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Nouvelle Feuille
5 octobre 2010

Soirée chamanique

C'est à un spectacle pour le moins curieux auquel nous avons assisté le vendredi premier octobre au musée du Quai Branly. J'avais repéré depuis un certain temps déjà la présence exceptionnelle pendant ces deux premiers jours d'octobre, d'une grande chamane coréenne qui exécuterait une cérémonie traditionnelle de ce pays. Nous nous sommes donc rendus à l'heure dite dans le théâtre Claude-Lévi-Strauss situé dans le sous-sol du musée.

Bien qu'il y ait du monde, nous trouvons sans souci à nous installer à une bonne place. Sur la scène se trouvent une quantité de fanions colorés, un tapis de sol vide et un autre garni de micro et de coussins, tandis que, fermant la scène, se dresse une sorte d'autel chargé de fruits  et surmonté d'un ensemble (oserais-je le mot de retable?) de portraits farouches.

C'est alors l'arrivée des officiels, dont un type tout encostardé qui est vraisemblablement l'ambassadeur de Corée du Sud, si j'en juge à la manière dont il sera mis en avant au cours du spectacle.

Bref, voilà enfin l'arrivée de Kim Keum-Hwa, 80 ans, la chamane principale du spectacle, dans un costume également très coloré.

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(L'arrivée de la chamane)

En Corée du Sud (il est bien entendu, difficile de parler de la Corée du Nord, trop mystérieuse pour que l'on connaisse la réalité des cultes en vigueur ou non), bien que la population soit essentiellement bouddhiste ou chrétienne, la plupart des gens continuent à célébrer des cultes chamaniques plus ou moins modifiés, et les chamanes (le plus souvent des femmes) occupent toujours un rôle social important (si j'en crois le succinct article de wikipedia sur ce sujet).

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(Début de la danse)

La cérémonie à laquelle nous assistons est un Kut, une danse chamanique traditionnelle sensée chasser les esprits maléfiques (sans doute nombreux dans un musée comme celui du quai Branly) et attirer les évènements propices et bienheureux. Celui-ci, le Ch'olmuri Kut, est réalisé à l'occasion d'une sorte de fête des moissons très populaire, le Chuseok. La symbolique de la cérémonie, au-delà de la purification et de la bénédiction, semble être de remercier les esprits ancestraux pour la récolte nouvelle et de partager cette récolte (du moins une petite partie) avec ses proches.

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(Purification)

Nous avions tout d'abord demandé pour prendre des photos malgré l'interdiction qui nous en avait été faite par haut-parleur. On nous a répondu que non. Néanmoins, au tout début de la cérémonie, on est venu nous dire que finalement, nous pouvions, je n'ai pas très bien compris pour quelle raison légale. Tant mieux, et dont acte. Mais revenons à la cérémonie.

La chamane est donc tout d'abord entrée, suivie de son assistante, une chamane plus jeune. Sa première action est de tourner sur elle-même au son de la musique interprétée par les trois personnes à gauche, en agitant son éventail et de large empans de tissus. Elle désigne alors trois spectateurs parmi les officiels, dont le fameux "ambassadeur", et les invite à rejoindre la scène. Là, on les affuble de sortes de robes de chambre aux couleurs vives et de petits chapeaux amusants. A plusieurs reprises, on les fait se prosterner devant l'autel plein de fruits, tandis que la musique continue et que la chamane poursuit sa danse tournoyante. Elle va ensuite un peu discuter avec eux. Vers la fin de cette première partie, deux autres "musiciens" arrive sur scène pour accompagner la transe de la chamane. Je mets des guillemets à musicien, car j'ignore si le fait de taper sur des gamelles en fer-blanc avec des petits marteaux fait d'eux de vrais musiciens ou s'ils ne sont que de simples rythmeurs.

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(Danse en musique)

Le principal défaut de cette cérémonie superbe, colorée et impressionnante, c'est sans doute le manque d'explications concrètes. J'eusse aimé avoir un commentaire nous décrivant ce que faisait la chamane et à quoi cela allait servir, ou alors une plaquette un peu détaillée sur le déroulement de la cérémonie. Car au final, je n'ai pas tout compris bien finement.

Une fois achevée cette partie, tout le monde salue, on débarrasse les trois spectateurs peu à leur aise de leurs costumes et la chamane et son assistante disparaissent, laissant la place à une autre chamane, coiffée d'une sorte de cornette blanche et armée d'une longue baguette et d'une petite gamelle en fer-blanc (ou en cuivre).

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(La seconde chamane)

Elle exécute alors, avec son éventail et sa gamelle, une danse assez semblable à celle de la Kim Keum-Hwa, et se prosterne plusieurs fois devant l'autel. Puis, elle prend un objet en forme de demi-lune dans sa bouche, et danse avec ça en agitant les larges manches de son habit. Enfin, son assitante lui présente une sorte de grand couteau, qu'elle prend et avec lequel elle poursuit sa danse sur un rythme assez frénétique, un peu à la manière d'un derviche-tourneur.

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(Danse rituelle)

Enfin, l'assistante pose sur le devant du tapis de sol une sorte de jarre noire sur laquelle la chamane monte précautionneusement, puis une fois stabilisée, sur laquelle elle se met à nouveau à tourner, sans tomber bien entendu. Belle performance, essayez chez vous un peu pour rigoler! Mais ce n'est encore qu'un début, car elle n'est qu'une chamane, pas LA grande chamane...

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(Chamane qui ne tourne pas autour du pot)

La chamane descend ensuite de son pot, prend une espèce de palme blanche et un petit pot en terre sans doute rempli d'un liquide bénéfique. Avec la palme, elle asperge symboliquement le public de ce liquide.

Enfin, elle va chercher quelques fruits de l'autel à offrandes, qu'elle remet à l'ambassadeur qu'on avait entre temps fait remonter sur scène. Elle et son assistante continuent pendant un certain temps la distribution d'offrandes au public qui fait l'effort de se déplacer jusqu'à la scène. Peut-être aurais-je dû y aller pour nous attirer encore plus de bénédictions...

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(Distribution d'offrandes)

Au bout d'un moment, elles arrêtent la distribution et c'est alors que la grande chamane fait son retour, habillée d'un vêtement différent de celui qu'elle portait lors de son premier passage. Elle tient cette fois dans la main une poignée de ficelles au bout desquelles pendouillent des grelots et une sorte de grand coutelas, qui fait un peu penser à un hachoir de boucherie, mais en beaucoup plus long et effilé. Elle danse un peu avec tout cela, tandis que sur le côté, là où sont hissés côte à côte les drapeaux français et sud-coréen, on dresse un curieux échafaudage.

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(Danse et installation de l'échafaudage)

La chamane s'est ensuite livrée à deux rites assez étranges. Pour le premier, elle a pris quatre drapeaux chacun d'une couleur unie différente, puis a procédé, en demandant à plusieurs reprises à diverses personnes du public d'en choisir un, qu'elle a tiré et montré, avant de redanser et de réitérer la même séquence. Je présume - sans aucune certitude - qu'il doit s'agir d'un rite de divination pour déterminer si de bons ou de mauvais présages allaient arriver.

Encore plus étrange ensuite, la chamane a utilisé son coutelas (je l'appelerai ainsi faute d'avoir un meilleur terme), qu'elle s'est passé successivement, en appuyant bien fort, sur plusieurs parties du corps: d'abord la langue, puis l'avant-bras gauche, puis la cuisse gauche, puis à nouveau la langue, puis l'avant-bras droit et enfin la cuisse droite. Je pense (et j'espère) que le coutelas était émoussé et peu dangereux, car il ne semblait pas couvert de sang après cet exercice et la chaman n'a pas arboré la moindre expression de souffrance. Néanmoins, même symbolique, ce passage était à la fois effrayant et fascinant.

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(On donne sa langue au chamane?)

Elle a ensuite remonté sa jupe pour en faire une sorte de petit sac (comme on le fait encore souvent à la campagne pour transporter des fruits par exemple), puis elle a fait signe au public (surtout le premier rang en fait), de venir lui faire des offrandes. Le public s'est exécuté et a versé dans sa jupe qui une petite pièce, qui un gros billet.

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(Le bilan de la quête)

Entre temps, l'échafaudage avait été achevé. Il se composait d'une sorte de colonne à armature de bois couverte de tissu blanc flanquée d'un escabeau et de trois chaises. Au-dessus de la colonne, on retrouvait le pot noir déjà aperçu tout à l'heure, surmonté d'une caisse remplie par le résultat de la quête organisée juste avant, sur laquelle caisse l'on avait disposé deux coutelas emballés dans du tissu blanc également. La chamane désigna alors plusieurs personnes dans le public (en plus des deux assistants déjà vus auparavant et qui avaient délaissés les gamelles musicales), dont la seule action devait être de tenir la colonne tandis qu'elle y montait, afin que l'ensemble ne se cassât point la gueule et que les démons ne gagnassent point la partie.

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(Une dernière danse avant la montée...)

Et nous vîmes donc ensuite la vieille dame, gravir gaillardemment l'escabeau et se percher, un pied sur chaque coutelas, tout en haut de l'édifice. Une fois son équilibre assuré, elle tourna sur elle-même en récitant je ne sais quoi, puis salua le public avant de redescendre. Après une telle démonstration de sa puissance et de sa maîtrise du chamanisme, nul doute que les démons et esprits maléfiques vont nous foutre la paix au moins jusqu'au prochain Chuseok.

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(La chamane au sommet de l'édifice)

Pour le final, on fit revenir sur scène les personnes qui tenaient l'instable construction, on les habilla de robes de chambres colorées, les fit monter sur scène, et tout le monde dansa une ronde probablement pour célébrer la réussite de cette belle fête des moissons.

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(Danse finale)

Une fois cela achevé, tout le monde salua, fit une dernière petite danse et le spectacle était fini.

Fini? Oui, pour le spectacle. Mais la soirée elle, n'était pas totalement terminée. Car on nous annonça que si nous le souhaitions, nous pouvions nous rendre dans une salle près de la sortie du musée où les offrandes aperçues pendant la cérémonie étaient offertes au partage. Curieux de goûter la nourriture coréenne, nous nous y sommes rendus. Tout cela était très sympathique, mais fort peu goûteux il faut l'avouer. Nous avons goûté à tout: des sortes de gâteaux, des machins vaguement gélatineux, un saké coréen et une banane. De tout cela, la seule chose qui avait un tant soi peu de goût était la banane... Le reste n'était pas mauvais. Ni bon. C'était d'une neutralité absolue, le degré zéro du goût: ni sucré, ni salé, ni acide, ni amer et pourtant avec un léger goût totalement indéfinissable mais inclassable. Curieux, mais en tout cas, je ne me précipiterai pas en Corée pour la nourriture si l'aperçu de ce soir-là est représentatif.

Comme il était dit que j'aurais bien des émotions ce soir-là, voilà que, profitant d'une absence de ma superbe fiancée, une coréenne vient me parler, en anglais, me demandant si je comprends cette langue. Soulagée quand je lui réponds péniblement "a little", elle me demande alors si je veux bien répondre à la télévision coréenne pour une rapide interview! Je dis oui, mais je proteste de mon faible niveau d'anglais. Que nenni! me dit-elle (ou à peu près, je traduis à ma façon): l'intervieweuse parle français. Comme elle m'entraîne vers la caméra et la journaliste qui doit m'interroger, voilà ma fiancée qui se repointe avec des victuailles et qui me voit partir pour la télévision en ricanant (si si, tu ricanais, je le sais!).

Et en effet, la sympathique personne en face de moi parle un français laborieux mais compréhensible. Je réponds comme je peux (sans doute assez stupidement) à ses trois questions sur le rituel que je viens de voir, avec en gros comme trame: "Qu'en pensez-vous?" Ce à quoi j'ai répondu, en substance: "C'était bien".

Voilà...

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Commentaires
J
Alors, quelle aventure !!! Je suis déçue d'avoir loupé ça ! Très amusant la manière dont tu racontes tout ça ^^
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