs du coin, sur son petit vélo, chargé invraisemblablement de noix de coco fraîches. Pour une poignée de riels, on peut déguster de ces noix très rafraichissantes dans à peu près toutes les paillottes du parc archéologique: on vous ménage une ouverture au sommet de la noix en trois coups de machette, on y plante une ou deux pailles et il ne reste qu'à profiter de l'eau de coco. Un plaisir formidable, que l'on peut compléter en cas de faim par le raclage de la chair à l'intérieur de la noix. 

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(Une leçon d'équilibre)

 

Une précision en effet, car ce n'était pas évident pour nous avant notre visite: L'ensemble de l'immense parc archéologique d'Angkor est toujours habité. Les populations habitent dans de petits villages en bois et travaillent le plus souvent sur le site. Ils sont guides, commerçants pour les touristes, nettoyeurs, artisans, gardiens et surtout paysans, comme nous le verrons plus tard... Il vit aussi sur place un certain nombre de moines, plus ou moins isolés, qui vivent de la charité plus ou moins imposée aux visiteurs de passage qui s'attardent à leur parler. Ici et là, une ancienne terrasse est transformée en temple abritant une statue et la dévotion autour de ces lieux est grande. Cela permet de relativiser fortement la légende des temples perdus dans une jungle impénétrable et hostile. Contrairement à la légende forgée par les récits de voyage, Angkor n'a jamais été totalement abandonnée; elle a simplement été pillée et la plupart de ses temples royaux ont été abandonnés au profit de lieux de culte plus modestes.

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(Tep Pranam)

 

Le Tep Pranam est un cas typique de ce genre de reprise d'un site ancien par le peuple qui habite encore à Angkor de nos jours. Il s'agit d'une grande terrasse bouddhique sur laquelle prenait autrefois une pagode en bois. Elle abrite aujourd'hui un petit sanctuaire qui abrite un grand Bouddha en pierre et quelques nonnes vivent non loin de là.

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(Tep Pranam, Bouddha)

 

Nous continuons au-delà de cette terrasse jusqu'au Preah Palilay, un petit temple excentré au nord-ouest d'Angkor Thom. Construit sous le règne de Jayavarman VII, il était autrefois envahi par les arbres, qui on été coupés mais sans être arrachés. Ce qui fait qu'aujourd'hui les arbres repoussent et donnent un aspect bizarre à ce petit sanctuaire.

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(Preah Palilay)

 

Malgré son état ruineux, ce temple garde encore quelques frontons ornés de scènes de la vie du Bouddha. S'aventurer à l'intérieur est en revanche un peu risqué...

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(Preah Palilay)

 

L'un des plaisirs d'Angkor se situe sans doute aussi dans la visite de ces petits temples isolés, épargnés par l'intense pression touristique chinoise et coréenne. On tombe même sur des petites scènes très campagnardes qui font le charme de ces balades à la recherche des temples anciens. 

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(Dans la famille poulet...)

 

En revenant sur nos pas, et retraversant la terrasse du Tep Pranam, nous arrivons au groupe des Preah Pithu, un ensemble de cinq petits temples entourés par un mur bas.

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(Preah Pithu)

 

Ces cinq temples n'ont pas d'unité entre eux hormis le fait d'être bâtis à proximité les uns des autres. Certains ont des terrasses, d'autres non, certains sont hindouistes et d'autres bouddhistes et leurs époques de construction sont différentes. Pourtant, chaque temple n'est guère distingué de son voisin, à tel point qu'ils ne portent pas convention aucun nom, seulement des lettres : Temple T, U, V, X et Y.

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(Preah Pithu)

 

Ici encore, la fréquentation est faible. C'est pourtant là qu'un adolescent nous tombe sur le poil et ne nous lâche plus, entreprenant de nous faire la visite pour s'exercer à passer, dans quelques années, le diplôme de guide d'Angkor délivré par l'autorité APSARA qui gère le site. C'est bien et il est plutôt gentil mais il se révèle surtout assez collant et surtout ne nous raconte que des généralités qui intéressent assez peu des gens comme nous qui sommes venus faire par nous-mêmes une visite très approfondie.... Bref, il finit par se lasser et va jeter son dévolu sur un couple d'Allemands ou d'Autrichiens.

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(Preah Pithu)

 

Le temple X est sans doute celui des Preah Pithu qui conserve la décoration la plus complète et la plus belle. C'est un temple totalement bouddhiste, sans doute dès sa conception.

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(Preah Pithu, Temple X, Linteau)

 

Toute sa décoration, en particulier les beaux linteaux et les murs du sanctuaire central, porte l'iconographie bouddhique.

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(Preah Pithu, Temple X, Double rangée de Bouddhas)

 

Comme souvent quand il s'agit de temples bouddhiques pas trop effondrés, celui-ci est encore en usage auprès de la population locale:

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(Preah Pithu, Temple X, Sanctuaire central)

 

Le temple T est également très intéressant, notamment pour ce superbe linga.

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(Preah Pithu, Temple T, linga)

 

Les temples T et U sont entourés d'un mur où, comme souvent, poussent sans gêne les arbres énormes.

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(Preah Pithu)

 

Le temple U est une sorte de jumeau du temple T, en format plus réduit mais il présente aussi quelques sculptures assez intéressantes dans le style d'Angkor Vat, particulièrement les linteaux représentant des thèmes shivaïtes. 

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(Preah Pithu, Temple U, Shiva dansant entre Brahma et Vishnou)

 

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(Preah Pithu, Temple U, Barattage de la mer de lait, détail)

 

Depuis les Preah Pithu, nous prenons au sud pour regagner la place centrale d'Angkor Thom. En face de la terrasse des Eléphants, de l'autre coté de la place, se dressent en effet deux bâtiments, les Kleang (nord et sud) dont on ignore encore la fonction exacte: soit des palais soit des bibliothèques. Bien que bâtis à des époques différentes, ils sont assez semblables dans leur conception et leur style.

 

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(Kleang Nord)

 

Et devant ces bâtiments se trouve une série de douze tours alignées, sans doute construites par Jayavarman VII, qui forment une sorte de haie d'honneur le long de la place centrale.

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(Prasat Suor Prat)

 

Ces tours étaient en fait autant de petits sanctuaires. Appelées Prasat Suor Prat, leur nom signifient "Tours des Funambules" car la légende veut que, pour la distraction des rois lors des fêtes, l'on tendait des fils entre les tours pour y exécuter des numéros de funambulisme.

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(Prasat Suor Prat)

 

Nous nous dirigeons alors plein sud et passons devant quelques petits temples ornés des drapeaux cambodgien et bouddhiste.

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(Angkor Thom, Sanctuaire bouddhique)

 

Nous sommes en plein milieu de la journée, nous commençons à fatiguer et surtout à avoir très chaud avec le soleil qui tape vraiment dur sur les pierres. Notre but pour l'après-midi est l'un des temples les plus célèbres de tout le site archéologique: le Bayon, dont nous apercevons les tours au loin.

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(A l'approche du temple du Bayon)

 

Visite détaillée du Bayon et de ses environs dans l'article suivant!

13 août 2014

Cambodge 2 : Le Baphuon

Pour notre première nuit sur place, nous dormons comme des sonneurs. Et nous nous réveillons hyper tôt, sur les coups de 5h30, on est comme des fous. Nous laissons notre guesthouse - simple mais correcte, pour l'équivalent de 5 euros/nuit, il faut pas demander la Lune - et empruntons un des tuks-tuks qui attendent déjà. En réalité à cette heure-ci, bien que le Cambodge se lève très tôt, ils roupillent encore vaguement.

Nous devons batailler entre l'anglais et les bases de langue khmère de Louise pour lui faire comprendre qu'on veut aller à Angkor Thom. Et que non, nous le lui louerons pas son tuk-tuk à la journée, et que non, nous ne voulons pas qu'il nous fasse faire un tour bien défini en nous attendant à chaque temple. Nous savons ce que nous voulons voir, nous aimons marcher et nous avons tellement attendu cette première découverte d'Angkor que nous n'allons pas nous la laisser gâcher en nous donnant l'impression de faire partie d'une visite imposée organisée. Et il faut aussi lui faire comprendre qu'en chemin, nous voulons nous arrêter pour acheter des victuailles.

Cahin-caha, nous remontons donc plein nord sur le boulevard Charles-de-Gaulle qui mène tout droit, après une petite dizaine de kilomètres, au parc archéologique d'Angkor.

Les billeteries sont déjà ouvertes. En théorie, l'entrée du site est payante pour les étranges et gratuite pour les Khmers, qui le plus souvent travaillent ou vivent dans ce qui est le plus grand parc archéologique du monde. Nous y reviendrons. En pratique, comme souvent, tout se passe au faciès de la façon la plus éhontée: vous êtes un blanc (ou un Chinois/Japonais/Coréen) vous payez, partout. Vous avez l'air vaguement d'Asie du Sud, vous ne payez pas. Imaginez un tel système en Europe...

Bref, nous prenons avec fierté nos passes de 7 jours (consécutifs ou non)! Trois formules existent :
- un jour (pour les Chinois pressés qui voient l'essentiel à toute vitesse)
- trois jours (pour la majorité des gens)
- sept jours (pour les fans d'archéologie et ceux qui ont envie de voir les sites éloignés en prenant leur temps).

 

Pour finir ce long laïus sans aucune image, je chourave sans vergogne à Wikipédia un plan d'Angkor Thom, ce ne sera pas du luxe pour comprendre un peu le parcours que nous avons fait ce 26 décembre.

(Angkor Thom, source wikipedia)

 

Notre tuk-tuk remonte dans le parc archéologique et nous passons, cheveux au vent, avec délectation devant Angkor Vat, au milieu de la porte sud de l'enceinte d'Angkor Thom et nous contournons le Bayon... Nous faisons arrêter notre tuk-tuk un peu au nord de ce temple à la position centrale. Il nous dépose là et file. Nous, nous décidons de démarrer en nous éloignant du centre et de revenir vers le Bayon en fin de parcours. Nous allons visiter Angkor Thom dans le sens des aiguilles d'une montre en partant de l'autre grand temple, le Baphuon.

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(Baphuon)

 

Il y a quelques centaines de mètres à marcher pour parvenir au Baphuon depuis le Bayon. Et là, dans la fraîcheur du petit matin (il est environ 6h30), c'est l'émerveillement. La forêt dense qui encombrait des temples en ruines a depuis longtemps disparu dans ces grandes temples très touristiques. Mais quand on y arrive tôt et qu'on est les premiers, on n'est pas très loin de se prendre pour l'un des fameux explorateurs de la région au XIXe s...

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(Un des trois bassins qui encadrent la chaussée du Baphuon)

 

On pénètre sur le site par une gigantesque chaussée surélevée longue de 200 m. qui débouche sur le temple proprement dit, 

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(Chaussée du Baphuon)

 

Au terme de la chaussée, nous sommes enfin dans l'enceinte du temple, que l'on franchit en passant par un des quatre gopuras, ces structures qui sont des sortes de portes-tours situées chacune à un point cardinal de l'enceinte.

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(Baphuon, gopura est)

 

Il est assez émouvant pour nous d'être là. Enfin, nous y sommes, au coeur de ces fameux temples d'Angkor que Louise a tellement étudié et qui font rêver l'Occident depuis un siècle et demi. A l'exception d'un photographe allemand qui prend des vues avec du matériel professionnel depuis la chaussée, il n'y a toujours que nous sur le site. Même les gardiens ne sont pas encore levés. Ah si, dans un des bassins, un Cambodgien est en train de pêcher. Côté sonore, nous entendons sur les bruits des oiseaux qui se réveillent dans la forêt environnante.

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(Alors, on pêche?)

 

Commencé par Suryavarman Ier et achevé par son successeur Udayadityavarman II (accrochez-vous pour le prononcer) vers 1060, le Baphuon était sans doute le temple le plus majestueux de son temps et se trouvait au centre de la cité qui précéda Angkor Thom. Il s'agit, comme souvent au Cambodge, d'un temple-montagne, une représentation symbolique - surtout dans un pays peu montagneux - du mythique mont Méru.

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(Baphuon)

 

Le Baphuon présente plusieurs particularités qui ont font un cas spécial parmi les temples khmers. La première est son histoire récente mouvementée. Le site est en effet depuis le début du siècle et encore à l'heure actuelle une sorte de pré carré réservé aux archéologues français de l'EFEO. Le site, passablement en ruines, devait faire l'objet d'une opération de restauration par anastylose, un procédé déjà utilisé auparavant sur de nombreux autres sites archéologiques, et particulièrement parmi les temples d'Angkor.

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(Baphuon, encadrement d'une fenêtre, scènes animalières, de chasse et de combats)

 

L'anastylose consiste donc à remonter un bâtiment grâce à l'étude des morceaux épars et la façon dont ils devaient s'agencer. Dans le cas des temples angkoriens, il fallait d'abord démonter le bâtiment pierre par pierre pour pouvoir en dégager les arbres, numéroter chaque pierre et enfin remonter l'ensemble. Dans le cas du Baphuon, on parle d'environ 300 000 pierres!

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(Baphuon: à certain endroits, l'anastylose est très visible)

 

Jusque là cependant, rien de plus extraordinaire que ce qui a été fait pour les autres temples du secteur. Ce qui devient une autre affaire quand on sait que l'anastylose du site a été décidée à la fin des années 1960. Soit exactement la période où la guerre allait arriver dans le coin de Siem Reap et se conclure en 1975 avec l'instauration du régime Khmer Rouge sur tout le pays. Si les Khmers Rouges ne s'en sont pas particulièrement pris aux temples, ils ont détruit l'ensemble des relevés et archives produits par l'EFEO... Qui s'est donc retrouvée en 1995, une fois la paix revenue, avec tout à refaire, sans plans...

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(Baphuon: certaines pierres n'ont pas encore trouvé leur place dans l'édifice)

 

Les travaux de ce gigantesque puzzle en 3D se sont échelonnés de 1995 à 2011. Il n'est donc possible d'admirer et d'arpenter ce magnifique temple dans son état actuel que depuis quelques courtes années.

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(Baphuon)

 

L'autre particularité qui fait de ce temple un lieu vraiment unique c'est son occupation tardive, longtemps après le roi qui en était le commanditaire et surtout le fait que cette occupation a donnné lieu à des modifications très importantes dans la structure du temple au point de troubler les archéologues au moment de remonter l'ensemble. En effet, sur la face ouest, les pierres du mur sont installées de façon à présenter la forme d'un très grand bouddha couché, dans le mur même du temple. 

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(Baphuon : façade ouest, bouddha couché)

 

Alors ce n'est pas forcèment hyper parlant sur la photo, mais avec un petit effort, on le distingue bien. Sinon, il y a les panneaux explicatifs de l'EFEO, qui ont l'avantage d'être en français.

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(Cliquez pour agrandir si besoin)

 

On imagine aisèment les problèmes déontologiques qui se posent à l'archéologue: comment reconstruire? fidèle à quelle époque? Le temple classique du XIe s. ou le temple modifié et bouddhisé du XVe s. (ou plus tard)? La solution choisie, intermédiaire, semble satisfaisante et offre l'avantage de pouvoir admirer ce très étonnant bouddha.

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(Baphuon)

 

Mais revenons à notre promenade dans ce temple car, encore une fois, c'est le premier que nous visitons de notre vie. Le temple est composé d'enceintes et de terrasses successives jusqu'au petit sanctuaire situé au sommet de l'ensemble.

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(Baphuon, Colonne)

 

La décoration est omniprésente dans ce temple. La pierre est sculpté presque partout: les colonnes, les encadrements des portes, les fausses-fenêtres, etc. Dans les rares espaces vides, on trouve parfois le souvenir graffité d'un pieux visiteur d'une époque inconnue.

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(Baphuon, Graffiti bouddhiste)

 

La sculpture en bas-relief est le plus souvent un mélange de formes végétales et/ou géométriques qui servent d'encadrement à un programme iconographique plus précis, le plus souvent des scènes issues des grands mythes fondateurs de l'hindouisme, en particulier le Reamker (la version khmère du Ramayana) ou plus isolés, des éléments plus isolés typiques de l'iconographie hindouiste, comme des nagas, des makaras, des éléphants, des lions. Dans le cas des temples bouddhistes ou transformés en temples bouddhiques, on trouve plus facilement des bouddhas et des boddhisatvas, ainsi que des rishis (des sages à longue barbe, également présents dans l'hindouisme).

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(Baphuon, Scènes du Reamker (?)

 

On trouve également parfois des scènes de la vie quotidienne, mais c'est plus rare. Et un certain nombre de reliefs sont difficiles à identifier ou à attribuer à un épisode mythologique ou historique précis.

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(Baphuon, Animaux: sanglier, singe, lapin, lion)

 

Le style du Baphuon précédant immédiatement celui d'Angkor Vat selon la typologie classique en usage pour l'art khmer, on y trouve déjà les éléments qui seront omniprésents dans le temple le plus connu, comme les apsaras, ces danseuses aux attitudes et ornementations incroyablement variées et riches.

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(Baphuon, Apsara)

 

De temps en temps, les galeries permettant de circuler ont été reconstruites. Il s'agit d'une voûte assez haute percée de larges fenêtres. Elles semblent être uniquement là pour la circulation et la décoration est inexistante à l'exception de l'entourage des fenêtres qui est orné de sillons géométriques.

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(Baphuon, Galerie ouverte) 

 

Les vues sur les alentours se font plus impressionnantes à mesure que l'on s'élève. Depuis le 3e et dernier étage en terrasse, il est impossible d'accéder à la tour-sanctuaire centrale, car elle trop instable et incomplète. Des portes en béton ont été installées pour matérialiser l'emplacement occupé par le sanctuaire du linga.

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(Baphuon, Tour sanctuaire centrale)

 

En matière de portes, on le reverra de nombreuses fois, les anciens Khmers étaient de grands adeptes des fausses portes. En général, dans les tours sanctuaires, qui sont parfois plusieurs par temples, trois portes sur les quatre sont fausses, mais toutes sont décorées.

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(Baphuon, une des tours sanctuaires du 2e étage vue depuis le 3e étage)

 

Nous profitons tranquillement de la terrasse du troisième étage et de la superbe galerie à colonnes qui l'entoure alors que, peu à peu, les premiers touristes arrivent. Ils sont encore en très petit nombre et ce sont des visiteurs individuels, le plus souvent en couple.

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(Baphuon, Terrasse du 3e étage)

 

La décoration des gopuras de la galerie du dernier étage est particulièrement riche et soignée. On y croise des apsaras parfois très restaurées:

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(Baphuon, apsara)

 

Comme les choses se voient mieux de haut, voici un des nombreux gopuras du Baphuon, vu d'en-haut. On voit les poteaux qui soutenaient une petite chaussée d'accès entre le gopura et l'escalier depuis lequel est prise la photo.

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(Baphuon, gopura)

 

Les gopuras abritent ou abritaient souvent eux-mêmes une statues ou un linga. Sur la photo ci-dessous, on voit le socle d'un linga qui a disparu depuis.

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(Baphuon, Socle de linga)

 

Les scènes sculptées sont extrémement nombreuses et le plus souvent très bien conservées et restaurées. Nous passons un bon moment à les détailler, en nous extasiant sur de menus détails cocasses et en tentant d'identifier tant bien que mal des scènes parfois obscures.

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(Baphuon, détail d'un bas-relief, scènes du Reamker (?)

 

Nous quittons le Baphuon en nous dirigeant vers le nord et l'enceinte du palais royal d'Angkor Thom (dont il ne reste quasiment rien) et du temple de Phimeanakas.

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(Baphuon)

 

Les deux temples ne sont éloignés que de quelques centaines de mètres mais nous croisons en chemin pour la première fois un arbre qui enserre des ruines. Certes, en comparaison de ce que nous verrons par la suite, ce petit tas de pierres et le fromager qui semble le dévorer sont bien modestes, mais tout de même, cela ajoute à l'ambiance.

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(A proximité du Baphuon, Fromager et ruines)

 

11 août 2014

Cambodge 1 : Noël dans l'autobus

Notre vol Shanghaï - Phnom-Penh s'est bien déroulé et nous avons atterri assez tard à Phnom-Penh. J'avais réservé un hôtel récent, sans trop me préoccuper de son emplacement car nous ne devions y passer qu'une nuit. J'avais choisi un hôtel assez récent pour avoir un peu de confort pour se remettre du très long voyage.

Une fois sortis des formalités de l'aéroport, nous nous retrouvons donc à la sortie, harcelés - pour la première fois du voyage - par les conducteurs de tuk-tuk. Nous choisissons un taxi qui va bien se galérer à trouver l'hôtel dans un dédale de rues d'un quartier extérieur de Phnom-Penh quasiment sans éclairage public.

Nous finissons par trouver. L'hôtel est très récent et se donne l'apparence d'un établissement d'un certain standing. Il n'en va pas tout à fait de même pour la chambre, qui dispose du confort minimal et ne possède même pas de fenêtre! Avec la fatigue en plus, on ne peut pas dire que notre première approche de Phnom-Penh soit très heureuse.

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(Hall d'accueil du Janora Residence, Phnom-Penh)

 

Nous dormons tout de même comme des masses. Le lendemain c'est Noël! Et autant dire que ça ne saute pas aux yeux... Nous le constaterons plus tard, les Khmers fêtent volontiers le Nouvel An occidental mais passent totalement à côté de Noël et de son consumérisme effréné (à l'inverse de la Chine où nous avons vu des sapins de Noël et des pères Noël).

Cependant, de jour, le quartier a déjà l'air beaucoup plus agréable.

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(Rue 299)

 

Nous avons organisé le voyage en deux grands points de chute, assez classiques, que sont tout d'abord Siem Reap, la grande ville touristique aux abords d'Angkor, pour une quinzaine de jours, et ensuite Phnom-Penh pour le temps qui reste, avec quelques excursions extérieures. Harnachés de nos gros sacs, nous prenons un taxi que l'hôtel nous a commandé. Il nous conduit à travers une circulation qui nous paraît grouillante au centre de la ville et plus précisèment à la station de bus où nous achetons un billet pour le début d'après-midi en direction de Siem Reap où j'ai loué une chambre dans une guesthouse pour le soir même.

Comme nous avons un peu de temps, nous découvrons un peu le marché central (Psar Thmei) de la ville, un lieu assez fabuleux où nous reviendrons souvent par la suite.

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(Marché central)

 

Construit à l'époque du protectorat français, le marché est célèbre pour son style art déco et son superbe dôme sous lequel sont installés les marchands aux activités les plus prestigieuses: bijouterie et horlogerie essentiellement.

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(Dôme du Marché central)

 

Après l'achat de quelques victuailles pour le voyage, nous découvrons un nouvel aspect de la vie au Cambodge, très typique mais parfois bien pénible: le voyage en bus. Les deux principales villes du Cambodge ne sont éloignées l'une de l'autre que de 320 km, soit, nous a-t-on affirmé à la société d'autobus, environ 4 à 5 heures de voyage. Le trajet durera en réalité plus de 6 heures, sur une route en mauvais état pour cause de travaux et surtout ponctué par des arrêts du bus toutes les deux heures dans des sortes de restaurants perdus en rase campagne dont la seule utilité est de servir les voyageurs en bus qui sont leurs seuls clients...

Si l'on ajoute aussi l'affreuse musique pop khmère bramée par la télévision du bus qui ne sait diffuser en permanence que la chaine locale de karaoké, le tableau sera complet en ce qui concerne le côté pénible de ce type de transport...

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(On the road again... with your motorbike)

 

Les avantages sont cependant nombreux aussi, surtout pour une première approche. On découvre avec émerveillement les paysages de Phnom Penh et son étalement urbain le long de la grande route, puis les rizières. La chose la plus surprenante fut sans doute, dès la sortie du coeur de la ville de Phnom Penh, la présence d'un vaste quartier musulman, très pauvre et délabré mais dont les deux ou trois mosquées aperçues paraissaient rutilantes et de style fort peu local... On se demande bien quel genre de pays peut ainsi financer de tels bâtiments pour l'importante minorité musulmane du Cambodge mais à la vue des femmes en niqab - une chose inexistante dans l'Islam cambodgien traditionnel qui avait aussi tendance à associer des pratiques magiques voire de la sorcellerie à l'Islam - on a bien une idée...

La minorité musulmane, désignée sous le nom de Cham, a traditionnellement toujours été bien intégrée. Elle a subi de plein fouet les massacres du régime Khmer Rouge qui a cherché à l'éradiquer et a systématiquement détruit les mosquées. Malheureusement, sous l'influence des financeurs du Golfe arabique, les 200 000 Chams (sur 15 millions de Cambodgiens) ont de plus en plus tendance à se communautariser. Nous en rencontrerons un, sorte de gendarme officiant dans une pagode, qui nous dira à propos d'une cérémonie funéraire "Moi ça ne me concerne pas, je ne suis pas Cambodgien, je suis Musulman".

Quoi qu'il en soit c'est une vraie découverte pour nous, mais nous n'aurons malheureusement pas l'occasion de venir arpenter ces quartiers.

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(Mosquée KM9 (1992), Phnom Penh)

 

Le voyage est tout de même assez monotone, surtout une fois que la nuit est tombée, et elle tombe tôt: à 17h00 c'est fini! Les choses s'amélioreront très très vite au cours de notre séjour, où l'on a vu les jours augmenter de façon rapide.

Les diverses haltes sont autant d'occasion de croiser des chats et des chiens, de goûter un peu de nourriture locale et pour Louise de tester son khmer avec des locaux. Nous remarquons également la présence systématique de petits autels garnis d'offrandes dans et devant chaque maison. Notez sur la photo ci-dessous présence au-dessus de l'autel d'un minuscule sapin de Noël lumineux.

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(Autel domestique)

 

Nous parvenons à Siem Reap passablement fatigués par ce long voyage qui a, sans doute aucun, été le Noël le plus insolite de notre vie!

Un tuk-tuk nous emmène ensuite à notre pension. Cette première journée au Cambodge, malgré un aperçu de bruits, d'images, d'odeurs et de sensations, n'est qu'une petite mise en bouche, une sorte de journée blanche avant d'attaquer le côté consistant du voyage et l'incroyable parc archéologique d'Angkor. Mais ça, c'est pour le prochain billet...

10 août 2014

Préambule: 上海 (parce qu'un titre en chinois, c'est classe!)

 

C'était voici déjà un petit bout de temps. Louise avait appris que la bourse sollicitée auprès de la Fondation de France et de l'EFEO lui avait été attribuée. Et cette belle bourse Pierre-Ledoux pour la jeunesse internationale devait lui permettre de passer deux mois au Cambodge pour son étude de terrain sur les marionnettes du théâtre d'ombres. Voici pour ce qui est du contexte général.

Dans le détail, j'ai réussi à l'accompagner pendant le premier de ces deux mois, et c'est ce beau, long et instructif voyage que je vais raconter dans les nombreux billets consacrés au Cambodge. Mais, en matière de préambule, il me faut parler de la ville passionnante où nous fîmes une escale d'une dizaine d'heures entre Paris et Phnom-Penh, à savoir Shanghaï (visiblement, sur place ça se prononce Shan-reuh).

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(C'est looooin!!!!)

 

Dès l'avion - au passage, il faut saluer China Eastern, de loin la meilleure compagnie que j'ai pris dans ma vie - on est mis dans l'ambiance: comme d'habitude, on peut regarder à peu près tout et n'importe quoi sur les écrans de l'avion: films, séries, petits jeux, dessins-animés, musique. Mais... une petite heure avant l'atterrisage, fini de rire! Tous les écrans s'interrompent et l'on a droit à une séance de tai-chi, spécialement adaptée à la position "assis dans l'avion". La plupart des passagers semblent interloqués mais plusieurs se plient au exercices, sans doute assez bénéfiques après 11h00 de trajet!

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(Le tai-chi spécial avion)

 

Ce n'est pas sans émotion que, à 7h00 du matin heure locale, nous débarquons enfin à l'aéroport de Pudong, principal hub aéronautique de la mythique ville de Shanghaï.

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Autant dire que pour l'une des plus grandes villes du monde, l'aéroport à 7h00 du matin nous a paru bien désert...

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(Aéroport de Pudong)

 

Je connais bien les transports en Île-de-France, pas du tout ceux de Shanghaï. Je parle français depuis un peu moins de trente années et je ne sais presque rien du chinois. Et pourtant, je n'ai eu aucun souci pour sortir de l'aéroport de Pudong et prendre un transport vers la ville alors que j'éprouve toujours les pires difficultés dans le plus grand aéroport parisien... Il n'y aurait pas un souci?

Bref, pour relier le centre-ville, deux choix principaux s'offrent au voyageur: le métro ou le Maglev. Autant dire qu'un train à sustentation magnétique qui peut aller jusqu'à 450 km/h en quelques secondes, c'était tentant... Bon, au final c'est impressionnant car sans pousser la comparaison, on va de l'aéroport au terminus du Maglev dans le quartier d'affaires de Pudong en à peu près 7 minutes pour 45 km (rappel : Roissy Charles de Gaulle à Gare du Nord : en général 30 à 45 minutes pour la même distance).

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(Maglev juste avant le départ)

 

Seule déception: le Maglev ne poussera pas au-delà de 301 km/h. Soit tout de même pas mal en dessous du TGV...

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(Vitesse de pointe et de croisière)

 

Nous prenons ensuite le métro pour nous rapprocher pleinement du centre-ville, car le terminus du Maglev se situe en plein dans le quartier financier. On se retrouve donc, après être sortis un peu au hasard, dans une grosse artère du centre, entièrement piétonne et très large, bordés d'immeubles de tous styles et toutes époques: Nanjing Dong Lu.

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(Nanjing Dong Lu)

 

En effet, autant le dire de suite, Shanghaï c'est une peu une orgie architecturale et tout y passe: du chinois très traditionnel, du style colonial, de l'Art déco, du brutalisme, de l'international et quelques trucs totalement audacieux et fous. L'ensemble est parfois disparate mais ne manque pas d'intérêt.

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(Immeuble de style néo-renaissance art déco (?), occupé par Nike, Nanjing Dong Lu)

 

Il est toujours étonnant pour quelqu'un de mon âge de parcourir librement, sans visa, sans flics pour nous surveiller, une Chine qui se vautre dans le capitalisme... et de souvenir qu'étant enfant, la Chine était quasiment interdite, s'ouvrait à peine et que les quelques rares qui y avaient mis les pieds étaient partis dans le cadre de voyages très encadrés et n'avaient vu que - très rapidement - la Cité interdite, la Grande Muraille et l'armée de terre cuite.

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(Immeuble Art Déco, Nanjing Dong Lu)

 

On croise même des immeubles bizarres, assez inclassables, à l'instar de celui-ci avec ses formes rectilignes, très années 1940 mais doté d'une partie en verres au reflets cuivrés tout en volutes qui évoquent plutôt le début du XXe s. Bref, des curiosités un peu partout pour peu qu'on lève le nez.

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(Immeuble étrange, Nanjing Dong Lu)

 

Mais il ne faut pas se promener que le nez en l'air, car au sol aussi il se passe pas mal de choses. Et ici, c'est le tai-chi qui est roi. Un peu partout - disons tous les cent mètres - des petits groupes d'une vingtaine de personnes tout au plus exécute les mouvements, plus ou moins lents, sous la conduite d'une personne qui semble leur indiquer le rythme et l'ordre à suivre. Certains sont vêtus d'espèces de pyjamas assez laids, mais d'autres sont en costume de travail et l'on sent bien qu'il font cela au bas de l'immeuble de bureau où ils vont aller travailler ensuite.

Et puis, parfois, on en rencontre qui font exactement les mêmes mouvements, mais avec un grand sabre à la main...

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(Tai-chi avec un sabre, Nanjing Dong Lu)

 

Je vis à Paris depuis plusieurs années et la capitale, on le sait bien, est passablement pollué. Pourtant, c'est bien à Shanghaï que pour la première fois, j'ai ressenti la pollution, tellement elle était présente, presque palpable. Et nous n'étions cependant pas un jour de pic de pollution, juste une journée normale. Pour tenter de respirer un peu nous avons voulu aller voir dans un des parcs urbains signalés sur mon plan de la ville. Quelle déception! En fait de parc il s'agit d'une sorte d'esplanade bétonnée avec deux pelouses et quelques maigres arbustes, encadré par des routes très fréquentées et avec un paysage de tour omniprésent où que se porte le regard... En fait, il ne s'agit que d'un petit bout du parc du Peuple, mais nous ne poussons pas plus loin dans cette direction, préférant nous rediriger vers le fleuve et le quartier du Bund.

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(Le parc du Peuple)

 

De la grande artère piétonne et ultra-occidentalisée de Nanjing Dong Lu, partent aussi toute une floppée de petites ruelles beaucoup plus... traditionnelles". Celles-ci sont encombrées de deux-roues, de réchauds et de poêles où cuisent divers aliments, de pancartes et d'enseignes. Bref, c'est bordélique, bruyant, odorant et franchement agréable car beaucoup moins aseptisé que l'avenue principale.

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(Wufu Alley)

 

En repartant vers le fleuve, nous passons devant l'imposante statue d'un bedonnant dignitaire que nous prenons d'abord pour Mao. Il s'agit en fait de Chen Yi, un des grands généraux de la guerre civile (on lui doit notamment la prise de Nankin et Shanghaï en 1948-1949) qui connut la disgrâce pendant la Révolution culturelle puis la réhabilitation après sa mort en 1972.

 

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(Statue de Chen Yi)

 

Enfin, nous arrivons en bordure du fleuve Huangpu. Techniquement, il s'agit plutôt d'une rivière, en l'occurence le dernier affluent du mythique Yang-Tsé-Kiang (j'ai choisi d'utiliser cette vieille orthographe francisée parmi les multiples translittérations possibles). Même si ce n'est pas tout à fait le Yang-Tsé-Kiang, je ne peux m'empêcher de me rappeler le monologue éthylique de Jean Gabin dans Un singe en hiver: "Le Yang-tsé-Kiang n'est pas un fleuve, c'est une avenue. Une avenue de 5000 km qui dégringole du Tibet pour finir dans la mer Jaune, avec des jonques et puis des sampans de chaque côté. Puis au milieu, il y a des… des tourbillons d'îles flottantes avec des orchidées hautes comme des arbres. Le Yang-tsé-Kiang, camarade, c'est des millions de mètres cubes d'or et de fleurs qui descendent vers Nankin, puis avec tout le long des villes ponton où on peut tout acheter, l'alcool de riz, les religions… les garces et l'opium…"

Dans la brume polluée de Shanghaï où se découpent les audacieuses tours du quartier de Pudong, on est toutefois assez loin de cette vision qui a la couleur d'un fantasme d'aventurier colonial.

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(Quartier de Pudong vu depuis la rive opposée)

 

Le bord du fleuve est agrémenté de petits jardins où se dresse parfois une statue patriotico-communiste aux canons assez lourds.

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(Monument à la gloire de quelque chose)

 

Il faut dire que le lieu se prête pas mal aux monuments solennels: au confluent de la rivière Wusong et du Huangpu se dresse le Monument aux Héros du Peuple, un assemblage abstrait de trois barres qui convergent à 24 m. d'altitude.

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(Monument aux Héros du Peuple)

 

La zone où nous sommes s'organise comme suit: le fleuve, le parc-promenade qui longe le fleuve, l'avenue et enfin la zone bâtie du quartier du Bund. L'idée est de redescendre le parc depuis le Monument aux Héros du Peuple en admirant depuis là les différents bâtiments du Bund - et éventuellement les tours de Pudong de l'autre côté du fleuve. Cette carte pourra vous aider à situer grossièrement si besoin.

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(Immeubles des anciennes Glen Line Steamship (1922) et Banque française de l'Indochine (1914)

 

Le Bund, c'est l'ancien quartier d'affaires de Shanghaï, celui de la concession internationale du temps où la ville était un port ouvert grâce aux traités internationaux. La plupart des bâtiments, grandioses, datent des années 1900 à 1930 et cherchaient à rivaliser avec les grands immeubles commerciaux de prestige de l'Occident.

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(Immeuble Jardine Matheson (1920)

 

Tous ces immeubles sont intéressants pour eux-mêmes tout autant que la cohérence du front de fleuve qu'ils forment. Quelques uns sont toutefois plus remarquables que les autres, à commencer par l'immeuble de la Bank of China, qui tente de se donner une allure chinoise à cette architecture art déco en la flanquant d'un toit doté de cette courbure caractéristique.

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(Immeuble de la Bank of China (1935)

 

Juste à côté se dressent, de part et d'autre d'une rue, les anciens Cathay Hotel et Palace Hotel, réunis ensuite en une seule entité: le Peace Hotel (ils ont semble-t-il été redivisés depuis). Le Cathay Hotel, le plus récent, a été construit par le magnat de la finance et de l'immobilier Victor Sassoon à la fin des années 1920 pour devenir un hôtel de luxe, le plus réputé de la ville jusqu'à la prise de pouvoir par les communistes en 1949 et qui accueillait toute la bonne société de passage en Chine.

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(Peace Hotel - Cathay Hotel (1926-1929)

 

Le second immeuble, de style très différent, date du début XXe s. et cela se voit. Ultra-moderne à l'époque (le premier immeuble de Shanghaï doté d'ascenseurs) il a notamment servi pour la réunion de la Commission Internationale de l'Opium en 1909, préalable à la convention de 1912, qui était alors le premier effort concerté à grande échelle de lutte contre la drogue.

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(Peace Hotel - Palace Hotel, (1903-1908)

 

L'immeuble sur la photo suivante est celui de la Bank of Taïwan. Il n'a rien de particulier comparé aux autres, mais j'aimais bien cette photo avec les branches des arbres du parc qui gardaient encore leurs feuilles malgré l'hiver. Je ne l'ai pas encore signalé, mais il faisait un froid de canard ce jour-là, un peu plus frais qu'à Paris encore, surtout en comparaison de ce qui nous attendait le lendemain (Shanghaï: environ 7°C, Phnom Penh : 32 °C).

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(Bank of Taïwan (1924)

 

Si je m'attarde plus spécialement sur les immeubles du Bund, ce n'est pas seulement pour leurs qualités architecturales et leur intérêt historique; c'est surtout que sur la rive d'en face, les gigantesques immeubles de Pudong était passablement embrumés et très peu lisibles. Même la Perle de l'Orient paraissait bien grise...

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(Tour Oriental Pearl (1995)

 

La Maison des Douanes actuelle a remplacé dans les années 1920 les bâtiments de la précédente douane. Celle-ci était administrée par les Britanniques épaulés des Français et des Américains et elle fait encore office de centre de douanes aujourd'hui. Son architecture art déco surmontée d'une tour d'horloge lui donne un petit côté "Gotham City" pas déplaisant.

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(Maison des Douanes (1925-1927)

 

La série de grands et beaux immeubles d'affaires du Bund s'arrête avec l'un des plus vastes, l'ancien siège de HSBC (dont le sigle, rappellons-le signifie: Hong-Kong & Shanghaï Banking Corporation). Très différents des autres, ce bâtiment néo-classique s'inspire au moins partiellement de la cathédrale Saint-Paul de Londres avec ses colonnes et sa coupole. Les lieux sont aujourd'hui occupés par une autre banque.

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(Siège d'HSBC (1921-1923)

 

Le petit guide dédié à Shanghaï et ses environs que j'ai acheté (édité par National Géographic, parfois un peu daté pour certaines infos mais globalement une très bonne surprise) me signale que l'intérieur, en particulier le hall d'entrée, vaut le coup d'oeil. Nous traversons donc la route et nous entrons, sans oublier au passage de saluer les lions de pierre, copies des lions d'origine en bronze, mais qui apportent toujours, nous dit la superstition, bonheur et prospérité. Youpi.

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(Lion de bronze)

 

Et il est vrai que l'intérieur est remarquable: le marbre est omniprésent, les stucs et les moulures ont juste ce qu'il faut d'or pour les rehausser sans faire trop clinquant et surtout, le plafond de l'entrée est recouvert de mosaïques. Au centre, une sorte d'allégorie de l'Abondance, cernée par les signes du zodiaque (occidental), une rangée de moulures et les allégories continuent avec cette fois-ci celles des huit principales places financières mondiales de l'époque (Shanghaï, Hong Kong, Tokyo, Paris, Londres, New-York, Bangkok et Calcutta... les places financières où HSBC avait des intérêts en fait) représentées par une personnification féminine et un paysage de fantaisie "typique" du pays. 

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(Intérieur du siège d'HSBC, Coupole du hall d'entrée)

 

J'aurais bien fait d'autres photos que les 2 ou 3 que j'ai faites, mais quand un vigile de la banque m'a aperçu, il m'a fait comprendre que ça n'allait guère être possible alors nous ne nous sommes pas attardés. A peine étions-nous sortis et détaillions-nous un peu la façade du bâtiment qu'un jeune chinois de grande taille flanqué de deux filles, nous aborde en anglais, très sympathiquement. Celui-ci nous demande ce que nous faisons à Shanghaï, si nous visitons, etc... Nous expliquons notre situation, nous présentons, ils font de même. Première découverte: les Chinois qui ont régulièrement des contacts avec les étrangers portent tous leur prénom chinois normal (ici Donghongjun - si j'ai bien compris et noté) et se choisissent en plus un prénom "occidental" (en l'occurence pour notre ami: Lucas). Je présume qu'il s'agit de faciliter les rapports mais c'est une pratique curieuse - je ne sache pas que les Occidentaux adoptent un prénom chinois pour faciliter la vie de leurs interlocuteurs.

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(Non loin de la maison de thé, dans la vieille ville)

 

Bref, ce Shanghaïen qui bosse fréquemment avec des étrangers nous explique qu'il fait visiter à ses deux amies la ville et qu'ils vont se rendre un peu plus loin en ville dans une maison de thé. Jovial, il nous invite à le suivre et à découvrir un peu cette pratique. Nous connaissons déjà la cérémonie du thé à la japonaise à laquelle nous avons été initiés en France, mais la façon dont cela se fait en Chine est fort différente.

Il nous mène donc dans un quartier un peu plus excentré. Nous pénétrons dans un immeuble grisounet comme on en voit partou, d'une affligeante banalité. Parvenus au second étage, on nous ouvre la porte et là tout change: la Chine "traditionnelle" telle qu'on peut l'imaginer nous ouvre les bras. Nous allons donc assister à une cérémonie du thé à la chinoise, présentée par une professionnelle dans son joli costume. La pièce où nous sommes emmenés avec nos nouveaux amis est meublée de façon traditionnelle mais tous les éléments de confort moderne sont tout de même présents.

Notre hôtesse nous laisse alors une carte avec un choix énorme de thé - tous font hyper envie. Notre ami nous explique que nous devons choisir les thés et que les prix sont indiqués. Mais attention, il ne s'agit pas de choisir n'importe quel nombre de thés, les Chinois sont hyper superstitieux: il faut choisir un chiffre et le justifier plus ou moins. Je crois que nous nous arrêtons sur 5 sortes parce que nous sommes cinq, parce que c'est le nombre des doigts de la main et parce que ce sera déjà pas mal comme nombre de thés à goûter. A priori, c'est un très bon choix de chiffre.

Je ne sais plus bien de quelles variétés il s'agissait. Je me souviens simplement que c'était très bon, très fin, accompagné de petites graines torrefiées particulièrement pénibles à grignoter et que nous étions assis sur des chaises autour d'une table ce qui est un avantage considérable pour quelqu'un d'aussi souple que moi comparé à l'équivalent japonais avec tatamis et mal aux chevilles. La dame prépare les thés l'un après l'autre et disparait parfois pendant que nous dégustons.

Tout cela se passe avec respect pour la belle tradition du thé mais sans chichis excessifs non plus et nous discutons beaucoup avec nos camarades chinois. Ils sont clairement avides de connaître et d'échanger avec des Occidentaux mais certaines de nos habitudes leur semblent étranges, comme le fait qu'une femme puisse sans soucis boire de l'alcool sans que cela ne soit ni mal vu ni de l'alcoolisme. Cela avait l'air de les surprendre au plus haut point.

Une fois cette grosse heure agréablement passée, nous nous partageons une note assez élevée tout de même (la cérémonie du thé doit rester un plaisir rare) et nous nous séparons, heureux de cette découverte inattendue.

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(A la fin de la cérémonie du thé)

 

Nous nous retrouvons donc dans un secteur que nous mettons quelques minutes à identifier. Bien que nous ayons marché un peu, nous ne nous sommes guère éloignés du centre-ville et plus spécialement de la vieille ville que nous avions l'intention de visiter ensuite. Nous en sommes même aux abords, avec des immeubles de style traditionnel. Je les soupçonne de n'être pas tous aussi anciens que leur style le voudrait.

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(Fangbang Zhonglu)

 

Nous nous dirigeons vers la vieille ville de Shanghaï, le quartier de Nanshi. Il s'agit du quartier le plus ancien de la ville, même si l'architecture ming qui y domine a subi de très lourdes restaurations pour rendre les choses plus "authentiques". Il se dégage tout de même un charme incroyable de ce quartier qui constraste si fort avec le Bund et Pudong ou avec les quelques éléments de la lourde architecture maoiste.

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(Bazar de Yu Yuan)

 

Nous passons par la Lao Jie (vieille rue) pour nous rendre au bazar de Yu Yuan, point central du tourisme à Shanghaï. Pour qui a vu les grands bazars d'Istanbul et des autres villes turques, le terme semble bien mal choisi. Le bazar des Jardins Yu n'est pas fermé aussi nettement que les bazars moyen-orientaux et il n'est pas couvert. Il s'agit en fait d'une sorte de complexe assez tortueux, un assemblage de maisons plutôt hautes (3 ou 4 étages) où sont situés des commerces (au rez-de-chaussée).

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(Bazar de Yu Yuan)

 

C'est vraiment très beau surtout quand on ne connait pas Shanghai et que l'on s'en fait une image uniquement centrée autour des tours géantes et de l'ultra-modernité triomphante.

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(Bazar de Yu Yuan, contraste avec nouveaux quartiers)

 

Le bazar est organisé autour d'une étendue d'eau sur laquelle une petite île artificielle accueille une maison de thé. A l'intérieur les choses s'y passent de la même façon que celle que j'ai décrite plus haut. La seule différence est le nombre de touristes qui y viennent, les prix beaucoup plus élevés et le prestige des hôtes qui vous y ont précédé (Elisabeth II, Bill Clinton, etc). Nous ne retentons pas l'expérience mais admirons ce beau bâtiment d'époque Ming (1368-1644) comme tous les autres du secteur.

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(Bazar de Yu Yuan, Maison de Thé)

 

La seule qui empêche cet endroit d'être un vrai havre de paix, c'est la foule de touristes et de Shanghaïens qui s'y pressent. A vrai dire, les touristes non-chinois sont assez rares, mais je ne sais si c'est la saison qui veut cela ou si Shanghaï n'est guère prisée des touristes occidentaux.

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(Bazar de Yu Yuan, Pont des Neuf Détours)

 

Comme le thé c'est très bien, mais ça ne nourrit pas vraiment, nous prenons, un peu au hasard, d'appétissantes brioches que nous mangeons sur un banc du quartier. Il s'agit en fait d'une spécialité locale succulente, sorte de grosse brioche-ravioli fourrée d'une viande en sauce absolument délicieuse. La sauce se boit avec une paille et pour le reste on se débrouille comme on peut. C'est a priori l'une des principales spécialités de la ville avec les dim-sum, ces raviolis à la vapeur assez géniaux aussi. J'y reviendrais plus tard. Comme nous avions plutôt faim, je n'ai pas pris de photo de nos brioches, mais j'ai trouvé un blog de gens plus prévoyants et moins affamés que nous. Vous vous ferez une idée...

A la place, je vous propose un instant de calme avec les carpes japonaises qui brassent tranquillement dans le petit lac artificiel du bazar de Yu Yuan.

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(Carpes japonaises)

 

Bien que le bazar soit l'épicentre touristique de la ville, nous avons croisé assez peu de gros attrape-touristes. Quelques bricoles pseudo-traditionnelles, comme partout, mais rien de très choquant à ce niveau-là et rien de comparable aux vendeurs de mini-tour Eiffel à Paris ou aux gugusses habillés en Mozart à Vienne.

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(Spectacle de rue)

 

A deux pas du bazar se trouve le Temple de Chenghuang Miao (Temple du Dieu de la Ville). C'est la première fois que nous mettons les pieds dans un temple chinois. La plupart de ceux que nous verrons sont organisés de la même manière: un large porche d'entrée, des toits courbes, une cour intérieure avec une sorte de brasero où les gens jettent de l'encens et des bâtiments sur les trois côtés restants et sur un étage avec balcon. Les bâtiments sont divisés en petites salles qui abritent des autels et des statues le plus souvent.

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(Temple du Dieu de la Ville)

 

Bien que le pays soit officiellement communiste, la pratique de la religion y est tolérée (malgré les persécutions contre certains catholiques ou autres groupes minoritaires) et elle semble connaître un grand succès. Dans chaque temple visité il y avait pas mal de fidèles qui venaient, généralement acheter et brûler de l'encens après une courte prière et s'être incliné dans les quatre directions comme le fait la femme sur la photo ci-dessous.

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(Temple du Dieu de la Ville)

 

On ne sait pas bien qui tient les lieux. Je ne me souviens pas avoir vu de prêtres ou d'équivalent de bedeaux ou de servants d'église. On a l'impression d'un mélange - très chinois - entre superstition, bouddhisme et doctrines confucéennes.

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(Brasero à encens)

 

Cela ne rend pas l'ensemble désagréable du tout. L'ambiance est assez calme et la visite vaut beaucoup pour la richesse décorative des lieux. Malheureusement, ma très faible connaissance de la culture et de la religion chinoise ne me permettront pas de faire une légende très précise des divers personnages représentés sur les photos ci-dessous. Ceci-dit, je suis preneur si un connaisseur passe dans les parages...

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(Statues dans le Temple du Dieu de la Ville)

 

Le nombre d'autels et de statues de ce temple est assez impressionnant. Et quand je dis que les statues sont plutôt riches au niveau décoratif, c'est une réalité. Toutes celles du temple sont différentes les unes des autres et certaines sont carrèment flippantes!

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(Souviens-toi du Labyrinthe de Pan)

 

Chaque temple abrite aussi une grosse cloche, installée dans le coin d'une salle. Ici pas de clocher et de cloches qui se balancent à toutes volées; les cloches sont frappées, comme des gongs.

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(Cloche du Temple du Dieu de la Ville)

 

Après cette première découverte, nous nous aventurons plus au coeur de la vieille ville, sans avoir visité les jardins Yu en eux-mêmes, dont l'entrée était payante... Mais là aussi, nous y reviendrons.

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(Fenêtres du Temple)

 

Nous prenons plein sud et, sans l'avoir vraiment cherché, nous tombons sur une série de petits restaurants pleins de vapeur et qui sentent très bons. Comme nous n'avons que peu mangé et qu'il fait tout de même assez froid, nous nous arrêtons dans l'un d'eux.

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(Dans la vieille ville)

 

Rien n'est fait pour le touriste ici. Tout est écrit en chinois, langue que nous ne parlons et bien sûr ne lisons pas! Qu'à cela ne tienne, nous commandons tout de même une soupe et quelques raviolis vapeur (xiao long bao), un peu au pif. Cela se révélera succulent à manger et le côté très typique du cadre n'enlève rien car on a l'impression de toucher un peu de la réalité de la vie chinoise quotidienne.

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(Un peu de réconfort bien mérité dans un resto fumant)

 

Nous marchons quelque peu et apercevons de suite notre prochain arrêt, sans doute le plus insolite en plein coeur de la grande métropole du sud chinois: deux mosquées!

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(Toits de la mosquée du jardin aux pêchers)

 

En réalité, il n'y a pas vraiment deux mosquées, mais plutôt une double-mosquée: une pour les hommes, construite entre 1917 et 1930 et une pour les femmes, bâtie initialement en 1933 mais reconstruite seulement en 1994. Cela nous a semblé très bizarre et aller contre tout ce que nous avions vu notamment en Turquie, où hommes et femmes étaient en effet séparés mais seulement pour la prière et au sein de la même mosquée (hommes en bas, femmes sur la mezzanine).

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(Mosquée des femmes)

 

Ces deux mosquées assez discrètes servent aux Musulmans chinois qui sont - à Shanghaï - le plus souvent d'ethnie Hui. La mosquée des femmes, reconstruite à neuf récemment, ne présente qu'un intérêt limité. Celle des hommes, en revanche, se révèle plus intéressante car elle ne cherche pas à se rapprocher du style ottoman ou arabe. Dans toute son architecture - à l'exception des coupoles et du petit minaret - on pourrait se croire dans un immeuble chinois traditionnel légèrement revu selon l'esthétique du début du XXe s.

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(Cour de la mosquée du jardins aux pêchers)

 

L'intérieur de la mosquée paraît très simple: de la moquette, quelques tapis, des plafonds à caissons, des murs blancs, des vitres ordinaires. Mais le calme du quartier de l'endroit tranche fortement avec l'agitation de la vieille ville.

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(Intérieur de la mosquée)

 

 

Reprenant notre route, nous arrivons - après avoir longé ses murs sur trois côtés - au plus grand temple confucéen de la ville, le Wen Miao (Temple de la Littérature). 

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(Une pagode du Temple de la Littérature)

 

La principale différence entre ce temple et celui du Dieu de la Ville, c'est que celui-ci est ceint de murs et se trouve dans un magnifique jardin chinois. Il est également beaucoup moins fréquenté et abrite moins de statues très colorées. L'ambiance est plus au recueillement intérieur qu'à la dévotion populaire pleine de fumée d'encens.

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(Temple de la Littérature)

 

Contrairement au précédent également, qui était constitué d'un seul bâtiment carré avec une cour, celui-ci enchaîne les bâtiments le plus souvent de plain-pied et semble chercher à ressembler à un jardin avec des pavillons qu'à un temple. 

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(Temple de la Littérature)

 

Nous sommes très clairement dans l'esprit des lettrés chinois, très portés sur la nature et des éléments comme l'eau, les roches, les arbres. Cela rappelle beaucoup l'exposition sur les "Rochers de lettrés" vue au musée Guimet qui nous présentait la façon dont les lettrés chinois cherchaient et trouvaient des pierres bizarres, façonnées par l'érosion ou les caprices de la géologie pour les laisser brutes mais en les faisant monter sur de superbes socles finement ouvragés en bois précieux.

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(Ecran avec pierre enchassée)

 

Et bien, ce genre de rochers à fonction de support de méditation, il y en a des quantités dans ce temple!

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(Rochers de lettrés)

 

Certains rochers, de proportions trop imposantes, ont trouvé une place d'honneur dans le jardin. Et c'est vrai que c'est quand même très classe comme effet.

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(Jardin du Temple de la Littérature)

 

Bien que la religion soit ici plus intériorisée, les petites offrandes et les petites demandes ne sont pas absentes pour autant, on ne sait jamais. Confucius étant une sorte de "saint patron" de l'intelligence et de l'obéissance à un certain ordre social en Chine, il est fréquemment invoqué par les étudiants avant leurs examens. C'est d'ailleurs a priori le seul moment de l'année où il y a la foule dans ce temple.

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(Confucius, Temple de la Littérature)

 

NB: Confucius est le nom latinisé de Kong Qiu, les Chinois le connaissent et le vénèrent sous le nom de Maître Kong. J'utilise le nom Confucius par commodité.

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(Confucius, Temple de la Littérature)

 

Mais ce temple vraiment fantastique, dont on s'étonne qu'il soit si boudé par les touristes, recèle d'autres choses passionnantes. Ainsi, l'un des pavillons fait office de petit musée des théières.

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(Musée des Théières Yao Di, Temple de la Littérature)

 

C'est fait sans ordre ni méthode, il n'y a à peu près jamais de date ou d'époque indicative de tel ou tel objet mais on y voit pas mal de formes originales témoignant du goût très éclectique de la Chine et de ses clients.

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(Théière citrouille, date inconnue)

 

Un autre pavillon expose des ouvrages imprimés, sans doute passionnants et précieux, mais encore une fois, et c'est assez frustrant, nous manquons des connaissances nécessaires pour bien apprécier ce pan de la culture chinoise.

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(Pavillon Zunjing)

 

Comme l'idéal confucéen est celui des lettrés et d'une certaine idée du rapport maître-élève, il y a également bien entendu une salle de classe avec un mobilier superbe et original.

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(Minglun Hall)

 

Les pavillons qui encadrent la cour principale du temple abritent des quantités de sculptures d'un genre particulier. Pour donner une idée, je vous ai trouvé la photo la moins mauvaise, car l'endroit en cerné de fenêtres qui laissent passer une grande quantité de lumière.

Ces sculptures, qui participent toujours de l'esprit du lettré, consistent à trouver dans la nature non plus des pierres mais des morceaux de bois: branches, racines, peu importe, mais tordues, bizarres, aux formes évocatrices. Une fois le bout de bois ramassé, il est scupté partiellement. Il s'agit clairement de voir à la fois le travail de l'artiste et celui de la nature. C'est vraiment curieux et assez intéressant comme façon de faire.

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(Le fabuleux héros Zhong Kui, bois de rhododendron, datée "il y a environ 300 ans")

 

Une fois cette visite achevée, nous nous mettons en chemin pour regagner le bazar de Yu Yuan. En chemin, nous croisons la Tour Dajing, unique vestige datant de 1815 des murailles qui enserraient le vieux Shanghaï.

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(Tour Dajing (1815)

 

Le temple Baiyun qui se trouve à proximité est un temple taoiste mais son plan ressemble beaucoup au temple du Dieu de la Ville. Même cour fermée, même brûloir à encens, etc...

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(Temple Baiyun)

 

Seules les divinités et autres personnages qui y sont vénérés changent, mais là encore, ma connaissance du taoisme est bien faiblarde et c'est vraiment un crève-coeur que de devoir l'avouer. Les quelques explications en anglais données dans le temple ont cependant pu pallier quelque peu à ce manque.

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(Autel de Guan Yu, Temple Baiyun)

 

A priori, les salles sont organisées de manière très hiérarchique et symbolique les unes par rapport aux autres et les divinités qui s'y trouvent ne sont pas là par hasard mais selon l'ordre qu'elles occupent dans les canons taoistes.

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(Autel de l'Empereur de Jade, Temple Baiyun)

 

Depuis les balcons de l'étage, on a une vue frappante sur le nouveau Shanghai, qui s'étale mais qui dévore aussi peu à peu la plupart des anciens quartiers, au grand détriment du patrimoine urbain.

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(Bienvenue au pays en chantier!)

 

La grosse curiosité de ce temple, et ce qui fait qu'il m'est bien resté en mémoire, c'est la salle de la grotte. J'ignore si ce nom est bien canonique, mais je ne sais pas trop comment la nommer autrement. Dans cette salle, bien à l'abri derrière une vitre, se trouvent des statues d'une cinquantaine de centimètres représentant les Soixante Dieux du Temps.

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(Une partie des Soixante Dieux du Temps)

 

Ces statues en terre cuite, sans doute assez récentes, fourmillent de petits détails parfois assez amusants. On se plait à les observer attentivement et à voir, par exemple, ce dieu au visage poupin tenir maladroitement un tigre comme on pourrait le faire avec un bon gros chat.

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(Si quelqu'un lit le chinois...)

 

Dans cette même salle, un immense panneau est rempli de petites plaquettes rouges qui sont autant d'ex-voto à destination de ces divinités.

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(Ex-voto)

 

Nous traversons également, sur le chemin qui nous mène à notre point de départ dans Nanshi, des quartiers anciens à l'architecture étonnante, mais qui sont bien délabrés. On peut légitimement craindre qu'avec la frénésie immobilière en cours, ils ne seront pas en place bien longtemps.

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(Quartier ancien, vieille ville)

 

Nous arrivons finalement en vue du bazar d'où nous sommes partis. Comme il nous reste du temps et des yuans, nous décidons de payer l'entrée des Jardins Yu. Autant le dire: on aurait été bien cons de ne pas le faire!

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(Jardins Yu)

 

Les jardins Yu ont été créés en 1559 par un haut fonctionnaire impérial du nom de Pan Yunduan, pour son délassement. Ayant subi pas mal de dégâts au cours des siècles et des guerres, ils ont été superbement restaurés dans les années 1950.

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(Fenêtre, Jardins Yu)

 

L'idée de ce jardin, qui est très représentatif des jardins classiques chinois de type Suzhou (une ville à quelques kilomètres de Shanghaï) était, pour son fondateur, de pouvoir se retirer au calme dans une attitude de lettré voué à l'étude et à la contemplation. Sans bien sûr, s'éloigner le moins du monde de la réalité du pouvoir...

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(Porte d'un pavillon, Jardins Yu)

 

Le jardin classique chinois se donne une illusion d'espace alors qu'il est en général de dimension plutôt modestes. Caché derrière un mur, orné de nombreux pavillons et autres constructions, il s'agit en fait d'un jardin très minéral, laissant une place très réduite aux espèces végétales. 

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(Jardins Yu)

 

Ces jardins très "construits" ont l'ambition de reproduire en miniature les éléments naturels chers aux Chinois: les forêts, les lacs, les montagnes. Le plus spectaculaire dans le genre aux jardins Yu c'est la "Grande Rocaille": des pierres amenées du sud de la Chine et installées sur 12 m. de haut pour évoquer les montagnes dont elles proviennent.

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(Grande Rocaille, Jardins Yu)

 

Mais ces instants de détente et de tourisme qui nous donnent gravement envie de revenir voir la Chine plus en profondeur sont hélas nos derniers moments à Shanghaï car l'avion de Phnom-Penh ne nous attendra pas lui...

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(Jardins Yu)

 

Nous retrouvons donc un métro qui doit nous emmener à l'aéroport de Pudong. Comme nous sommes claqués, entre le froid, le décalage horaire et notre très intense journée de marche, nous nous endormons dans le métro bondé. Et ce qui devait arriver arriva bien entendu : nous avons raté l'arrêt et sommes repartis en sens inverse... Il faut dire qu'il y avait un changement au sein de la même ligne de métro, ce n'est guère pratique. Bref, nous n'avons pas perdu trop de temps et repartons dans le bon sens, effectuons sans souci le changement et après quelques formalités rapides nous pouvons nous endormir dans l'avion, sans crainte cette fois de rater l'arrêt. Quand nous arriverons, il sera 23h00 à Phnom Penh et ce sera le début de notre aventure cambodgienne. Restez là, ça va être passionnant!

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4 août 2014

La Ménagerie du Jardin des Plantes

Un jour comme ça, fin novembre 2013, on s'est dit: tiens, et si on allait à la Ménagerie du Jardin des Plantes histoire de se changer les idées et voir un peu à quoi cela ressemble? Comme souvent dans les zoos historiques, c'est une alliance agréable entre une architecture très particulière héritée du XIXe s. et la possibilité de voir des espèces rares loin de leur milieu d'origine.

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(Cabane en bois de style russe, XIXe s. (?))

 

Historiquement, la Ménagerie du Jardin des Plantes est l'héritière de la ménagerie implantée pour Louis XIV à Versailles. Créée sous le Directoire en 1794 sur proposition de Bernardin de Saint-Pierre, elle est également le deuxième plus ancien parc zoologique du monde (après celui de Schonbrünn). L'idée d'origine était de présenter les animaux dans un décor qui rappelle leur milieu naturel, suivant les théories rousseauistes très en vogue à l'époque.

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(Yack)

 

Alors certes, le décor était là - l'essentiel a été bâti entre 1802 et 1841 - mais les cages et enclos étaient abominablement petits, même pour ce qui se faisait dans la même période ailleurs. Il a cependant fallu attendre 1937 et la création du zoo de Vincennes pour que les plus gros animaux (éléphants, girafes, etc) soient déplacés et que la Ménagerie ne conserve plus que les espèces de plus petit format. Aujourd'hui, les cages ne sont pas plus grandes, mais la Ménagerie se consacre désormais à la conservation et la reproduction d'espèces rares et menacées. 

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(Grand Hocco)

 

Tout n'est sans doute pas parfait (certains animaux, les singes particulièrement, manquent énormément de place et sont très exposés) mais on est tout de même loin des visions terribles du début du XXe s. et un vrai effort a été fait sur la pédagogie. Même si, comme souvent, la plupart des enfants se contrefoutent des explications et préfèrent hurler et se moquer des animaux, sous le regard absolument passif des parents. Bref.

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(Nandou)

 

Hormis les quelques animaux "stars" sur lesquels je reviendrais, il y a beaucoup d'espèces intéressantes et qu'on ne voit que très rarement dans ce genre d'endroits. Le parcours est organisé de la façon la plus pertinente possible compte tenu des contraintes d'espace et de l'historicité du lieu.

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(Chouette de l'Oural)

 

Dans cet article, nous envisageons le parcours dans le sens inverse des aiguilles d'une montre (de droite vers la gauche).

Pour ce qui nous concerne, nous avons beaucoup apprécié la présence d'un certain nombre de rapaces nocturnes dans des volières individuelles malheureusement un peu exigües. Les zoos mettent rarement l'accent sur ce genre d'oiseaux et c'est regrettable. Outre leur beauté, le fait d'avoir plusieurs espèces provenant de continents et de milieux différents (Grand-Duc du Népal, Grand-Duc d'Europe et Chouette à Lunettes d'Amérique du Sud, Chouette Lapone) permet une comparaison entre les espèces.

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(Grand-Duc du Népal)

 

Les explications données par le petit cartel devant chaque cage sont succinctes mais de bonne qualité, mêlant agréablement les informations scientifiques et d'autres plus anecdotiques. 

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(Où l'on apprend entre autres que le Grand-Duc du Népal appartient à la famille des Strigidés)

 

Bien qu'imparfaitement abouti, on a tenté dans d'autres enclos un regroupement plus géographique, avec un grand espace sud-américain partagé entre les vigognes, les nandous et les maras.

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(Quand un nandou rencontre une vigogne)

 

Si le mot de mara vous évoque surtout une variété de fraise, sachez que c'est aussi le petit nom de ce gros rongeur appelé aussi Lièvre de Patagonie. A cause de la concurrence des lièvres européens, il est aujourd'hui quasi-menacé.

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(Mara ou Lièvre de Patagonie)

 

Disséminés un peu partout dans le parc, on trouve des pannonceaux consacrés à la "biodiversité en ville", ce qui est une initiative plutôt intelligente pour faire prendre conscience que les animaux exotiques c'est bien, mais que la nature "sauvage" et les espèces animales menacées ou non se trouvent aussi en plein Paris.

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(Panneaux explicatifs)

 

Je ne prendrai pour exemple que l'espace consacré aux chauves-souris, qui est assez significatif. Dans une sorte d'arbre-hutte dorment ces adorables bestioles, pendues la tête en bas, tandis qu'à l'entrée se trouvent plusieurs panneaux expliquent les moeurs des chauves-souris, leur comportement de chasse et comment favoriser leur installation près de chez soi. Avec un discours centré spécifiquement sur la situation particulière de l'Île de France.

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(La cabane des chauves-souris)

 

En outre, un sympathique petit dispositif permet à l'enfant curieux d'en savoir plus sur l'alimentation des deux espèces locales, la pipistrelle et la sérotine.

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(Médiation à destination du jeune public) 

 

Tout au bout des cages des chouettes et hiboux se trouve celle du chat de Pallas, une curieuse espèce de chat plutôt massif endémique à l'Himalaya et à la Mongolie, aujourd'hui menacé de disparition par la raréfaction de ses proies, principalement les marmottes et les pikas, qui sont largement chassés et empoisonnés. Si vous voulez savoir ce qu'est un pika, ça ressemble à ça (attention, c'est très mignon!)

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(Chat de Pallas)

 

Quand nous les avons vu, ces deux chats avaient l'air de se disputer la place dans la cabane pleine de paille, l'un refusant d'être délogé par l'autre.

Et pendant ce temps-là, plus loin, l'oryx d'Arabie était absent et un kangourou sautait.

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(Dynamisme d'un kangourou) 

 

Quelques grands bâtiments de prestige organisent l'espace de la Ménagerie, dont la Singerie, nous allons y venir. Mais juste un petit mot avant pour parler du renard corsac, un petit canidé tout mignon qui a daigné faire une petite seconde de pause et de pose pour ma photo, avant de retourner avec ses collègues courir frénétiquement dans tous les sens dans la cage! Pour information, cette bestiole très agitée vit de l'Ukraine à la Chine en passant par toute l'Asie centrale.

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(Renard corsac)

 

Passons à la Singerie, un très grand bâtiment en brique cerné d'une rotonde en verre et en acier, tout à fait impressionnante et bien pensée à l'origine, pour que les singes aient à la fois "accès" à l'extérieur et à l'intérieur et surtout qu'ils soient toujours visibles.

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(Singerie)

 

Si le bâtiment est magnifique, il faut avouer que j'ai toujours eu une certaine difficulté à supporter la vue des singes enfermés dans des cages, tant cela paraît une façon archaïque de procéder et tant ils ont toujours l'air dans un état avancé de dépression. Ne pouvait-on pas imaginer pour cette singerie le déménagement des singes qui s'y trouvent vers les grands espaces à l'air libre du zoo de Vincennes pour les remplacer par des espèces plus petites en taille comme des lémuriens ou des macaques?

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(Mangabey Noir)

 

On voit bien que tout a été mis en place et disposé de façon à ce que les singes soient le plus stimulé possible. Mais malgré l'attention apportée par la direction et les soigneurs, il paraît assez difficile de faire grand chose avec de telles conditions initiales. 

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(Il n'y a pas que dans les musées que les flash causent des dégâts...)

 

C'est d'autant plus terrible de voir qu'à l'intérieur, dans des espaces étroits bien loin des forêts denses qui sont leur milieu d'origine, se trouvent plusieurs orangs-outangs. Ces grands singes, qui sont parmi les plus proches cousins de l'espèce humaine, me paraissent ne pas avoir leur place ici, malgré leur statut d'icône du zoo. Mais il est vrai qu'il y a derrière des logiques financières et qu'un zoo sans éléphant, sans girafe, sans rhinocéros, sans grands singes et sans pandas attirera moins...

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(Orang-Outang de Bornéo)

 

La tristesse est amplifiée quand on voit la pauvre vieille femelle (qui est morte depuis notre passage) somnoler péniblement dans son nid, en dépit des cris des enfants et des remarques débiles des uns et des autres.

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(Orang-Outang de Bornéo)

 

Malgré le spectacle impressionnant d'un orang-outang qui se tient debout, ce qui lui confère l'allure d'une sorte d"homme sauvage" très poilu, nous ne nous attardons guère, tant les autres visiteurs nous insupportent. Juste un petit coup d'oeil pour la médiation, comme toujours assez intelligemment pensée.

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(Comment expliquer très rapidement que l'Homme ne descend pas du singe mais qu'ils ont un ancêtre commun)

 

Sortant de là, nous tombons sur deux capybaras en train d'étancher leur soif. Ce gros rongeur aquatique d'Amérique du Sud est un animal assez peu menacé et très sociable.

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(Capybaras)

 

Dans tous le secteur autour de la singerie, ce sont divers ovins, bovins et autres ruminants du sous-continent indien qui ont été acclimatés. La plupart ont des noms assez peu connus: Takin (sorte de gnou de l'Himalaya), Nilgaut (antilope indienne), Goral (petite chèvre himalayenne), Bharal (mouton de l'Himalaya), Markhor (une chèvre aux cornes torsadées balèzes), etc... Je vous évite les photos car la plupart ne sont pas terribles (on ne voit les animaux que de loin). A la place, je vous laisse admirer l'architecture très spéciale de ce coin du parc.

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(Un peu d'architecture)

 

L'animal le plus rare qui soit présent dans le zoo se trouvent entre toutes ces bestioles des montagnes : il s'agit du mythique cheval de Przewalski. Ce petit cheval dont on trouve les représentations sur certaines grottes ornées de la Préhistoire était considéré comme disparu jusqu'à ce que l'explorateur russe d'origine polonaise Nikolaï Przewalski le redécouvre en 1879. Bien entendu, après une telle découverte des derniers troupeaux de chevaux sauvages du monde, on s'est empressé de les chasser tant et si bien qu'au début du XXe s. les derniers spécimens vivants, soit 13 individus, furent confiés à des zoos pour tenter de les sauver. Ce qui marcha plutôt bien au point qu'on a pu en réintroduire quelques petites centaines dans la nature. Bien sûr, avec un si petit groupe de départ pour reconstituer l'espèce, les chevaux souffrent d'une très forte consanguinité... On tente actuellement de les faire diverger en isolant de petits groupes afin de réduire cette consanguinité. 

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(Cheval de Przewalski)

 

Il est vrai qu'après avoir vu un animal devenu aussi rare, les autres, si intéressants soient-ils, paraissent d'un commun! 

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(Faisan de Lady Amherst)

 

Bon, à vrai dire, leur rareté et la menace qui pèsent sur leur espèce est vraiment très variable, mais si les quelques uns dont nous croisons le chemin ensuite ne sont pas forcément tous fréquents dans nos contrées, les menaces sur l'espèce sont mineures. C'est le cas du faisan de Lady Amherst, un proche cousin tibétain du faisan de nos forêts, avec lequel il s'hybride facilement.

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(Dromadaire)

 

Les statuts de conservation réservent parfois des surprises, ainsi si le dromadaire, totalement domestiqué et utilisé en abondance, ne fait l'objet d'aucune mesure de surveillance, il n'en va pas de même du cygne noir, pourtant assez commun, qui est classé comme "préoccupation mineure".

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(Cygne noir)

 

C'est également le cas de l'autruche, peu menacée pour l'instant. La Ménagerie en abrite un couple qui semblait bien agité lors de notre visite.

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(Autruche)

 

A ce moment de la visite, on arrive au second lieu incontournable de la Ménagerie: la Fauverie! Le bâtiment est superbe, dans le plus pur style Art Déco.

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(Fauverie)

 

L'entrée en jette pas mal par sa hauteur et son côté "expo coloniale". Je me demande d'ailleurs ce qui est passé par la tête du commanditaire et/ou de l'artiste quand il s'est dit que pour bien marquer le coup, l'entrée d'un lieu consacré à la conservation des fauves devait arborer sur son fronton une scène montrant des "sauvages" mal définis de retour de la chasse au puma (?)...

 

 

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(Entrée de la fauverie)

 

Comme souvent dans ce genre d'endroits, on y voit des animaux magnifiques qui ont la manie de faire les cent pas à toute vitesse. Autant dire que, quand on a pas de Reflex, ça donne des photos très très dynamiques...

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(Je vous jure que c'est une Panthère Longibande)

 

Ou alors, il faut se concentrer sur l'un de ces gros chats en train de faire une petite sieste, ce qui est assez fréquent aussi.

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(Panthère des Neiges)

 

A la fois plus calmes et moins fatigués, on trouve dans la partie extérieure vitrée de la fauverie des jaguars ainsi que des caracals, ces magnifiques cousins africains et plutôt gros du chat domestique.

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(Caracals)

 

A la sortie de la fauverie, nous passons devant deux oiseaux considérés comme "vulnérables": le très grand casoar à casque et la plus modeste outarde houbara d'Asie, un oiseau migrateur qui nidifie en Asie centrale et passe l'hiver dans la péninsule arabique.

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(Outarde houbara d'Asie)

 

Au-delà, dans une sorte de recoin à l'écart du circuit principal, se trouve un petit bâtiment, sorte de nurserie-infirmerie pour l'élevage des espèces rares. On y trouve pas mal de cages, de couveuses et du matériel scientifique. Lors de notre passage, à l'exception d'un petit oiseau souffreteux et curieux, il n'y avait aucune autre présence. Dommage, car l'endroit aurait mérité un peu plus d'explications. 

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(Un oiseau indéterminé)

 

Le chemin nous fait passer ensuite entre deux séries de petites volières. Les unes sont pour les aras et autres perruches.

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(Ara de Buffon)

 

Les autres sont pour des oiseaux moins colorés mais tout aussi fascinants : les vautours, dont certaines espèces très gravement menacées comme le Vautour de Pondichéry ou le Percnoptère. La préoccupation est beaucoup moins forte pour d'autres espèces, comme le Vautour Pape avec le curieux aspect que lui donne sa tête colorée et pleine d'excroissances.

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(Vautour Pape)

 

Les vautours de l'Himalaya eux sont également loin d'être menacés de disparition. C'est ce type de charognard, très proche des vautours fauves de France, qui dépèce les morts laissés à l'air libre au Tibet dans les funérailles traditionnelles.

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(Vautour de l'Himalaya)

 

Nous repassons près de la rotonde qui forme une sorte de rond-point après l'entrée principale. Construite sous Napoléon Ier, son plan reprendrait la forme d'une rosette de la légion d'honneur. Aujourd'hui elle sert de hall d'exposition mais était alors fermée.

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(Rotonde)

 

Depuis là, nous remontons pour finir la visite du zoo. Nous tombons sur deux élégants bâtiments: la nouvelle faisanderie, aujourd'hui consacrée à divers petits mammifères et oiseaux et un autres consacré aux gros reptiles.

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(Nouvelle faisanderie)

 

C'est là que l'on peut voir des ibis rouges et d'adorables mangoustes jaunes d'Afrique du Sud, qui se mettent en posture de guet au moindre bruit. La différence entre une mangouste jaune et un suricate, qui vit dans le même milieu, est assez légère, il faut bien le remarquer.

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(Mangouste jaune)

 

L'espace des reptiles est une sorte d'affreux caldarium où règne une chaleur moite qui doit se situer autour des 35°C et des 95% d'humidité. A tel point que je n'ai pu prendre que très très peu de photos, car mon appareil s'était totalement embué et a mis plusieurs minutes une fois sorti de là pour évacuer l'humidité installée dans son objectif. Nous sommes passés assez rapidement dans cet endroit où ne logeaient pourtant que très peu de serpents (mais des gros) ainsi que des crocodiles, des tortues et des iguanes.

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(Iguane Vert)

 

Non loin de là se trouve le vivarium, où je passe - seul malheureusement - assez rapidement. On peut y voir pas mal d'espèces de serpents, mais aussi de grenouilles et autres batraciens, ainsi que certains insectes impressionnants. Juste en face, on trouve toute une colonie de flamants roses.

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(Flamants roses)

 

La volière, qui se trouve non loin de l'entrée vers laquelle nous nous dirigeons, est sans doute l'un des édifices les plus remarquables de la Ménagerie: la Grande Volière, édifiée par Milne-Edwards en 1888 pour l'Exposition Universelle de 1889.

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(Grande Volière)

 

Toujours en usage, la volière permet de se balader au milieu des oiseaux le long d'un parcours qui permet de ne pas trop les déranger. C'est bien pensé même s'il faut bien avouer qu'on voit assez mal les différentes espèces qui sont sensées être présentes, à l'exception des grues couronnées.

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(Grues couronnées grises)

 

Mais il est vrai que la beauté de l'architecture et la façon dont la végétation s'en mêle compense la quasi-absence des oiseaux.

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(Grande Volière)

 

C'est ainsi que s'achève notre visite à la Ménagerie, avec un petit coucou pour un animal bien peu exotique qui était pourtant devenu très rare et qui a été sauvé presque miraculeusement: le baudet du Poitou, âne rustique s'il en est, qui avait quasiment disparu dans les années 1950-1960 car devenu inutile à cause de la mécanisation agricole.

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(Baudet du Poitou)

 

Alors j'ai dit que la visite était finie, mais ce n'est pas tout à fait vrai. Car, juste à côté de l'entrée, se trouve deux petites fosses pleines d'arbustes et de rondins pour grimper dedans. Et je préfère prévenir les âmes sensibles, car attention, il y a du TRES MIGNON dans les photos qui vont suivre. Car les deux fosses abritent respectivement des binturongs, adorables "chats-ours" de Malaisie et - star incontestée de la Ménagerie - des petits pandas!

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(Binturong)

 

Alors le panda roux, ça n'a pas grand chose à voir avec le grand panda, à l'exception de son régime alimentaire: bambou matin, midi et soir. Et il faut bien avouer qu'en voir "en vrai" qui jouent et crapahutent dans leurs immense arbre à chat, c'est quand même particulièrement adorable! Je vous laisse sur ces images pleines de poils et de mignoneté.

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(Panda roux)

 

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(Panda roux, de dos)

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(Il y en a plein!) 

 

Pour le prochain billet, on part au pays de tous les pandas : la Chine! 

28 juillet 2014

Promenade sur le Caillou

C'était il y a déjà bien longtemps. Nous étions alors pile un mois avant notre départ pour le Cambodge et cette belle expo "Kanak" au Quai Branly était la dernière que nous vîmes en 2013.

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(Pétroglyphe, date inconnue, Musée de Nouvelle-Calédonie, Nouméa)

 

En général à Branly, on débute l'exposition par le panneau général qui nous en explique le propos. Cette fois-ci non : on entre directement dans le vif du sujet avec tout d'abord une pierre gravée et une petite forêt de perches sculptées auxquelles sont accrochés des tissus et de la paille, qui marquent les délimitations des espaces sacrés et du tabou.

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(Perches sculptés contemporaines, XXe s., Maison de la Nouvelle-Calédonie, Paris)

 

C'est ensuite un petit parcours composé d'appliques de portes de cases, les jövö qui nous est proposé. On découvre ainsi ces impressionnants visages aux nez larges et pointus et aux motifs géométriques. Il s'agit de figures d'ancêtres manifestant la présence des défunts dans le monde des vivants qui étaient fixées de chaque côté de la porte de la grande case.

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(Applique de porte de case, XIXe s, Musée de Nouvelle-Calédonie, Nouméa)

 

Et puis enfin, nous y voilà. Les habituels panneau introductif et carte de la région concernée. Le sous-titre de l'exposition est "l'art est une parole" car l'accent a été mis, nous annonce-t-on, sur l'importance de la parole dans la transmission de la vision du monde chez les Kanak. On pourrait en dire à peu près autant de toutes les populations du monde, mais soit. Ceci dit, il s'agit d'une déclaration d'intention car si la mise en avant de cette question dans l'exposition existe, elle paraît un peu détachée des objets exposés et surtout l'expo est bien plus riche et dense. 

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(Carte de la Nouvelle-Calédonie)

 

Comme souvent à Branly, l'organisation du propos est en réalité chrono-thématique, ce qui reste l'un des façons les plus intelligentes et les plus pédagogiques de faire sur ce genre de sujets.

On remarque dès le début la superbe et très grande carte au 1/200 000e de la Nouvelle-Calédonie tracée à la fin du XIXe s. par un administrateur colonial.

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(Léon Gouharou, Carte de la Nouvelle-Calédonie, vers 1894, Musée du Quai Branly)

 

Le mélange entre objets ethnographiques collectés sur le terrain et documents d'archives est particulièrement bien réussi et équilibré. La partie sur les monnaies traditionnelles est courte mais très intéressante. On découvre ainsi plusieurs de ces monnaies composées d'une tête et d'un chapelet de perles agrémenté de coquillages ou autres menus objets. Très précieuses, elles ont leur propre étui de rangement et servent encore aujourd'hui pour marquer les actes sociaux majeurs : naissance, mariage, décès, etc...

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(Tête de monnaie, XIXe s., Houaïlou, Musée du Quai Branly)

 

L'art de la parole chez les Kanaks est surtout présente au travers de la figure du chef, détenteur et porteur de cette parole au nom de l'ensemble de la communauté. Quand le chef désire parler il prend la hache-ostensoir symbole de son pouvoir, grimpe sur l'échelle à igname et souffle dans une énorme conque d'appel pour attirer à lui la population. 

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(Conque d'appel, XIXe s., Waala, île Art, Soprintendenza al Museo Nazionale preistorico ed etnografico, Rome)

 

La place majeure du chef est bien mise en avant, notamment par des photographies et des éléments biographiques concernant plusieurs importants chefs kanaks, depuis les premiers chefs connus par les récits européens jusqu'à Jean-Marie Tjibaou, le célèbre leader indépendantiste assassiné. Les personnalités politiques kanakes importantes font même l'objet de petites sections plus fouillées. Nous y reviendrons.

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(Quelques chefs (teamaa) de la chefferie de Belep)

 

Outre la conque d'appel, l'un des grands symboles du pouvoir d'un chef kanak sur son peuple est la hache-ostensoir. Ces haches d'apparat, très complexes à tailler dans de la pierre verte (néphrite le plus souvent) en raison du risque de cassure, étaient le signe du prestigne d'une lignée. Un grand prix y était accordé et une famille ne s'en séparait qu'à de très rares occasions solennelles.

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(Hache ostensoir, XVIIIe s., région de Pouébo, musée du Quai Branly)

 

La hache-ostensoir ci-dessus est l'un des rares objets rescapés de l'expédition d'Entrecasteaux partie à la recherche de La Pérouse en 1793, et qui avait abordé la Nouvelle-Calédonie. Bien que d'Entrecasteaux trouve la mort au cours de l'expédition, le récit de son voyage, publié au début du XIXe s., marquera les esprits et l'entrée d'une partie du Pacifique dans l'imaginaire français.

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(Jacques-Julien Houtou de la Billardière, "Relation du voyage à la recherche de La Pérouse...", 1800 (an VIII), Paris, Musée du Quai Branly)



Après celle de Cook en 1774, l'expédition d'Entrecasteaux en 1793 fut la deuxième grande exploration scientifique du XVIIIe s. à aborder en Nouvelle-Calédonie. Les deux capitaines jouirent d'un bon accueil de la population locale, portant sur eux un regard bienveillant et procédant à des échanges d'objets dont sont issus les plus anciennes pièces kanakes présentées dans l'exposition. L'esprit de découverte et d'échange des Lumières fonctionnait pleinement chez ces deux navigateurs.

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(Herminette porte-lame, XIXe s., Musée des Confluences, Lyon)

 

La section suivante de l'exposition est surtout composée d'objets de grande taille, plutôt impressionnants, servant à évoquer un lieu central de la vie kanake : la Grande Maison (mwârö). 

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(Allan Hughan, Grande case ronde de la chefferie Bwaxat, Hienghène, 1874, Musée du Quai Branly)

 

La Grande Maison est le centre de la société, le lieu où le clan se rassemble autour du chef. Il s'agit d'une grande case circulaire organisée autour d'un poteau central très élévé et surmonté d'une flèche faîtière. Cette structure est un résumé de l'organisation de la société, qu'il est impossible de maintenir debout sans une interaction forte entre le grand aîné (le poteau central) et les poteaux du tour de case. Tous ensemble soutiennent le toit qui protège le sol.

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(Extrémité de poteau central de Grande Case, XIXe s., Houaïlou, Museum der Kulturen, Bâle)

 

Une de ces cases est partiellement reconstituée par des éléments comme la flèche et la porte d'entrée et quelques cloisons circulaires. De nombreux schémas et explications un peu techniques accompagnent cette remarquable évocation de la Grande Maison.

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(Appliques de porte et linteau, XIXe s., L'Embouchure, tertre de Pwangaï, Musée de Nouvelle-Calédonie, Nouméa)

 

La Grande Maison, perchée sur un tertre, donne sur un espace extérieur ouvert, bordé d'arbres, où s'élabore la parole publique au cours de grandes cérémonies, les nemwâbwêê. De la case part une grande allée qui mène parfois à d'autres Grandes Maisons (pour les frères du chef par exemple). Elle est bordée d'arbres et de sculptures à planter qui accompagnaient sans doute les offrandes au cours des cérémonies.

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(Sculptures à planter dans les allées, XIXe s., Grande Terre, Musée du Quai Branly) 

 

La sculpture est un art toujours très vivant en Nouvelle-Calédonie et on apprécie que le musée nous ait proposé quelques réinterprétations contemporaines des sculptures à planter, comme celles-ci réalisées en hommage à Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, signataires des accords de Matignon sur la Nouvelle-Calédonie en 1988.

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(Jean-Philippe Tjibaou, Les deux frères, 2008, Commune de Houaïlou, Nouvelle-Calédonie)

 

Pour achever cette thématique, plusieurs flèches faîtières sont présentées, alignées le long des vitres extérieures du musées. La flèche faîtière, taillée dans un seul morceau de bois, était ornées de coquillages, qui ont le plus souvent disparu aujourd'hui. Elle constitue un fort symbole de l'identité kanake, au point qu'on la retrouve sur le drapeau de la Nouvelle-Calédonie.

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(Flèche faîtière, XIXe s., La Foa, Museum der Kulturen, Bâle)

 

Alternant toujours habilement la chronologie et les questions plus thématiques, l'exposition se poursuit avec l'évocation du début de la première moitié du XIXe s. en Nouvelle-Calédonie, avec l'arrivée de toujours plus d'Européens: marins, missionnaires mais aussi scientifiques de tous poils et manifestant des intérêts variés autant pour la culture et les hommes que pour la nature exceptionnelle de l'île (90% des espèces vivantes en Nouvelle-Calédonie y sont endémiques).

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(A.D. Magaud, Portrait de Mgr Guillaume Douarre, 1847, Commune d'Yssac-la-Tourrette, Puy-de-Dôme)

 

Quelques missionnaires s'intéressent également aux langues kanakes, tels que le mariste Pierre Lambert (qui légua sa collection ethnologique au musée de Bordeaux (auj. musée d'Aquitaine) ou les missionnaires protestants comme Maurice Leenhardt.

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(Mission protestante des îles Loyauté, "Tusi hmitöt", Bible en langue drehu, 1890, Service protestant de mission, Paris)

 

Maurice Leenhardt mérite qu'on s'attarde un peu sur son cas. Ce pasteur est chargé à son arrivée en 1902 d'évangéliser les Kanaks (dans un contexte de concurrence avec la pères maristes catholiques évoqués plus haut). Le maire de Nouméa lui demande alors ce qu'il vient faire là car "dans dix ans il n'y aura plus de Canaques". Leenhardt évangélise et forme les premiers pasteurs indigènes. mais tente aussi de comprendre le peuple au sein duquel il a installé sa mission, étudiant les langues et les moeurs des Kanaks,  

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(Maurice Leenhardt)

 

Il devient le principal ethnologue de la région et nous a laissé une oeuvre importante dans ce domaine après son retour en métropole en 1927 (et quelques missions sur place dans les années 1930 et 1940). A sa mort en 1954, Leenhardt laisse une littérature ethnographique considérable sur les Kanaks, ainsi que la société des Océanistes qu'il a fondé, une chaire au Collège de France et les premiers enseignements de langues océaniennes à l'INALCO. Un beau bilan pour celui qui n'était arrivé au départ que pour prêcher la religion protestante...

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(Six noeuds-messages XIXe s., Grande Terre, Musée du Quai Branly. Les messages sont, selon Maurice Leenhardt: assassinat politique, parole torse, alliance de guerre, déclaration de guerre, gage de paix)

 

On apprécie particulièrement, dans le cadre de la section sur les recherches des années 1930, l'évocation de la muséographie de l'époque, parfaite illustration des paradigmes scientifiques alors en vogue sur les gens "restés à l'âge de pierre" (paradigme qui n'a malheureusement pas disparu des têtes ni des médias). Quelle belle idée du Museum de Rouen d'avoir conservé cette trace de l'histoire de la muséographie!

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(Les survivances de la Préhistoire, vers 1930, Museum de Rouen)

 

La fin du XIXe s. est aussi l'époque de la collecte de très belles pièces artistiques et ethnographiques de Nouvelle-Calédonie, comme ce très beau linteau de porte, dit "linteau Archambault" du nom de Marius Archambault, fonctionnaire des P&T sur place et archéologue amateur. Ledit Archambault s'était notamment mis en tête de recenser et photographier les sites pétroglyphiques de Nouvelle-Calédonie, de manière exhaustive et en les photographiant systématiquement. Ce travail passionnant d'un homme dévoué et méthodique n'est malheureusement scientifique que dans la méthode, car la conclusion tirée par ce brave homme était que les gravures rupestres ne pouvaient être que l'oeuvre d'une population étrangère...

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(Linteau Archambault, XIXe s., Näweta, Musée du Quai Branly)

 

Mais la seconde moitié du XIXe s., avec sa présence coloniale de plus en plus forte, est aussi une période de rébellions contre l'autorité française qui se met en place peu à peu. Après les principaux ethnologues de la région, ce sont donc les grands chefs kanaks qui font l'objet de biographies et d'exposition de pièces leur ayant appartenu. Une excellente idée qui donne une image kaléidoscopique de ce peut être une expérience coloniale, avec la diversité des attitudes qu'elle engendre. 

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(K.M. Knapp, Portrait du chef Naisseline, 1853, collection particulière, Nouméa)

 

Le grand chef Naisseline, de l'île de Maré (îles Loyauté) par exemple, a mené une politique visant à la domination de l'île de Maré, en utilisant les pasteurs protestants contre les missionaires maristes. Il sera finalement démis par l'administration français et contraint à renoncer à ses ambitions.

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(Massure phallique ayant appartenu à Naisseline, début XIXe s., Musée du Quai Branly)

 

Mais la figure de chef la plus populaire jusqu'à nos jours est celle du grand chef Ataï qui mena la grande insurrection de 1878 qui ébranla sérieusement la colonie. Mais, ne faisant pas l'unanimité parmi les tribus kanakes, il sera finalement tué par un kanak et sa tête rapportée en France. 

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(Masque mortuaire d'Ataï, 1878, Museum d'Histoire Naturelle, Paris)

 

Bien qu'aucune photographie ni portrait exact de lui ne nous soient parvenus (à l'exception de son masque mortuaire), il est traditionnellement représenté sous les traits d'une homme portant le bouc et une casquette sur le crâne. C'est cette image qui s'est imposée dans l'inconscient collectif et qui a servi sur les nombreux supports pro-indépendantistes: journaux, t-shirts, tags...

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(Emmanuel Kasarherou, Abribus, côte est, 2013)

 

Les Européens installés sur place commémorèrent également cette violente insurrection, par de menus objets et souvenirs locaux.

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(Huître gravée, "Mort de Gally-Passebosc", XIXe s., Musée d'Art et d'Histoire, Rochefort)

 

Retour à des perspectives purement ethnologiques juste à côté avec l'évocation de la culture de l'igname et l'importance du cycle de cette plante dans le rythme de l'année pour les Kanaks.

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(Pierres pour la magie des ignames, XIXe s., Musée de Nouvelle-Calédonie, Nouméa)

 

L'igname et les objets qui sont attaché à sa culture, de la plantation des tubercules à la récolte et au stockage, ont un caractère sacré. Tout cela est très bien expliqué grâce à une longue frise, de nombreux objets et une vidéo.

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Le balancier reprend son rythme pour revenir à l'histoire et à la prise de possession officielle de la Nouvelle-Calédonie par Napoléon III le 24 septembre 1853, soit historiquement très tôt dans l'histoire coloniale. En quelques décennies, c'est une triple colonie qui se met en place: colonie d'exploitation, colonie de peuplement et également une colonie pénitentiaire. C'est d'ailleurs l'occasion d'évoquer la figure de Louise Michel qui faisait partie des proscrits de 1871 condamné à la relégation en Nouvelle-Calédonie. Elle s'y intéressera au peuple et à la culture kanakes, ainsi qu'à la grande révolte de 1878 qu'elle voit comme une insurrection contre l'oppression coloniale. Elle rentrera en France à l'occasion de l'amnistie générale de 1880.

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(Pierre-Henri Paillard, "Je vois arriver la farouche Louise Michel" in Les Voyages illustrés, 1893, Collection particulière)

 

Alors même que les Français sont de plus en plus présents en Nouvelle-Calédonie, la connaissance des Kanaks - ou du moins ce qui en est transmis en métropole - se fait plus partielle et partiale, plus caricaturale aussi. Les Kanaks sont parqués dans des réserves dont ils ne peuvent sortir et font l'objet d'une imagerie humiliante basée sur des théories racialistes et évolutionnistes.

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("Les anthropophages de la Nouvelle-Calédonie", in Le Journal des Voyages, 1878, collection particulière, France)

 

Ayant besoin d'images fortes, la colonisation oublie vite les Kanaks décrits par Cook et d'Entrecasteaux qui sont presque des "bons sauvages" rousseauistes, pour s'attacher à en faire l'un des degrés les plus primitifs et les plus cruels de l'évolution humaine. Dangereux, sauvages, anthropophages, pratiquant une sexualité exhibitionniste et bestiale... les Kanaks sont alors animalisés et certains feront l'objet d'exhibitions humiliantes dans les fameux "zoos humains", qui ne manquent pourtant pas d'opposants dès l'époque de leur mise en place.

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(Le Pilou-Pilou, affiche)

 

Nous avons apprécié la confrontation des représentations de l'autre, vu par chacun des deux peuples. Outre les imageries colonialistes avides de sensationnalisme, on trouve aussi de beaux portraits de Kanaks dans le plus pur style académique du XIXe s.

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(Artiste anonyme, Buste de Canaque, XIXe s., Musée d'Angoulême)

 

Et son pendant kanak: la représentation d'un Européen coiffé d'un casque colonial et d'un nez très long (une caractéristique de la représentation des Européens très commune en Asie également).

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(Flèche faîtière au casque colonial, XIXe s., Grande Terre, Musée d'Art et d'Histoire, Rochefort)

 

La suite et la fin de l'exposition sont un peu moins passionnantes, présentant de longues vitrines consacrées à certains types d'objets: les massues, les sagaies, les figurines funéraires, objets magiques, statuettes, etc... Toutes sont de belles et intéressantes pièces, mais le propos paraît plus confus, d'autant plus que les distinctions avec les autres éléments présentés dans la salle ne sont pas nettes.

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(Tirailleurs kanaks, Bataillon du Pacifique sur le sol français, guerre de 1914-1918, Gaumont Pathé Archives)

 

On y trouve ainsi également une courte vidéo sur les tirailleurs kanaks engagés dans la première guerre mondiale et une impressionnante collection de très grands masques permettant au danseur d'interpréter lors de cérémonies des personnages tantôt inquiétants, tantôt comiques.

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(Figure de masque, XIXe s., Collection des musées de l'agglomération d'Annecy)

 

Dans cet espace peu éclairé, les masques semblent prendre vie et leur aspect un peu effrayant en est renforcé. C'est du plus bel effet mais malheureusement, cela se fait au détriment de la lecture correcte des pièces et des cartels, plongé dans une pénombre un peu trop dense. L'équilibrage entre mise en valeur par les jeux d'ombres et lumière suffisante pour la visite est toujours délicat au Quai Branly. 

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(Masque, 1ere moitié du XIXe s., Nord de la Grande Terre, Musée du Quai Branly)

 

On finit bien entendu par quelques propos sur les évènements aux allure de guerre civile des années 1980 et la voie de l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie, toujours en question alors qu'elle aurait dû être réglée en 2008... Je passe sur le côté un peu ridicule du cartel qui explique qu'en passant de l'orthographe française "canaque" à l'anglaise "kanak" pour se désigner, les Kanaks avaient retrouvé identité et dignité... Admettons...

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(Drapeau kanak, 1982, Centre Culturel Jean-Marie Tjibaou, Nouméa)

 

C'est avec cet avenir incertain de la Nouvelle-Calédonie et la figure de Jean-Marie Tjibaou, assassiné par un kanak en 1989, qu'aurait dû logiquement s'achever l'exposition. Mais non, une ultime section évoque les liens entre les gens manifestés par les dons et contre-dons. De nombreux objets: monnaie, colliers, tapas, vêtements, s'échangeaient ainsi très fréquemment. Malgré tout l'intérêt de ce propos, on se demande un peu ce qu'il vient faire en épilogue de cette riche exposition, comme si on avait pas trop su où caser tout cela.

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(Collier de perles, avant 1850, Musée du Quai Branly)

 

Encore une petite note sur Paris, et promis, je rattrape mon retard concernant notre long séjour cambodgien!

 

12 mai 2014

Le temps de l'Indochine

Il y a des moments comme ça où l'actualité muséographique rejoint vos propres projets. Et alors que nous préparions de plus en plus activement notre départ pour le Cambodge à la fin décembre, une deuxième exposition consacrée à cette région du monde nous tombe sous la main. Il s'agit de l'exposition "Indochine" au musée de l'Armée, qui ferme un peu la page ouverte avec l'expo "Algérie" que nous n'avions malheureusement pu voir. 

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Je connais très mal le musée de l'Armée des Invalides, que j'ai visité étant gamin. Je ne me souviens guère vaguement que de l'immense et solitaire tombeau de Napoléon. Et c'est dommage, il faudra vraiment que je vienne creuser un peu plus, car si le reste du musée est à l'avenant de cette exposition, cela en fait sans nul doute l'un des mieux fichus de Paris.

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(Jean Somer, Royaume d'Annam comprenant les royaumes de Tumkin et de la Cochinchine désigné par les pères de la Compagnie de Jésus, 1653, BnF)

 

Or donc, ce jour-là, nous étions venus voir ce que le musée avait à nous dire de l'aventure coloniale de la France en Indochine, depuis ses prémices aux XVIIe et XVIIIe s. jusqu'à la chute de Dien Bien Phu en 1954. Une fois passés l'époque des missionnaires et de quelques compagnies de commerce, la France met réellement le pied en Indochine - en réalité surtout dans le futur Vietnam - dans la première moitié du XIXe s. A cette époque en effet, l'empereur Gia Long de la dynastie des Nguyen, entreprend de réformer et moderniser son pays. Il est aidé dans cette tâche par de nombreux officiers français qui modernisent la flotte vietnamienne et élèvent des citadelles à la Vauban.

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(Maupérin, Le prince Canh lors de sa visite en France pour la signature du traité de Versailles, 1787, Missions étrangères de Paris)

 

Avant de poursuivre plus loin dans le détail de l'exposition, il faut signaler la grande qualité pédagogique de celle-ci. Les sections sont claires, chronologiquement bien définies et cohérentes. Pour chaque section, un petit panneau de médiation à destination du jeune public récapitule les points importants à retenir, sans tomber dans l'aspect parfois débilitant de ce genre de choses. C'est franchement bien fait.

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(Panneau de médiation pour jeune public)

 

Si les officiers français trouvent leur place, il n'en va pas toujours de même en ce qui concerne les religieux, qui continuent d'arriver au XIXe s. En témoignent les documents et objets venus du fonds des Missions étrangères de Paris. Par exemple, cette évocation par un artiste local des supplices endurés en 1835 par le père Joseph Marchand, est saisissante. Le cartel nous précise que ce ne sont des persécutions pour raison religieuse, mais le soutien du religieux à une rebellion contre le pouvoir central qui fut la cause de sa torture et de sa décapitation.

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(Anonyme vietnamien, Martyre du père Marchand, 1835, Missions étrangères de Paris)

 

Les contacts entre la France et l'Indochine se font de plus en plus intenses au cours du XIXe s. L'implantation française dans la région de façon permanente débute réellement avec l'installation à Saïgon, une base arrière permettant à la France d'intervenir facilement dans l'empire chinois alors en pleine crise et en proie à tous les appétits occidentaux.  

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(Canon vietnamien de la forteresse de Vinh-Long, XIXe s., Musée de l'Armée, Paris)

 

Avec les persécutions religieuses endurées par les catholiques sous le règne de l'empereur Tu Duc, c'est finalement comme souvent un banal incident qui déclenche en 1858 la guerre de conquête qui aboutira à l'annexation d'une partie de la Cochinchine en 1867 après de multiples combats, traités et soulèvements.

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(Tenue de Nguyen Tri Phuong, général en chef de l'armée vietnamienne, vers 1860, Musée national de la Marine, Paris)

 

Le faible royaume voisin du Cambodge était lui aussi passé, à sa demande, sous protectorat français afin de le détacher de l'influence du Siam, dès 1863. Et ce à l'époque même où le monde redécouvre les temples de la période angkorienne... même si Angkor et sa région ne seront détachés du Siam pour rejoindre le Cambodge qu'en 1907.

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(Janet-Lange, M. le commandant Desmoulins adressant son allocution au roi du Cambodge, 1864, BnF)

 

Les objets présentés dans l'exposition le sont souvent à très bon escient et rapprochés de documents iconographiques de façon pertinente, comme ce salacco d'infanterie de marine...

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(Salacco de l'infanterie de marine, XIXe s., Musée de l'Armée, Paris)

 

... placé dans une vitrine non loin de ce portrait d'un officier d'infanterie de marine.

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(Maurice Mahut, L'officier Noury de l'infanterie de marine - Cochinchine 1859-1870, vers 1870, Musée de l'Armée, Paris)

 

Ces objets sont assez symbolique de l'emprise que possède désormais la France sur la Cochinchine et le Cambodge. Après la défaite de 1870 contre la Prusse, la France privée de l'Alsace-Moselle, se cherche une destinée outre-mer. A partir des années 1880, la conquête du Tonkin, portée par Jules Ferry - et qui finira par causer sa chute - ne se fait pas sans heurts. L'armée française rencontre une forte résistance de la part du Vietnam aidé par les Pavillons Noirs armés par la Chine.

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(Tenture représentant la prise de Bac-Ninh, 12 mars 1884, vers 1884, Musée de l'Armée, Paris)

 

Cette partie consacrée aux guerres du Tonkin est particulièrement saisissante par le choix des documents qui ont été choisis pour l'illustrer. On peut ainsi voir la guerre et ses principales batailles sous plusieurs angles différents: le souvenir réalisé par un artiste local pour un militaire français et l'image d'Epinal à vocation à la fois didactique et patriotique.

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(Prise de Sontay, 16-17 décembre 1883, 1883, Musée national de la Marine, Paris)

 

Et encore plus frappant pour la bataille navale de Fou-Tchéou, la version chinoise, faisant appel à un langage plus proche de celui du géographe que de l'artiste et la représentation de la même bataille par un peintre français.

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(Combat naval de Fou-Tchéou, 23 août 1884, après 1884, Musée de l'Armée, Paris)

 

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(Prise du fort de la pagode à Fou-Tchéou, 25 août 1884, après 1884, Musée national de la Marine, Paris)

 

Ce n'est qu'en 1885, après des succès sur mer contre la Chine, que le Vietnam échappe à l'influence de son grand voisin pour passer sous celle de la France. C'est à cette même époque que la région de Luang Prabang (nord du Laos) demande la protection de la France contre le Siam (un peu comme l'avait fait le Cambodge une vingtaine d'années plus tôt). Le Laos devient un protectorat, ce qui est également le cas de l'Annam et du Tonkin.

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(H.D. Saint-Jean, Oun Kham, roi de Luang-Prabang, XIXe s., Musée du Quai Branly, Paris)

 

En 1890, à quelques petites exceptions et subtilités près, l'Indochine française a pris sa forme définitive. C'est la pleine période de l'administration et de la présence française, qui développe les "savoir coloniaux" qui vont de la botanique, l'hydrographie ou la connaissance des langues locales jusqu'à la médecine ou l'ingénieurie. Toutes ces sciences se développent aussi bien par pur intérêt intellectuel que pour aider à l'administration des pays concernés.

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(L'Indochine Française - 1888-1891)

 

La fin du XIXe s. est toutefois encore agitée de rebellions au Cambodge, en Annam et au Tonkin, ainsi que par des bandes de Pavillons Noirs plutôt hostiles à la présence française. Un ordre colonial stable et pacifié ne sera véritablement établi qu'au début du XXe s. après l'écrasement de ces révoltes. 

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(Drapeau des Pavillons Noirs, fin XIXe s., Musée de l'Armée, Paris)

 

Un des défauts de l'exposition cependant, réside dans son parcours de visite assez peu clair. Tout est organisé de façon à rendre les retours en arrière fréquents pour voir un recoin oublié, et les séparations entre les différents parties chronologique ne sont pas toujours claires.

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(Casque colonial du service de santé, modèle 1886, Musée du service de santé du Val-de-Grâce, Paris)

 

Après une belle série de vitrines consacrées aux costumes des différents corps d'armées présents en Indochine : garde indigène chinoise, tirailleur tonkinois, tirailleur algérien; on accède à une projection de courts films de 1899-1900 réalisés par les opérateurs envoyés un peu partout dans le monde par les Frères Lumière. 

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(Tenue vietnamienne de "duc protecteur" du général Warnet, 1886; Sergent du 3e régiment de tirailleurs algériens, 1885; Garde de la garde indigène chinoise de la brigade de Kouang-Tchéou-Wan, 1899; tous Musée de l'Armée, Paris)

 

La fin du XIXe s. est marquée en métropole par de nombreux débats, notamment ceux entre Jules Ferry et Georges Clemenceau. Le père de l'école publique et le futur Tigre s'affrontent au Parlement sur la question coloniale, en des termes qui sont rappelés sur les cimaises:

"Je répète qu'il y a pour les races supérieures un droit, parce qu'il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures" (Jules Ferry, séance du 28 juillet 1885).

"Regardez l'histoire de la conquête de ces peuples que vous dites barbares et vous y verrez la violence, tous les crimes déchaînés, l'oppression, le sang coulant à flots, le faible opprimé, tyrannisé par le vainqueur!" (Réponse de Georges Clemenceau, séance du 31 juillet 1885).

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(Alfred Le Petit, "Les hommes d'aujourd'hui : La Carotte, Jules Ferry", assiette éditée pour l'exposition universelle de 1889, Musée d'Orsay, Paris)

 

Malgré ce débat, la colonie indochinoise prospère et finit par pénétrer les esprits jusqu'en métropole. Exotisme facile, douceur de vivre, merveilles des temples d'Angkor recouverts par la jungle, ce sont toutes ces images qui arrivent désormais en France, reléguant bien loin la disgrâce de "Ferry-Tonkin". Menée par des gouverneurs pragmatiques et intelligents comme Albert Sarraut, l'Indochine apparaît comme la "perle de l'Empire français"

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(Mascré-Souville, Albert Sarraut (gouverneur d'Indochine 1911-1914 & 1917-1919), début XXe s., Musée du Quai Branly, Paris)

 

Si la première moitié de l'exposition nous expliquait les soubresauts de sa naissance, la deuxième moitié s'attache à nous montrer la colonie vivre, changer et enfin mourir.

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(J.L. Beuzon, Engagez-vous, Rengagez-vous dans les troupes coloniales, 1931, Collection Eric Deroo)

 

La partie qui évoque la vie coloniale en Indochine fait la part belle aux documents iconographiques, peintures, affiches et journaux notamment. Tout est encore une fois remarquablement choisi et varié.

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(Ernest Hébrard, Plan d'extension de Phnom-Penh, 1920, BnF)

 

Ainsi, quand un plan de Phnom-Penh s'attache à préserver les séparations ethniques traditionnelles par quartier du Cambodge (Cambodgiens, Chinois, Vietnamiens, musulmans Cham, etc) tout en édifiant un quartier de style colonial et en traçant des axes larges pour permettre la circulation automobile, une petite estampe de la minorité chinoise montre deux personnages qui se plaignent du bruit des voitures. Parfaite illustration de l'évolution et du développement de l'Indochine pendant l'entre-deux-guerres.

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(Piéton incommodé par le bruit des automobiles, 1936, Archives de l'EFEO, Paris)

 

L'impact de cette région du monde dans la culture française avait déjà eu son premier feu avec les récits de voyage de Delaporte, Mouhot et les autres et sa gloire littéraire avec Pierre Loti. Désormais, ce sont l'oublié Claude Farrère ou le discutable André Malraux - et plus tard l'oubliable Marguerite Duras - qui raméneront des morceaux littéraires de ces contrées.

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(Claude Farrère, Fumée d'Opium, Flammarion, 1932, Musée de l'Armée, Paris)

 

L'art n'est pas en reste et nombreux sont les artistes français récompensés par le prix Indochine pour leur permettre d'aller sur place (j'en parlais déjà un peu ici). 

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(Evariste Jonchère, Danseuse royale cambodgienne, vers 1933, Musée des années 30, Boulogne-Billancourt) 

 

Cette période de passion de la France pour ses colonies culminera avec l'exposition coloniale de 1931 dont il nous reste encore de nombreuses traces à Paris (Palais de la Porte Dorée, temple bouddhiste du bois de Vincennes, zoo de Vincennes, etc). On nous présente ici un fragment de la remarquable frise réalisée par Marie-Antoinette Boullard-Devé pour le Pavillon de l'Indochine.

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(Marie-Antoinette Boullard-Devé, Personnages indochinois, 1931, Musée du Quai Branly, Paris)

 

Mais ces années 1930 sont bien perturbées et le communisme qui connaît un certain succès en Europe et prône la décolonisation - en s'opposant notamment par exemple aux expositions coloniales - gagne du terrain en Indochine où Ho Chi Minh fonde le Parti Communiste Indochinois dès 1930.

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(Affiche de soutien aux mutinés de Yen Bai, 1930)

 

La seconde guerre mondiale apparaît comme un intermède sanglant mais décisif dans la voie qui va mener l'Indochine à l'indépendance. Bien que restée fidèle au régime de Vichy, l'Indochine subit l'occupation japonaise à partir de 1945. Et l'on découvre au détour d'une affiche que Pétain pouvait aussi s'exprimer en vietnamien pour expliquer ce qu'était sa vision du monde aux Indochinois.

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(Philippe-Henri Noyer, Phap Viêt Phuc Hung (la renaissance franco-vietnamienne), 1943, BnF)

 

Avec l'effondrement de l'empire du Japon suit celui du royaume du Vietnam et, dans le désordre ambiant, la proclamation de l'indépendance par le Vietminh le 2 septembre 1945. Le désarmement du pays est confié aux Chinois au Nord et aux Anglais au sud, ce qui amène la France a réaffirmer sa position dans la région et à envoyer les troupes de Leclerc mater le Vietminh.

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(P. Baudouin, Hier Strasbourg, demain Saïgon, Engagez-vous dans les Forces expéditionnaires françaises d'Extrême-Orient, 1945, Collection Eric Deroo)

 

Malgré la signature d'un accord entre l'administration française restaurée - sous l'égide du général Leclerc - et le Vietminh d'Ho Chi Minh, les incidents se multiplient et une nouvelle insurrection éclate fin 1946, qui marque le début de la Guerre d'Indochine. Le Laos et le Cambodge, dans lesquels le protectorat a été rétabli sans trop de difficultés, restent à l'écart du conflit, servant seulement de base arrière.

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(Affiche de recrutement pour l'armée nationale khmère, vers 1953, Collection Eric Deroo)

 

Les troupes françaises de De Lattre de Tassigny et celle du général Giap font jeu égal dans la région jusqu'à ce que, vers 1950, les enjeux des nouvelles grandes puissances que sont la Chine communiste d'une part et les Etats-Unis de l'autre ne finissent par dépasser les belligérants. L'interventionnisme de ces deux puissances se fait de plus en plus fort. En métropole, très préoccupée par sa propre reconstruction, la guerre d'Indochine ne mobilise guère que l'opposition des communistes. Pendant ce temps-là, on s'efforce de faire renaître une activité touristique...

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(Marc Leguay, Laos, vers 1950, Archives nationales d'Outre-Mer, Aix-en-Provence)

 

C'est à une véritable guérilla organisée avec infiltrations dans la population et escarmouches plutôt qu'à une guerre conventionnelle qu'on à faire les troupes françaises, qui s'enlisent et ne parviennent pas à emporter la victoire. Cette stratégie parfaitement rodée, le Vietminh la mettra à nouveau en oeuvre avec succès contre l'armée américaine par la suite.

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(Affiche française destinée aux populations vietnamiennes, 1946-1954, Collection Eric Deroo)

 

Cette partie de l'exposition fait la part belle à de superbes affiches mais aussi à de nombreux costumes militaires, armes, étendards, etc... Même si les uniformes contemporains n'ont plus le charme exotique de ceux du XIXe s., il faut saluer le beau travail réalisé par le musée dans cette grande vitrine.

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(Uniformes)

 

Si la propagande française tourne à plein, il est tout aussi délectable de voir celle du Vietminh à l'oeuvre, avec ces remarquables tracts à destination de la Légion étrangère, rédigés par les Vietnamiens en allemand (bon nombre de légionnaires étaient originaires de ce pays) pour les inciter à la désertion. Ils furent 2000 environ à suivre ce conseil et à regagner l'Allemagne via la Chine et l'URSS.

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(Affiche vietminh, Fremdenlegion oder Freiheit, 1950)

 

Cette guerre entre des Vietnamiens acharnés et une France lasse de cette lointaine guerre coloniale s'achèvera comme on le sait dans la cuvette de Dien Bien Phu après un terrible siège et un grand succès stratégique du général Giap. Mais dès 1953, avec l'indépendance du Cambodge finement négociée par le roi Sihanouk, puis celle du Laos, l'Indochine française était déjà morte.

La France quittera l'Indochine après sa terrible défaite de mai 1954 et la signature des accords de Genève à l'été de la même année. Les Américains arriveront dès l'année suivante pour lutter contre le Vietminh. C'en est fini de la guerre coloniale, l'heure est désormais à la lutte contre le communisme.

La France elle, plonge dès novembre 1954 dans une nouvelle et douloureuse guerre, celle d'Algérie.

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(Départ d'Indochine)

11 mai 2014

La passion de Delaporte et le "mythe d'Angkor"

Pendant plusieurs mois, le musée Guimet a effectué une opération de financement participatif (crowdfunding) pour payer la restauration d'un moulage de la porte d'Angkor Vat réalisé à la fin du XIXe s. sur les instructions de Louis Delaporte. L'idée, excellente, était d'impliquer le public dans la préparation de la grande exposition de l'automne 2013 par un très beau projet de restauration. Comme souvent avec Guimet, on peut regretter une communication indigente par rapport à la qualité et à l'importance de ce musée, et une opération de financement sans doute trop étalée dans le temps.

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(Salles de réception du musée Guimet au Panthéon bouddhique)

 

Bref, nous avons participé à cette opération de crowdfunding, ce qui nous a donné droit à un remerciement, une affiche dédicacée et une entrée spéciale pour le jour du vernissage. Ce 15 octobre, nous étions donc, en avance, parés pour cette grande soirée de vernissage. Disons-le tout net : nous n'avons pas de critique majeure à faire sur l'exposition proprement dite. L'organisation globale de la soirée, en revanche, nous a paru un échec assez complet.

Premier souci : nous arrivons en avance et nous souhaitons donc visiter un petit peu l'exposition, car nous venons avant tout pour cela plutôt que pour le pince-fesses organisé au Panthéon bouddhique (à quelques centaines de mètres de là). Il y a déjà des gens qui visitent l'expo, donc nous avançons, plein de confiance. Mais là, le gardien nous refuse l'entrée: ce n'est pas l'heure pour nous, en ce moment ce sont des journalistes ou je ne sais quels autres invités. Nous voilà donc face à l'imbécilité administrative la plus évidente : on ne peut pas visiter l'expo avant d'être allé perdre une heure et demi à boire un peu de champagne et manger quelques bricoles. Et l'on se retrouvera bien évidemment à la fin de l'expo avec un cruel manque de temps, vu que nous, nous venons visiter en détail les expos, pas les survoler. Mais nous y reviendrons.

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(Vernissage au Panthéon bouddhique)

 

Nous découvrons donc, après avoir pas mal poireauté, les salles de réception du Panthéon bouddhique, ce bel espace méconnu dont le musée Guimet ne sait pas trop quoi faire. Ce sont des salles magnifiques, lambrissées. Un restaurant cambodgien de Paris propose un buffet avec quelques petites choses à grignoter, mais rien d'extraordinaire non plus. Après les discours, compliments et autres bêtises d'usage, nous pouvons enfin redescendre au musée Guimet et aller découvrir l'exposition : "Angkor - naissance d'un mythe - Louis Delaporte et le Cambodge".

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(Triade d'Amida, panthéon bouddhique)

 

Les moulages réalisés par Louis Delaporte étaient longtemps restés enfermés dans l'abbaye de Saint Riquier pendant des décennies, se dégradant lentement, mal considérés alors même qu'ils sont une précieuse source de renseignement sur un état des temples angkoriens qui a bien souvent été modifié depuis. Désormais sauvés et restaurés impeccablement, ils ont trouvé avec cette exposition une place d'honneur éclatante dans la première salle d'exposition du musée, consacrée à l'art khmer ancien.

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(Salle d'art khmer)

 

Aux collections habituellement présentées, ont donc été rajoutés un certain nombre de moulages superbes qui complètent idéalement ces collections permanentes. L'énorme moulage de visages du Bayon qui trône dans cette haute salle ferait presque oublier la barrière à nagas qui en marque l'entrée et qui ne manque pas d'impressionner le visiteur.

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(Moulage d'une tour à visages du Bayon, fin XIXe s.)

 

Si la présentation est impeccable, on peut toutefois noter un bémol : la coupure de l'exposition en deux et le mélange des genres. En effet, dans ces collections permanentes on a placé des éléments appartenant à l'expo temporaire et on a ajouté des cartels temporaires à certaines pièces présentées en permanence. Hélas, tout cela apparaît un peu désordonné et le visiteur n'est guère guidé dans son parcours, ce qui le contraint à papillonner à droite à gauche pour trouver quelle oeuvre fait partie de l'exposition ou non. Et le fait que l'exposition Delaporte se poursuive au sous-sol n'est pas clair du tout, si bien que nous avons vu pas mal de visiteurs heureux d'avoir vu ces grands moulages mais qui ont arrêté là leur visite, croyant que l'exposition finissait là.

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(Moulage d'un élément de décor de la porte ouest de la tour centrale d'un gopura d'Angkor Vat, Mission Louis Delaporte, 1881-1882)

 

L'avantage pour l'amateur de technique, c'est que l'on peut souvent voir les parties normalement cachées des moulages, ce qui nous rend plus clair le travail effectué.

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(Moulage d'un élément de décor de la porte ouest de la tour centrale d'un gopura d'Angkor Vat, Mission Louis Delaporte, 1881-1882, vue de la tranche)

 

Parmi les très belles pièces présentées au rez-de-chaussée, on peut aussi signaler cette superbe maquette de 1899 du Bayon, dont les visages sont curieusement colorés en bleu. Cet art de la reproduction au 1/100 des grands monuments khmers persiste toujours au Cambodge actuel avec le travail de quelques artistes locaux (mais de cela nous parlera plus tard, dans le compte-rendu de notre voyage sur place!). On notera que jusqu'en 1907, date à laquelle la France obtient son rattachement au Cambodge, la région de Siem Reap et donc les temples d'Angkor sont sous domination siamoise.

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(Capitaine A. Filoz, "Le Baïon - Monument khmere à Angkor-Thom. Siam", 1899)

 

Cette exposition est aussi l'occasion de rappeler que ces moulages, qui ont très largement contribué à construire en France l'imagerie et le mythe d'Angkor - et à attacher un peu les Français à leur colonie d'Indochine alors en train de se former peu à peu - n'ont pas toujours été oubliés et abandonnés. Ils ont en effet été exposés pendant de nombreuses années (1878-1925) au musée Indochinois du Trocadéro (l'ancien Trocadéro, pas le monument des années 1930 que l'on connaît aujourd'hui). Ce musée, aux salles très hautes (jusque 13 mètres de hauteur) permettait une excellente présentation d'ensemble des moulages reconstituant des grandes parties de monuments khmers. On ne peut que souhaiter que les moulages restants soient à leur tour restaurés et pourquoi présentés dans une salle estampillée "Guimet" à la Cité de l'Architecture et du Patrimoine?

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(Moulage du fronton de la fausse porte centrale nord de la salle aux danseuses du Ta Prohm, Mission Lucien Fournereau - Sylvain Raffegeaud, 1888-1889)

 

Après avoir - a priori - fait le tour des pièces installés pour cette expo, nous poursuivons donc par le sous-sol, dans l'espace où se tiennent les expo temporaires habituellement. Et là, on découvre enfin les panneaux vraiment explicatifs sur le pourquoi de l'exposition, sur la vie et la personnalité de ce fameux Delaporte. On aurait aimé les trouver dans la première salle; cet éclatement de l'exposition est assez perturbant il faut bien le dire.

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(Entrée de l'exposition au sous-sol)

 

L'argument de base de l'exposition est l'expédition de Louis Delaporte en 1873 qui se rend au Cambodge dans le but de "visiter les antiques monuments khmers" alors à peine découverts par les Occidentaux, et d'en ramener des éléments de sculpture et d'architecture pouvant intéresser les musées français. C'est l'occasion pour le musée Guimet de retracer la vie de Louis Delaporte mais aussi de ses contemporains et précurseurs, comme Henri Mouhot.

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(Costume d'enseigne de vaisseau de Louis Delaporte, vers 1870, collection particulière)

 

On débute donc avec des portraits de famille et des souvenirs personnels de Louis Delaporte. Né en Touraine, issu d'un milieu conservateur, il reçoit une éducation classique et poursuit une carrière d'officier de marine assez ordinaire jusqu'à que le hasard le conduise en Orient à faire partie de la mission d'exploration du Mékong en 1866.

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(Atelier Georges Penabert, Portrait de Louis Delaporte, vers 1875, collection particulière)

 

C'est à l'occasion de cette mission qu'il découvre le site d'Angkor; ce sera le tournant majeur de sa carrière, une véritable révélation. Il organisera plusieurs voyages dans la région jusqu'à ce qu'en 1881 sa santé ne le lui permette plus. Il se consacre alors à la supervision des missions postérieures et à la conservation du musée indochinois du Trocadéro jusqu'à sa mort en 1925.

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(Louis Delaporte, la ville de Loches, s.d., collection particulière)

 

Ces missions d'exploration ont eu un fort impact dans le contexte de découverte et d'élargissement du monde de la fin du XIXe s. Cet impact est encore augmenté par les dessins de Delaporte, une discipline dans laquelle il s'était montré doué dès son plus jeune âge. Ses récits et dessins gagnent en popularité grâce aux revues de voyage comme "Le Tour du Monde" dans laquelle il publie pour la première fois récits et dessins sous forme de feuilleton entre 1871 et 1873.

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(Louis Delaporte, Les monuments du Cambodge, 1924, Bibliothèque du musée Guimet)

 

La figure de l'entomologiste et botaniste Henri Mouhot, véritable pionnier de l'exploration du haut Mékong et premier redécouvreur d'Angkor - dans le sens où il le premier à en donner un récit propre à frapper l'imagination - n'est pas oubliée. Très élogieux, ses récits contribueront à donner à ses contemporains et successeurs le goût de ces ruines mystérieuses mangées par l'impénétrable forêt indochinoise. Le pauvre Mouhot ne jouira pourtant jamais de la fortune de ses récits : après un peu plus d'un an d'exploration, il meurt en 1861 dans l'actuel Laos, où se trouve son tombeau, en pleine jungle.

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(Estampage d'un bas-relief d'Angkor Vat, détail du "défilé royal", 1866, Musée Guimet)

 

Plusieurs dessins originaux de Delaporte sont exposés et donnent une bonne idée - surtout après avoir vu soi-même les lieux "en vrai" - de la part de réalisme et de la part de pittoresque dans ses représentations. Et l'on comprend pourquoi ce genre d'évocation avait pu impressionner ses contemporains.

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(Louis Delaporte, Vue idéale d'Angkor Vat, vers 1870-1873, Musée Guimet)

 

Pour Delaporte, le patrimoine exceptionnel qu'il découvre nécessite d'être connu et diffusé comme étant l'un des chefs-d'oeuvre de la création humaine. Mais pour lui aussi, ces temples jamais abandonnés mais ne bénéficiant d'aucun entretien depuis plusieurs siècles et s'effondrant progressivement, engloutis par la jungle, sont un patrimoine menacé de disparition, qu'il convient de décrire, dessiner, noter, et dont il faut réaliser des prélévements de statues et de reliefs, mais aussi des photographies et des moulages. 

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(Moulage d'une devata, pavillon d'angle sud-ouest de la troisième galerie enceinte d'Angkor Vat, mission Louis Delaporte, 1873)

 

Toutes ces pièces rejoindront dans un premier temps le musée de Compiègne, puis le musée indochinois du Trocadéro jusqu'à la disparition de Delaporte en 1925, qui en assurait bénévolement la conservation. Les collections rejoindront enfin le musée Guimet après la disparition de Delaporte et du musée du Trocadéro. Il est à signaler que le Louvre, qui était d'abord envisagé pour les recevoir, les a refusé... Ce n'est réellement qu'avec l'exposition universelle de Paris en 1878 que l'art khmer accède à la reconnaissance et que Delaporte peut montrer ses pièces dans de bonnes conditions.

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(Linteau oriental du passage central du gopura ouest d'Angkor Vat, mission Louis Delaporte, 1881-1882)

 

La suite de l'exposition perd un peu de vue le propos principal et les missions d'exploration pour une présentation détaillée de nombreux moulages de temples angkoriens. C'est superbe et particulièrement impressionnant quand on se trouve face à de très grands reliefs extrèmement détaillés, réalisés avec soin voici plus de 120 ou 130 ans.

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(Une salle de l'exposition)

 

Malgré tout, cela ne donne qu'une faible idée de ce que peut être non seulement Angkor Vat, mais aussi la plupart des grands temples angkoriens, avec leur incroyable richesse décorative. Cependant, certains de ces moulages sont aujourd'hui considérés comme pouvant se substituer aux originaux en ce qui concerne la connaissance scientifique, car les originaux restés sur place ayant beaucoup soufferts, ils ne sont parfois plus lisibles. C'est le cas du linteau ci-dessous:

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(Détail du moulage du linteau central du temple de Thommanon, mission Louis Delaporte, 1881-1882)

 

En somme, c'est le portrait d'un homme de son temps, de formation classique, qui a été mis en contact fortuitement avec un pan encore méconnu du monde, de l'histoire et de l'art et qui a contribué avec une passion et une énergie hors du commun à le faire connaître en France et dans le reste du monde. Un bel hommage du musée Guimet à un homme sans lequel ses collections auraient bien moins de relief. Et un juste retour des choses pour ces magnifiques moulages très longtemps délaissés et maltraités.

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(Décor du musée indochinois du Trocadéro?)

 

Nous nous promenons donc, émerveillés, de moulage en moulage, jusqu'à ce que la mauvaise nouvelle ne tombe: l'exposition ferme ses portes à 23h00. Et comme il est déjà 22h30, un groupe de trois gardiens, très peu aimables, nous pousse avec une indélicatesse totale vers la sortie, nous empêchant de regarder quoi que ce soit et ferme les portes derrière nous. Belle soirée pour eux, qui finissent 20 minutes avant l'heure prévue. Et un bon gros ratage pour le musée envers des gens dont il a sollicité les dons, et qu'il remercie de bien mauvaise façon. Imaginez donc, où irait-on si les gens lors des vernissages se mettent à visiter les expo en détail?!

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(22h38, tout est fermé)

 

Au final, j'ai râlé sur Facebook et j'ai obtenu un billet gratuit pour finir l'expo. Ce que je n'ai pas pu faire, faute de temps et plutôt échaudé par cette expérience pénible alors que l'expo était exceptionnelle.

 

22 avril 2014

Retour à Charleville

Fin septembre 2011, nous étions allés pour la première fois au festival des marionnettes de Charleville-Mézières et nous en étions revenus enchantés. Et à l'époque j'avais moins de retard dans mon blog.

Nous avions donc de longue date décidés de réitérer l'expérience en 2013, le festival se tenant tous les deux ans désormais. Et cette année, il fallait réserver encore plus tôt, en particulier pour le logement; en effet, impossible début août de trouver une chambre d'hôtel à Charleville pour la fin septembre! Je m'étais donc rabattu sur un hôtel de Sedan.

 

Nous arrivons donc à Charleville le vendredi matin. A peine débarqués, nous nous précipitons au premier spectacle que nous avons réservés, qui débute à 10h00. Il s'agit d'un spectacle intitulé "Le meunier hurlant", monté par la troupe française Tro-Héol mais qui reprend l'un des romans du grand écrivain finlandais Arto Paasilina. L'histoire est celle du meunier d'un petit village de Finlande, marginal et mal vu à cause de ses habitudes bizarres, comme celle de hurler à la Lune. C'est plutôt bien fait, et sur un scénario solide, à la fois drôle et touchant, la troupe joue formidablement en mélangeant avec une certaine grâce un décor de photos illustrant la nature finlandaise, le jeu d'un acteur humain et des marionnettes de plusieurs tailles selon que l'action est vue de plus ou moins loin. C'est d'une grande finesse et c'est une belle réussite pour un spectacle dont on ne savait pas trop quoi attendre.

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(Fin du spectacle Le Meunier hurlant, 27 septembre 2013)

 

Le spectacle suivant débute à 14h00, ce qui nous laisse le temps de flâner dans Charleville et de renouer un peu avec les souvenirs engrangés deux ans auparavant. Et globalement, tout est là, au rendez-vous: il fait beau, les animations des rues sont là - parfois les mêmes que la fois précédente.

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(Une troupe de deux manipulateurs, déjà vu il y a 2 ans - malheureusement je ne connais pas leur nom)

 

La place ducale, coeur de Charleville et superbe exemple de place "royale" du XVIIe s., vibre également au rythme des marionnettes. Cette année, outre les grandes figures qui en gardent l'entrée et les multiples spectacles de rue et boutiques éphémères de marionnettes qui s'y tiennent, un chapiteau abrite plusieurs castelets où se jouent plusieurs variations autour du toujours fantasque et méchant Polichinelle.

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(Place ducale, Charleville)

 

Comme la dernière fois, nous constatons que l'église St Rémi, qui jouxte la billetterie, n'est pas passée à côté de l'évènement qui agite Charleville:

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(Façade de l'église Saint Rémi, Charleville)

 

Nous en profitons pour refaire un petit tour dans ce joli édifice néogothique, nous attardant sur le chemin de croix plutôt expressif.

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(De Rudder (?), Jésus tombe sous le poids de la croix, 1864)

 

Nous nous dirigeons doucement vers la petite île sur la Meuse entre la vieille ville de Charleville et le Mont Olympe, où se déroulera le prochain spectacle que nous avons réservé. Nous repassons évidemment devant le superbe Vieux Moulin qui abrite le musée consacré à Arthur Rimbaud, le plus célèbre enfant du pays. Cette année encore, nous ne le visiterons pas.

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(Vieux Moulin - Musée Rimbaud, Charleville)

 

Sur la petite île du Vieux Moulin se tiennent cette année un spectacle de rue à l'ambiance a priori particulière, monté par une troupe espagnole; un vaste espace avec trois espèces de yourtes, où se joue le spectacle Outreciel (que nous allons voir); ainsi que quelques boutiques éphémères dont celle appellée Chandra et tenue par un couple de post-hippies très sympathiques qui servent quelques pâtisseries et douceurs ainsi qu'un délicieux chaï.

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(Vue sur le Mont Olympe depuis l'île du Vieux Moulin)

 

Nous assistons donc à 14h00 à la pièce Outreciel de la compagnie La Valise. Au début, on nous distribue de petits tickets de couleur, qui vont déterminer l'ordre dans lequel nous allons pénétrer dans chaque yourte. L'espace étant limité, cela permet à tout le monde de tout voir tour à tour. Malheureusement, les horaires sont assez mal gérés et on passe pas mal de temps à poireauter à l'extérieur, ce qui est dommage car le spectacle est plutôt sympathique. A base d'objets et de petites marionnettes, chaque manipulateur/conteur narre une histoire différente, plutôt poétique. Ce n'est pas le spectacle qui me laissera le souvenir le plus inoubliable, mais il faut souligner le vrai talent et la qualité des acteurs.

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(Outreciel, 27 septembre 2013)

 

Une fois le spectacle terminé, nous assistons à un petit spectacle de Polichinelle, plutôt enfantin et très rythmé, très amusant. Allez hop, une vidéo:

 

Le spectacle suivant, Mironescopio, était proposé par la compagnie Atarumba, des Portugais assez dingues qui ont composé un spectacle à thématique sexuelle mais dans le genre cabaret début de siècle. Le nombre de spectateurs est limité à 10 par séances et cela se déroule dans une pièce au décor chargé, qui se veut une sorte de bordel plein de froufrou. On y est accueilli par les manipulateurs/acteurs, fardés, gominés, avec de petites moustaches et des costumes rayés pour les hommes, et pleines de plumes et de décolletés pour les femmes. On nous débarrasse de nos manteaux et on nous présente un peu. La salle proprement dite est divisée en deux espace : une grande partie est composée de petites tables où se trouvent des boites noires et l'autre partie est occupée par une grande table qui présente des joujoux sexuels anciens: trucs de massage qui ressemblent à des instruments de torture et autres divertissements érotiques de la première moitié du XXe s. Cette table et les machins dessus sont expliqués à certains participants pour les faire patienter pendant que les autres sont installés chacun devant sa boite noire. Ces boites sont en fait chacune un micro théâtre de marionnettes. On prend un casque, le manipulateur lance l'extrait sonore, musique ou narration, et il manipule devant vos yeux collés aux trous de la boite. Les historiettes jouées sont très courtes, 2 ou 3 minutes grand maximum et présentent aussi bien des légendes et histoires grivoises que des petits divertissements parfaitement idiots.

L'ensemble est un peu lourdingue parfois, mais globalement très bien mené et vraiment amusant. Et malgré les thématiques légèrement osées, on ne tombe pas dans quelque chose de trop vulgaire qui mettrait mal à l'aise; cela reste bon enfant. Et un très bon point: l'excellent français de l'ensemble des artistes de cette troupe portugaise.

Bien sûr, il était très compliqué de prendre des photos, mais vous pouvez en retrouver ici, cela vous donnera une petite idée du spectacle.

 

Le dernier spectacle de la journée est beaucoup plus sérieux. Venue d'Inde, la compagnie Katkatha Puppet Arts Trust nous présente About Ram, une adaptation de quelques scènes du Ramayana. Les marionnettes sont superbes et parfaitement animées, les danseurs et les extraits de vidéos conçues spécialement pour servir de décor se mêlent plutôt bien au spectacle. L'ensemble donne un effet assez contemporain, très loin des traditionnelles marionnettes d'ombres asiatiques. Un seul reproche sans doute: le rythme parfois un peu lent de la narration, qui nécessite, surtout en fin de journée, une attention plutôt soutenue.

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(About Ram, 27 septembre 2013)

 

Nous remontons ensuite vers la gare pour gagner Sedan, où nous avons réservé un hôtel. Et tant qu'à faire, nous avons pris l'un des plus beaux de la ville, situé directement dans l'immense château fort qui domine la ville. Le château, ouvert aux visite, abrite également un hôtel de grand standing.

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(Château fort, Sedan) 

 

Cette incroyable forteresse, haute de sept étages, a été bâtie aux XVe et XVIe s. pour défendre la positition stratégique de Sedan aux confins de la France, des Pays-Bas bourguignons, du Saint Empire et du duché de Lorraine. Par chance, nous apprenons en plus que nous sommes surclassés d'une chambre "normale" vers une chambre parmi les plus chères. Celle-ci s'organise sur deux niveau et ouvre directement sur une sorte de chemin de ronde et des anciens bastions.

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(Hôtel Le Château Fort, Sedan)

 

C'est assez fou et c'est sans doute l'un des plus beaux hôtels où nous soyons descendus (c'est à dire, qui cumule confort et lieu historique incroyable), sans doute à égalité avec celui de Burgos. Je dois avouer que je n'attendais pas quelque chose d'aussi formidable à Sedan, ville de réputation médiocre.

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(En sortant de notre chambre, Sedan)

 

Nous ne pûmes malheureusement pas profiter vraiment des centres d'intérêt de notre ville-hôte, car nous y sommes rentrés chaque soir assez tard et partis chaque matin trop tôt. Et une grève des trains locaux - très intelligente en pleine période d'un festival qui ne se tient que tous les deux ans - ne nous a pas facilité la tâche. Sedan nous a paru malheureusement déclinante (le nombre de panneaux "à vendre" est en général un très bon signe du dynamisme et de l'attractivité d'une ville) et nous n'avons pas aimé du tout les interminables avenues Philippoteaux et de Verdun. En revanche, les quelques éléments aperçus de la vieille ville, devant lesquels nous sommes passés rapidement, nous ont paru plutôt intéressants. Nous prendrons tout de même le temps de nous balader un peu dans le château fort le dimanche matin, mais nous n'en sommes pas encore là.

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(Château fort, Sedan) 

 

Nous reprenons le train le lendemain et allons de suite prendre le petit-déjeuner chez nos amis hippies, qui ne savent pas faire que le thé mais proposent aussi des gourmandises très sympathiques.

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(La Meuse, Charleville-Mézières)

 

Le spectacle que nous avons réservé pour 11h00 se joue dans la salle du Mont Olympe, au nord de Charleville. Il s'agit de Haïku, par la troupe belge du théâtre du Papyrus. C'est un spectacle magnifique, très poétique. L'histoire est celle de Bozo, une petite marionnette à la tête en forme de tasse à café, qui déambule dans un décor féerique, avec un château en glace qui fond au fur et à mesure du spectacle, un piano qui joue tout seul, etc... Le tout animé par le seul Bernard Chemin qui nous offre un spectacle très attachant, plutôt destiné aux enfants mais qui fonctionne parfaitement avec les adultes.

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(Haïku, 28 septembre 2013)

 

Nous allons manger non loin de la place ducale, là où se tiennent de nombreux stands de nourriture, très variés. C'est également toujours surprenant de passer devant la grande boutique de fossiles, l'une des plus importantes de France, qui a toujours le chic pour mettre en vitrine une pièce incroyable; cette année, un ptérodactyle quasiment complet. De quoi décorer sa maison de bien belle manière...

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(Boutique Géofossile, Charleville)

 

Sur la place ducale se tient, comme je l'ai précisé plus haut, un grand chapiteau avec plusieurs castelets consacrés à des spectacles de Polichinelle. Celui que nous apercevons est dans un esprit un peu créole antillais et utilise beaucoup la musique pour souligner ses effets.

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(Castelet de Polichinelle)

 

Nous allons voir le spectacle Insensé à 14h00. Il se joue dans une petite salle légèrement excentrée devant laquelle nous attendons un petit moment, faisant au passage ami-ami avec une chatte adorable et un peu collante.

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(Copain des chats!)

 

Insensé, de la compagnie Drolatic Industry, porte plutôt bien son nom. Il s'agit en effet d'une relecture de l'oeuvre de Lewis Carroll avec des marionnettes. On voit ainsi s'agiter des personnages issus de l'univers foldingue de l'écrivain anglais. Tout cela n'a guère de sens, mais c'est assez plaisant et une mention spéciale doit être décernée aux marionnettes de l'oeuf Humpty Dumpty et surtout au formidable Jabberwocky, bien plus mignon qu'effrayant.

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(Insensé, le Jabberwocky, 28 septembre 2013)

 

Nous passons ensuite par la galerie temporaire du musée de l'Ardenne. Il y a deux ans y était présentée une expo sur Géo Condé. Cette année, elle était consacrée au travail de Jean-Pierre Lescot autour de Van Gogh. Ce marionnettiste avait en effet créé en 1999 le spectacle "Quelques images pour Vincent". 

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(Agostina Segattori, marionnette du spectacle "Quelques images pour Vincent", 1999, coll. J-P Lescot)

 

Toutes les marionnettes présentées évoquent la vie ou l'oeuvre de Vincent Van Gogh et appartiennent à la collection personnelle de Jean-Pierre Lescot. 

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(Vincent Van Gogh, marionnette du spectacle "Quelques images pour Vincent", 1999, coll. J-P Lescot)

 

Si l'exposition est moins passionnante que celle sur Géo Condé et Jacques Félix, elle est agréable de par la qualité des marionnettes et des ombres découpées qui y sont présentées.

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(La chambre de Vincent à Arles, 2000, coll. J-P Lescot)

 

Nous assistons ensuite à la représentation du Rêve de la Joconde, par la compagnie Anima Théâtre. C'est très honnêtement le spectacle qui m'a le moins séduit. Se voulant une évocation de l'histoire de l'art à travers la balade de la Joconde et sa rencontre avec d'autres oeuvres emblématiques (la vague d'Hokusai, les éléphants aux pattes gigantesques de Dali, etc), l'ensemble est assez survolé. Je n'ai franchement pas aimé. Après quelques recherches, il semblerait qu'il s'agissait en fait d'une sorte d'introduction à l'art pour les enfants. Pourquoi pas, mais même en ce cas cela ne m'a pas paru passionnant. Je suis franchement passé à côté de ce spectacle qui amenait pourtant de bonnes idées mais sans les mener jusqu'au bout.

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(Le rêve de la Joconde, 28 septembre 2013)

 

En attendant le prochain spectacle à 20h00, nous profitons du "Off" qui se déroule dans la rue. Il y a comme toujours des spectacles de très grande qualité; le seul vrai reproche qu'on peut leur faire c'est que la plupart du temps ces troupes, qu'elles soient très pro ou qu'elles rôdent leurs spectacles, ne donnent souvent pas de cartes ni de dépliant, ce qui fait que malheureusement il ne reste souvent de leurs prestations qu'un souvenir, mais pas de noms ou de site internet à consulter. Si un de mes lecteurs connaît le nom des compagnies, c'est avec plaisir que je les ajouterai.

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(Spectacle de rue, Charleville)

 

Parmi les spectacles remarquables que nous vîmes au hasard de nos balades, il y avait ce clown triste déjà aperçu en 2011, mais aussi des nouveautés, comme ce superbe numéro de transformation où l'artiste (une espagnole si ma mémoire est bonne) se sert des énormes baleines de sa robe comme d'une cache où elle disparaît parfois et pioche les accessoires de son spectacle, par ailleurs très joli et poétique.

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(Spectacle de rue, Charleville)

 

Autre révélation très belle, très drôle et assez osée, ces deux jeunes femmes de Lille, à l'énergie débordante et à l'inventivité un peu macabre, qui nous propose le strip-tease vraiment extrème de leur grande marionnette. Cela commence comme un spectacle burlesque plutôt sexy et ça finit comme un épisode de Itchy et Scratchy...

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(Spectacle de rue, Charleville)

 

Le prochain spectacle a lieu à la Médiathèque, dans le hall de laquelle nous patientons. Il se trouve qu'il s'y tient une sorte d'exposition autour de Tantôt, une marionnette à taille humaine mais qui vit et se déplace plus lentement que les humains. Il s'agit d'un projet très amusant qui court depuis plusieurs années déjà. C'est bien fichu et inventif et cela fait bien passer le temps en attendant Mathilde.

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(Tantôt, médiathèque, Charleville)

 

Mathilde, c'est l'héroïne, le personnage central du prochain spectacle. Mathilde est un spectacle de la compagnie Stuffed Puppet Theatre, des hollandais pleins d'un humour très désespéré. C'est l'histoire de plusieurs personnages d'une maison de retraite qui évoluent le temps de l'évènement que constitue l'anniversaire de Mathilde, la plus vieille pensionnaire, âgée de 102 ans. C'est superbement écrit même si l'ensemble est au final très cynique et très triste : cynisme du directeur de l'hospice qui cherche à gagner toujours plus sur le dos des petits vieux et les petits vieux proprement dits, bien plus sympathiques mais qui confrontent au douloureux sujet de l'extrème vieillesse. Un spectacle exceptionnel mais dur, porté à bout de bras par son manipulateur et interprète principal, Neville Tranter.

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(Mathilde, 28 septembre 2013)

 

Nous regagnons tant bien que mal Sedan, en taxi puisque la SNCF locale est en grève. Le lendemain matin, nous faisons un bon petit tour sur les murailles accessibles du château et nous quittons ce bel endroit, regrettant de n'avoir pu approfondir un peu plus et en plein jour.

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(Château fort, Sedan)

 

Direction Charleville pour une troisième et dernière journée avant le retour à Paris.

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(Statue de Charles de Gonzague, fondateur de Charleville en 1608)

 

Ce dimanche, comme nous partons en milieu d'après-midi, nous n'avons prévu de voir que deux spectacles. Comme le premier n'est qu'à 11h00 nous avons largement le temps de nous promener encore à travers la ville, sous un soleil bienvenu.

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(Maison verdoyante, Charleville)

 

Le premier spectacle, Blue Jeans, de la compagnie du chinois Yeung Fai, est encore une belle découverte. Le ton en est encore très triste (globalement, les spectacles vus cette année n'étaient pas d'une tonalité très amusante - à quelques exceptions près). Le sujet est la vie d'une petite chinoise qui travaille dans un atelier où sont fabriqués les jeans destinés au marché occidental. C'est quasiment un documentaire, c'est très bien fait, l'animation de type bunraku donne une vigueur et un réalisme au propos, très frappant et efficace. Charleville est l'occasion de la première représentation de ce spectacle.

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(Décor de Blue Jeans, 29 septembre 2013)

 

Nous profitons du temps qui nous reste pour quelques jolies emplettes et une visite au musée de l'Ardenne. Nous connaissons bien ce musée que nous avions visité en détail il y a deux ans. C'est néanmoins l'occasion de redécouvrir avec plaisir ses belles collections et voir ce qui a pu changer. 

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(Porte parapluies, 1889) 

Nous constatons avec plaisir que le discutable escalier qui mêle divers naturalia et un travail du plasticien Jean-Luc Parant est toujours garni de la même manière.

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(Jean-Luc Parant, ammoncellement de boules, résine, 2003)

 

Pour l'essentiel, le musée a peu changé et l'on pourra se reporter à ce que j'en disais voici deux ans. La seule section renouvelée est la salle qui présentait une expo temporaire sur Géo Condé (en plus de ce qui était présenté dans la galerie du rez-de-chaussée évoquée plus haut dans cet article). Cette année c'est une exposition sur les marionnettes à travers le monde, complétée par des affiches d'anciennes expositions du musée. C'est une présentation belle mais succincte, qui rappelle un peu celle du musée Gadagne à Lyon.

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(Marionnette sur l'eau, Vietnam, XXe s.)

 

Les affiches anciennes sont intéressantes en particulier celle-ci, qui reprend les motifs des marionnettes d'ombres du Cambodge et qui date de 1972, soit avant la grande rupture que représente le régime Khmer Rouge. Nous reparlerons énormément de ces marionnettes dans les semaines qui viennent...

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(Affiche, 1972)

 

Signalons aussi la découverte de ce beau bronze du début XXe s., très adapté à la thématique puisqu'il représente une montreuse de marionnette. On passera sur l'aspect curieux de montrer des marionnettes dans le plus simple appareil pour simplement s'arrêter sur l'originalité du thème, rare en sculpture.

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(Edouard Louis Henry Lerolle, La montreuse de marionnettes, 1900)

 

Nous finissons ces trois intenses journées par le spectacle de la troupe Nomad Theater qui se joue sous un chapiteau devant l'église St Rémi. Il s'agit encore de hollandais, qui sont très mis à l'honneur cette année et se révèlent à la fois très créatifs et excellents francophones. Spectacle créé à destination des enfants, mais vraiment regardable par tous, il narre l'histoire toute simple et très drôle d'un pirate assez nul, de sa femme et de divers autres protagonistes. C'est très sympathique et cela finit pour nous le festival 2013 sur une note légère. Il faut d'ailleurs saluer le courage du couple à l'origine de la compagnie, qui a assuré le spectacle malgré des circonstances personnelles difficiles. Que le spectacle continue et que vivent les marionnettes!

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(De Piraat, 29 septembre 2013)

 

Alors, on y revient en 2015?

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