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Nouvelle Feuille
20 novembre 2011

Ankara (I)

Le 5 août, nous prenons le bus dans la matinée pour un long voyage vers Ankara, reliant les deux capitales : l'ancienne, la prestigieuse, l'ottomane Istanbul-Constantinople-Byzance et la moderne, l'atatürkiste Ankara. Nous nous étions renseignés à l'hôtel pour savoir si le fameux TVG local reliant les deux villes était opérationnel. Mehmet, notre cher hôtelier, nous affirme que oui et va se renseigner pour les horaires sur le net. Peine perdue : oui il existe, mais pas en ce moment, il y a des travaux... Les affres de la Turquie. Au final, nous profitons tout de même bien du voyage; après avoir traversé l'impressionnante banlieue industrialo-portuaire d'Istanbul, nous nous enfonçons dans l'Anatolie : peu de villages et de villes, de grandes étendues plus ou moins montagneuses et de plus en plus steppiques, comme un avant-goût de l'Asie centrale.

Anatolie 

(L'Anatolie depuis la vitre du bus)

 

Finalement, nous arrivons à Ankara vers la fin d'après-midi.

Ah, Ankara... Avant d'y aller, j'en ai entendu des choses sur la capitale turque : c'est affreux, c'est uniquement une étape vers la Capaddoce, ça n'a aucun intérêt, etc... Bref, je ne m'attendais pas à grand chose de passionnant, et nous y étions venus essentiellement pour le musée des civilisations anatoliennes. Au final, si en effet la ville moderne n'est pas d'une grande beauté, nous trouverons largement ici de quoi remplir pleinement et plaisamment ces deux jours, dans une atmosphère très différente d'Istanbul, à tous les points de vue.

Première difficulté : trouver l'hôtel, situé dans la citadelle, un espace restreint mais assez emberlificoté pour celui qui y cherche son chemin. Nous finissons par le trouver. La maison, une ancienne demeure ottomane parfaitement restaurée, est magnifique. L'hôtesse parle un anglais parfait et pratique un sourire archi-commercial et archi-permanent, très agréable a priori mais qui ne laisse place à aucune authenticité des rapports humains. Nous sommes loin des repas de rupture de jeûne offerts par nos hôteliers stambouliotes.

Notre chambre est spacieuse, belle, toute de bois et d'un agencement très plaisant. Ce sera, clairement, la plus belle où nous dormirons en Turquie. 

Canapé, hôtel

(Chambre d'hôtel)

 

Nous occupons cette fin d'après-midi à arpenter la citadelle (qui est en fait une citadelle double : la partie inférieure, où se trouve notre hôtel, est proprette et restaurée avec soin; la partie supérieure, en piteux état, se délabre et ressemble plus à un bidonville qu'à autre chose).  

Maison ottomane réhabilitée

(Maison ottomane restaurée)

 

Les deux enceintes de la citadelle de l'antique Ancyre sont de construction byzantine et ça se voit quand on prend le temps de l'observer un peu : ce n'est que remploi de monuments antiques de la ville : stèles, bouts de colonnes, fragments d'inscription; on retrouve le joyeux bordel de la construction utilitaire byzantine.

Réemploi dans la muraille

(Muraille byzantine, VIIe - IXe s.)

 

Dans la citadelle supérieure, comme je l'ai déjà signalé, malgré le charme des lieux, l'ambiance témoigne surtout de l'extrème pauvreté des habitants et donne une impression assez glauque. Au début on trouve presqu'amusant les enfants qui "jouent" à mendier. A la fin, ça devient franchement pesant. Nous visitons ce soir-là la citadelle, mais nous n'y retourneront pas ensuite. L'enceinte proprement dite est plutôt correctement entretenue. Les superbes maisons ottomanes qui s'y trouvent menacent ruine et rappellent presque le roman d'Albert Cossery "La maison de la mort certaine".

Maison ottomane en ruines (2) 

(Maison ottomane un peu moins restaurée)

 

Le lieu n'est cependant pas peuplé que de pauvres bidonvilliens; les touristes sont relativement nombreux (toutes proportions gardées bien entendu quand on arrive d'Istanbul) à se promener sur les remparts. 

Bastion

(Bastion)

 

Depuis cette partie haute de la ville, les vues sont superbes, que ce soit sur la citadelle elle-même et sur le Ak Kale, un petit fortin d'époque ottomane dont l'accès est interdit.

Citadelle blanche (Ak Kale)

(Ak Kale)

 

Mais les vues les plus impressionnantes sont celles de la ville basse, qu'on embrasse entièrement du regard : moderne, immense, tentaculaire, l'Ankara qui s'est développée depuis les années 1920 s'arrête brutalement au loin pour laisser place à de la steppe à perte de vue.

J'aime les panoramas. 

Vieille ville et ville moderne

(Ankara)

 

 Nous trouvons un petit endroit sympathique pour manger, juste à côté de l'hôtel, où nous faisons connaissance d'un sympathique ogre allemand et archéologue de surcroît. Il nous explique - en français - qu'il fouille à Hattusha, l'ancienne capitale hittite, que nous avons prévu de visiter après Ankara. Il nous invite à venir lui dire coucou quand nous y serons, et nous promet de nous montrer plus en détail les fouilles. Nous y reviendrons (cet archéologue est en fait Reinhard Dittmann et il nous faut lui écrire un mot comme nous nous le sommes promis).

Le soir est l'occasion idéale de se détendre dans notre agréable hôtel avant une rude journée prévue le lendemain.

 


Notre programme du lendemain est des plus copieux : rien moins que le musée des civilisations anatoliennes, le principal point d'intérêt touristique d'Ankara. En fait, en matière de touristes qu'on nous annonçait en masse, nous sommes a priori les premiers et hormis quelques groupes d'Italiens et d'Espagnols qui passeront bruyamment et rapidement au rythme des conneries débitées par leurs guides (et le guide italien - c'est la seul de ces deux langues que j'entende un peu - en servait à la pelle des âneries arrogantes). 

Entrée du musée des Civilisations anatoliennes

(Entrée du Musée des Civilisations Anatoliennes)

 

Le nom du musée est tout un programme : brosser, à l'aide des découvertes réalisées sur place depuis environ 150 ans, un portrait de la grande diversité et de la richesse des civilisations qui se sont succédées sur le sol anatolien depuis la préhistoire jusqu'à la période romaine. Le musée en lui-même n'est pas un gigantesque dédale à l'image du Louvre, mais la richesse de ses collections fait qu'on y passe, sans forcer, au moins trois heures, voire quatre (ce fut notre cas). 

DSCN7178

(Carte des sites évoqués dans le musée)

 

Nous sommes arrivés peu de temps après l'ouverture en fait et s'il y a bien quelques touristes, pour l'instant, nous voyons surtout les gardiens. Le musée est organisé en U autour d'un espace où sont installées les reliefs hittites monumentaux. La présentation chronologique est assez claire et aérée, et les cartels sont tous bilingues turc/anglais, ce qui est un vrai plus quand on ne possède qu'une compréhension basique du turc.

Salle peu fréquentée

(Musée des Civilisations anatoliennes, peu après l'ouverture)

 

La visite débute par une des salles les plus enthousiasmante du musée, autant par la qualité de ce qu'il présente que par son petit goût d'exotisme : la maison de Çatal Höyük, une très belle reconstitution, permet de mieux envisager l'organisation et la vie dans ce qui fut l'une des premières villes de l'histoire humaine voici environ 9000 ans et sans doute la plus grande ville de son temps (environ 5000 habitants vers 6000 av. J-C). 

DSCN7185

(Maison de Çatal Höyük)

 

Comme on le voit par l'échelle qui communique avec le toit, c'est par les toits que se faisait la circulation et l'entrée dans la maison! Quelques éléments importants, pour lesquels nous avons quelques pistes d'explication, sont bien présentés: sépulture, décoration avec crânes de taureaux, peintures murales représentant notamment des scènes de chasse, statuettes des divinités féminines de type déesse-mère.

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(Déesse-mère, vers 6000 - 5500 av. J-C, Çatal Höyük)

 

Les peintures murales décoraient l'intérieur de certaines maisons. Il est vraiment étonnant et émouvant de pouvoir admirer de telles réalisations. 

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(Peinture murale, scène de chasse, vers 6000 - 5500 av. J-C, Çatal Höyük)

 

Dans ce parcours très chronologique, certains sites qui ont livré un matériel archéologique nombreux pour une période précise sont évoqués par des vitrines dédiées. Tout cela est vraiment passionnant, même si pour certains sites comme Hacilar qui ont surtout livré de la poterie, l'abord est plus austère.

Le site d'Alaca Höyük a lui par contre donné des objets très étonnants, comme ces "disques solaires" en bronze dont on ignore encore la signification exacte. La plupart des objets trouvés sur ce site très important sont exposés à Ankara.

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(Disque solaire, Alaca Höyük, bronze ancien, IVe millénaire av. J-C)

 

J'ignore à quel point les différentes civilisations anatoliennes qui se sont succédées se sont influencées ou non, mais on retrouve très souvent dans leur iconographie ces deux animaux : le taureau et le cerf, parfois même les deux utilisés ensemble. Le cerf n'apparaît a priori guère avant l'âge du bronze ancien. Ensuite il domine, reléguant semble-t-il les taureaux aux rôles secondaires.

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(Statuette de cerf et taureaux, bronze, Tombe B, Alaca Höyük, Âge du bronze ancien)

 

On découvre aussi, dans les bijoux et menus objets présentés, la qualité et la finesse du travail de l'or et de l'argent. 

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(Objet rituel, or, Mahmatlar, Âge du bronze)

 

J'ai beaucoup aimé ces petites idoles jumelles qui seraient, selon les "spécialistes", une représentation féminine double mère-fille. Pourquoi pas, mais de là à expliquer leur signification ou utilité exacte... Dans beaucoup de domaines, on semble en être réduit à des supputations. Et en gros, de toute façon : quand on ne sait pas, on dit que c'est religieux.

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(Idoles jumelles, or, Alaca Höyük, Tombe B)

 

Comme très souvent en matière d'archéologie, la plupart du matériel mis au jour l'a été dans des tombes; il s'agit donc d'objets toujours très beaux, de grand prestige; toute une vie quotidienne nous est sinon inaccessible, du moins très lacunaire. Ceci dit, on peut entrevoir, à travers certains objets, des bribes de la culture de ces hommes. 

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(Sistre, bronze, Horoztepe, Âge du bronze) 

 

 Ce même site d'Horoztepe a aussi livré une très curieuse "madone" allaitant un enfant qui avale goulûment. Il s'agirait d'un modèle amélioré de la fameuse "déesse-mère" qui traverse - à l'aide de moults raccourcis intellectuels - les civilisations depuis la plus haute préhistoire jusqu'à l'avènement du christianisme. On est en droit de trouver ces raisonnements un peu rapide.

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(Madone d'Horoztepe, bronze, Âge du bronze, vers 2300 av. J-C)

 

La période historique qui suit est celle des Hittites. Tout d'abord, il y a ce que le musée appelle les "colonies assyriennes", d'environ 1950 à 1700 av. J-C. A cette époque, les commerçants assyriens s'installent dans les villes de l'empire hittite naissant pour y faire du grand commerce. Il semble que ces "colonies" soient longtemps florissantes, à l'image de l'abondant matériel livré à Kültepe, la mieux connue d'entre elles. Les objets trouvés sont notamment des rhytons zoomorphes (vases à libations) et des idoles en albâtre qui rappellent, à plusieurs siècles d'intervalles, certaines des idoles cycladiques.

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(Vaisselle cultuelle de type "bateau", Kültepe)

 

Mais surtout, Kültepe a livré une quantité impressionnante (plusieurs milliers) de tablettes d'argiles assyriennes en caractères cunéiformes. Ce sont ces marchands qui ont introduit ce type d'écriture en Anatolie, les Hittites utilisaient auparavant des hiéroglyphes utilisés seulement dans cette région. Fait très étonnant au moins pour moi qui n'en avait jamais vu présenté ainsi, un certain nombre de ces tablettes ont conservé leur enveloppe! En fait, il s'agit d'une autre couche d'argile enveloppant le texte et sur lequel était indiqué l'équivalent de l'adresse. J'ai vraiment trouvé cette section fascinante.

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(Lettre dans son enveloppe, Kültepe)

 

Si vous voulez une idée de ce à quoi peuvent ressembler lesdits hiéroglyphes hittites : 

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(Monument de Sultanhanı, VIIIe s. av. J-C)

 

Les Hittites, civilisation phare dans l'Anatolie ancienne, sont très bien représentés. Nous visiterons le site de leur capitale, Hattusha, après notre séjour à Ankara, ce qui constituera un ensemble parfait sur cette civilisation qui gagne à vraiment à être mieux connue.

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(Relief d'un dieu guerrier, calcaire, Boğazköy, Porte royale, XIV-XIIIe s. av. J-C)

 

 

Les Hittites, venus d'on ne sait trop où se surimposer à la civilisation des Hatti dont ils reprennent l'essentiel des éléments culturels et religieux, connaissent une histoire mouvementée qui les mènent à la domination d'une grande partie de l'Anatolie et de la Syrie, allant même jusqu'à les mener à l'affrontement avec l'autre grande puissance régionale du XIIIe s. av. J-C, l'Egypte. Les deux puissances se confronteront lors de la fameuse bataille de Qadesh dont, aujourd'hui encore, nous sommes incapables de déterminer le vainqueur ni même s'il y en eut un. En effet, les deux civilisations étant celles de graphomanes compulsifs, ce bon Ramsès II s'est vanté de sa glorieuse victoire tandis que son homologue hittite Muwatalli II faisait la même chose de son côté. De leur côté, les deux reines entretenaient une correspondance amicale.

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(Et non bande de petits canailloux, ceci n'est pas le traité de Qadesh, mais un autre, entre le roi hittite Thudaliya IV et un certain Kurunta de Tarhuntassa. Boğazköy (Hattusha), 1235 av. J-C)

 

Les deux très grosses sections qui suivent sont consacrées aux deux civilisations qui ont occupé la place à la suite de la chute de l'empire hittite : les Phrygiens et l'Ourartou.

Quelques pièces sont assez exceptionnelles, notamment des éléments en bois incroyablement bien conservés trouvés dans la région de Gordion, en Phrygie. La plupart des pièces témoignent d'une évolution des cultes (Cybèle) et de la poursuite et l'amélioration des techniques de travail du métal.

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(Bois de buis marqueté, Tumulus MM, Gordion, VIIIe s. av. J-C)

 

L'Ourartou est quant à lui évoqué essentiellement par des bijoux en os, ambre, coquillage, par des peintures murales, de nombreux objets en bronze (chaudrons, boucliers) et de menus objets en ivoire.

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(Génies porteurs de situles, ivoire, date non précisée)

 

Mon guide me signalait la présence de quelques objets romains et hellénistiques. Nous ne les avons pas vu, la partie où ils étaient censés être exposés ayant été phagocytée pour laisser plus de place aux civilisations purement anatoliennes, ce qui n'est finalement pas plus mal.

Nous finissons la visite par le vaste espace central, consacré aux reliefs orthostates de la période néo-hittite, très bien présentés, détaillés et intéressants. On regrettera simplement la mode, comme chez nous, de placer dans des espaces franchement pas adaptés pour cela des expositions temporaires sans forcèment de rapport avec le reste. Sans exagérer et dire que cela "pollue" la visite, on ne peut pas dire que ça y apporte grand chose d'autre qu'une légère gêne teintée de désintérêt. 

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(Chasse au lion, Alaca Höyük, XIIIe s. av. J-C)

 

Nous voilà au terme de notre longue et vraiment très motivante visite de ce qui est l'un des plus beaux et riches musées de Turquie. Une excellente introduction à nos visites des lendemains et surlendemains. Mais en attendant, cette journée à Ankara n'est pas finie et il est temps d'aller découvrir une Turquie qui est tout aussi spectaculaire mais beaucoup plus contemporaine : celle du culte rendu à Atatürk.

 

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