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Nouvelle Feuille
6 janvier 2012

Aotearoa, le long nuage blanc

Jusqu'à la fin janvier, c'est une culture des antipodes qui est à l'honneur au musée du Quai Branly, celle des Maoris, les habitants originels de la Nouvelle-Zélande ou Aotearoa, son nom en langue maorie, qui signifie "le pays du long nuage blanc".

Ce n'est pas une exposition maison, mais elle a été conçue par le musée de Nouvelle-Zélande Te Papa Tongarewa (tous les objets présentés sont conservés là-bas, je ne préciserai donc pas la provenance). Elle se concentre sur la culture maorie depuis les origines des premiers habitants du pays, l'un des peuplements les plus tardifs de l'histoire humaine (vers 1100), jusqu'aux revendications culturelles et politiques les plus récentes. En gros, mille ans d'histoire. C'est une synthèse de l'identité et de l'histoire maorie qui est tentée dans un propos ambitieux, parfois un peu léger en terme d'objets présentés mais plutôt intéressant et surtout fort dépaysant pour nous qui n'avons souvent qu'une connaissance basique des maoris, se résumant bien souvent aux tatouages et au haka des rugbymen.

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(Carte des "tribus" maories)

 

L'exposition essaie de mettre en exergue le principe de contrôle des Maoris sur toute chose maorie et d'expliquer le lien de ce peuple avec ses objets du passé, appelés "trésors" (taonga). Ces objets sont un lien avec le passé et sont sensés éclairer les Maoris sur leur avenir. Ainsi, le musée Te Papa conserve les oeuvres et objets ethnographiques maoris au nom des populations qui lui en ont confié la garde et la préservation.

On démarre ainsi l'exposition avec une grosse pierre, non taillée, qui est chargée d'un lien particulier avec les ancêtres avec lesquels on entre en connexion mystique par contact. On est donc invité à toucher cette pierre pour connecter notre "mauri" (sorte d'énergie vitale, d'âme présente dans toute chose) avec celui de la pierre. Admettons. Cela nécessite tout de même de préciser en dessous "Néanmoins, nous vous prions de ne pas toucher les autres trésors présentés dans l'exposition". 

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(Pierre de pounamou (jade), tribu Poutini Ngai Tahu, île du Sud)

 

L'un des objets que l'on rencontre régulièrement dans l'exposition, c'est la boite à trésors. Une petite boîte en bois, ornée de motifs géométriques qui servait à contenir des objets personnels précieux. 

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(Boîte à trésors (waka huia), XIXe s?, tribu inconnue)

 

Parmi ces trésors, on trouvait notamment des plumes de huia, un oiseau disparu au début du XXe s. ou des petits pendentifs en jade représentant des tiki, ces petits personnages stylisés spécifiquement océaniens.

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(Boîte à trésors (waka huia), XIXe s.)

 

Dans cette sorte de grande introduction sur le mana (force spirituelle, source de prestige et de respect), on peut aussi voir de curieuses capes en peau de chien, symbole de puissance pour un chef, ou ce moulage du visage d'un chef très respecté, qui témoignait pour ses descendants, des traits et du mana de ce chef. Beaucoup de "trésors" maori avaient leur propre nom, leur histoire et se transmettaient précieusement de génération en génération, les plus prestigieux et les plus rares étant ceux qui datent de l'époque de l'arrivée des Maoris en Nouvelle-Zélande. 

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(Moulage du visage de Wiremu Te Manewha, vers 1885, Gottfried Lindauer et Sir Walter Butler, plâtre peint)

 

La première grande section évoque les questions d'identité à travers la connexion avec les objets et lieux ancestraux. Cette interconnexion, nommée whakapapa, se focalise entre autres sur le waka, canot ancestral et sur la whare tupuna (maison de réunion ancestrale.

Les Maoris sont tous arrivés sur des navires (waka) dans les îles de Nouvelle-Zélande et ont ensuite fondé leurs différentes tribus. Le waka originel par lequel leur famille est arrivée sert encore parfois à s'identifier, à se relier à une histoire très ancienne. Une fois installés, les Maoris ont conservé une importante production de bateaux, dont les plus impressionnants et prestigieux étaient les waka taua, les canots de guerre qui pouvaient atteindre plus de 30 mètres de long. Les proues et les poupes de ces navires étaient finement sculptées et constituaient, une fois que le canot n'était plus utilisé, des objets de prestige, des "trésors" imprégnés de mauri. Les éléments de navire présentés dans l'exposition sont à la fois très beaux et vraiment anciens à l'échelle de cette région du monde.

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(Proue (tauihu) de canot de guerre (waka taua), fin XVIIIe s., attri. tribu Te Aitanga-a-Haui)

 

Contre l'un des murs se trouve dressé une sorte d'immense panneau de bois sculpté. Il s'agit de la coque d'un canot de guerre, démantelé après la mort du chef à qui il appartenait, pour l'ériger en cénotaphe à sa mémoire. Les personnages sculptés sont des gardiens aidant le défunt à rejoindre Hawaikiki, l'île mythique d'origine des Maoris. Rien d'étonnant donc à ce que ces gardiens soient sculptés dans la coque d'un bateau.

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(Canot cénotaphe, waka whakamaumaharatanga, début XIXe s.)

 

Cette longue tradition de navigation et de canots est aujourd'hui réappropriée et réinterprétée par les Maoris par le biais d'un sport, la course de pirogue à balancier, qui allie matériaux modernes et inspiration traditionnelle. 

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(Pirogue à balancier monoplace (waka ama), 2008, conception Kris Kjeldsen, fabrication Aqua Fibrecraft)

 

 

Autre élément culturellement essentiel pour les Maoris : la maison de réunion. Tradition datant du XIXe s., ces maisons sont des ancêtres symboliques au sein desquels l'on trouve refuge. Une de ces maisons est partiellement remontée dans l'exposition afin de donner une idée de son organisation. Celle-ci était particulièrement réputée pour ses sculptures novatrices; mais elle a fini par tomber en ruine au début du XXe s. et les éléments sculptés ont été vendus à un collectionneur qui en fit dont au musée en 1913. 

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(Maison de réunion ancestrale (whare tupuna), vers 1872, tribu Ngâti Tukorehe)

 

Avec les revendications maories des années 1970, les maisons de réunion ont joué à nouveau un grand rôle, comme catalyseurs de la contestation sociale et politique des communautés maories. Ainsi, un petit espace traite de l'occupation par des activistes maoris de Bastion Point. Ce lieu, situé à Auckland, était l'une des dernières terres tribales de Nouvelle-Zélande lorsque le gouvernement décida d'y développer des projets immobiliers. Ces projets provoquèrent une vive réaction des mouvements maoris qui occupèrent le lieu pendant plus de 500 jours en 1977-1978. Ils y érigèrent une maison de réunion appelée Arohanui ("Amour absolu"). La police et l'armée finirent par les déloger et les bâtiments édifiés sur place détruits. Finalement, en 1985, le gouvernement restitua les terres, présenta ses excuses et indemnisa la tribu spoliée. 

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(Réplique du drapeau de Bastion Point (l'original se trouve au Vanuatu),  1984, prêt du trust de la famille Hawke, Auckland)

 

Le leader de la contestation était un certain Joe Hawke, de la tribu Ngâti Whâtua à laquelle appartenait les terres.  On voit exposé, un peu comme une relique, le ticheurte qu'il portait à l'époque.

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(Tee-shirt de Joe Hawke à Bastion Point, 1977, Prêt de la fondation de la famille Hawke)

 

L'exposition est belle, mais l'organisation et le sens de visite ne saute pas toujours aux yeux. On a ainsi vu la belle reconstitution de maison de réunion, puis l'aspect politique et revendicatif pris par ces maisons, avant de repasser devant une série de sculptures, ronde-bosse ou panneaux de bois, qui étaient autant d'éléments des maisons de réunion. Mais tout cela n'est pas clairement expliqué et si l'on admire ces très belles sculptures, on ne comprend pas immédiatemment de quoi il s'agit. En fait, les sculptures féminines et masculines sont des poteaux de soutien tandis que les panneaux de soutien racontent des histoires liées à la tribu et aux croyances maories à l'aide de tiki.

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(Poteau sculpté d'une figure masculine (Pou tokomanawa), XIXe s., tribu Ngâti Kahungunu)

 

Ceci dit, cette série de sculptures constitue une bonne transition entre les maisons de réunions et la partie suivante consacrée aux tatouages, autre élément essentiel dans la culture maorie.

Mais avant d'en parler, je tiens à signaler l'utilisation de marionnettes par les chefs maoris, afin de mettre en scène des récits ou des généalogies, notamment auprès des plus jeunes. Ces marionnettes aux bras et aux jambes articulés avaient donc essentiellement une fonction éducative.

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(Marionnette (karetao), XIXe s., tribu inconnue)

 

Passons donc aux tatouages, sans doute l'un des marqueurs culturels maoris les plus connus à l'étranger. Et là, les ethnologues se révèlent d'une grande utilité, entre ceux qui ont fait le tour du pays dans les années 1970 pour photographier les tatouages féminins et celui de la fin du XIXe s. qui fait exécuter un grand panneau de bois de visages tatoués, pour illustrer l'un de ses ouvrages. A priori, le tatouage (moko) était un marqueur important d'identité individuelle et collective (il raconte la généalogie, la place dans la tribu et les réussites personnelles).

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(Panneau ta moko, 1896, commande d'Augustus Hamilton réalisée par Tene Waitere)

 

Autrefois, le tatouage était autrefois réalisé avec des instruments en bois et en os assez bourrins. En quelque sorte, le tatoueur "gravait" le  visage comme l'on aurait gravé une planche de bois. A telle enseigne qu'il existait des entonnoirs permettant aux personnes tatouées de se nourrir malgré leur visage gonflé et douloureux, en évitant que les plaies ne soient infectées par quelque contact que ce soit. J'ignore si cela en la cause, mais la pratique du tatouage était en voie de disparition avancée au début du XXe s.

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(Ustensiles de tatouage, années 1990, utilisés par Derek Lardelli)

 

Aujourd'hui, heureusement, sous l'impulsion des normes d'hygiène et de sécurité, la pratique est sembable à celle d'un tatouage appliqué n'importe où ailleurs, selon des standards occidentaux qui, parfois, sont quand même les bienvenus et ont permis à cette pratique forte de renaître et de persister comme affirmation identitaire.

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(Le coeur de l'arbre Totara (Nga Manu Taikura), 2004, Photographie de Norman Heke pour le musée Te Papa, tirage 2011)

 

 

La seconde partie de l'exposition se concentre sur le mana. Rien à voir avec le mana des jeux vidéos hein...

Cette autorité à la fois innée et acquise, et sur la façon dont ce mana se retrouve sur les objets qui en sont le plus investis : taonga ("trésors"), capes, instruments de musique. Le mana s'échange entre l'objet et son propriétaire, l'un se chargeant du mana de l'autre.

J'ai déjà évoqué les boîtes à trésors en début d'article. Les plus anciens sont les plus prestigieux, les plus chargés en mana. Parmi eux, on trouve un bon nombre de petits pendentifs sous forme de tiki, très décoratifs

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(Hei tiki (pendentifs tiki)) 

 

Au-delà de l'ancienneté de l'objet, la rareté du matériau dont il est fait joue aussi beaucoup dans le mana qu'il procure. De jolies capes sont exposées, réalisées notamment en plumes, symboles d'un très grand prestige. 

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(Cape de plumes, XIXe s., tribu inconnue)

 

 Le mana se manifeste par la langue maorie, par la prise de parole et les talents d'orateur. Cette langue en pleine renaissance après avoir été presque éradiquée par le gouvernement néo-zélandais est investie de son propre mana, car elle est considérée comme un trésor unique au monde, n'étant parlée que sur les îles de Nouvelle-Zélande.

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(Prologue d'un discours (Tauparapara), XIXe s., tribu inconnue. Traduction : "Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la Terre aux hommes qu'Il aime")

 

Comme le prouve le panneau ci-dessus, les missionnaires qui cherchaient à éradiquer les religions locales pour imposer le christianisme furent, comme souvent, des éléments essentiels de préservation des langues autochtones, qu'ils utilisaient pour prêcher et pour imprimer la Bible, qui fut le premier ouvrage publié en langue maorie en 1868.

 L'art du discours a une telle importance, la langue est imprégnée d'un tel mana, qu'un discours formel, officiel, ne peut être prononcé sans être porteur d'un bâton d'orateur rappellant la mémoire des ancêtres réputés pour leur qualité d'orateur.  Cela donne un aspect solennel au discours, incitant à peser ses mots sous la surveillance des ancêtres.

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(Bâton d'orateur (tokotoko), XIXe s., tribu inconnue)

 

Une petite section nous apprend que les femmes jouent un rôle important chez les Maoris, aussi bien dans les mythes de la création du monde, qu'en occupant de hautes fonctions dans la société traditionnelle puis, aux XXe et XXIe s., en jouant un grand rôle dans les mouvements militants. Cette importance n'est pas évoquée par des objets particuliers, mais par deux tableaux contemporains rendant hommage à ces femmes maories et qui servirent à illustrer un ouvrage les mettant en valeur. 

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(Robyn Kahukiwe, "Taranga", 1982)

 

On enchaîne avec une évocation de la musique maorie, qu'on nous affirme connaître un grand regain de vitalité depuis 30 ans. Hélas, aucun extrait sonore ne nous donne une idée de ce que à quoi peut ressembler ladite musique. On se consolera avec de beaux instruments, dont cette superbe conque avec son embout sculpté. 

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(Trompe en coquillage (Putatara), début XXe s., tribu inconnue)

 

On repasse ensuite par quelques panneaux qui évoquent d'autres évènements de l'histoire de la revendication maorie des années 1970. Même si cette partie est particulièrement intéressante, on a du mal à comprendre, une fois de plus, la logique dans laquelle elle s'insère. Pourquoi cette évocation de la marche maorie pour la terre de 1975 n'est-elle pas accolée à celle de l'occupation de Bastion Point? Curieux, cela arrive comme un cheveux sur la soupe.

La dernière grande partie se veut une démonstration que les croyances des Maoris les poussent naturellement à la protection de leur environnement et à l'écologie. En réalité, on se rend compte au vu des pièces et des arguments présentés, qu'il s'agit plus de la suite du mouvement de revendication de leurs terres ancestrales sur lesquelles ils entendent exercer une gestion écologiquement saine. De là à y lire une spécificité culturelle.... On aurait plutôt tendance, au contraire, à y voir l'influence du mouvement écologiste qui se développe un peu partout dans le monde depuis quarante ans. 

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(Table à manger dressée, utilisée par plus de mille personnes lors d'un repas pour le littoral et les fonds marins en 2004 dans la maison de réunion Nga Tau e Waru)

 

Pour bien nous montrer que les Maoris savaient bien gérer leurs ressources, on nous présente un très beau grenier ancien dont les ressources étaient gérées par le chef de la tribu. Certes. Ce type de grenier abritait la nourriture fine, comme les terrines d'oiseau ou le poisson.

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(Grenier (pataka), 1839, tribu Ngati Pikiao)

 

La pêche et les revendications sur le littoral et sa protection constituent les tous derniers éléments de l'exposition. C'est intéressant, vraiment original, mais la ligne de présentation est franchement confuse et l'on peut regretter l'organisation générale de cette exposition, qui aurait peut-être gagnée à être repensée et réorganisée.

Malgré mes petites réserves, ça mérite d'aller y faire un tour; on apprend toujours plein de choses dans les expositions du Quai Branly. Si cela vous intéresse, vous avez jusqu'au 22 janvier. Cela vous permettra de voir la Nouvelle-Zélande autrement que comme une terre de moutons, de hobbits et de rugby.

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(Brett Graham, Le protecteur du littoral, 2004) 

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