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Nouvelle Feuille
23 octobre 2010

"Costumes d'enfants" au musée Guimet

C'est une exposition originale à laquelle nous convie en ce moment le musée Guimet, tant il est vrai que les expo consacrées aux textiles sont déjà une rareté, alors celles traitant des vêtements d'enfants...

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(Sari de petite fille, Bénarès, Inde, XIXe s.)

Chose surprenante, l'exposition sur les costumes d'enfants débute par quelques belles photos. L'on comprend mieux alors le sous-titre de l'expo "Hommage à Krishna Riboud". En effet, celle-ci était une grande collectionneuse d'art et érudite, d'origine indienne (arrière-petite-nièce de Rabindranath Tagore, rien que cela!), française par son mariage et collaboratrice du musée Guimet durant de longues années, jusqu'à sa mort en 2000. L'essentiel de la collection textile du musée, l'une des plus riche au monde, provient du leg de la collection personnelle de Krishna Riboud. Rien de plus normal donc, qu'à l'orée de cette expo, quelques photos de Krishna Riboud en son jardin soient accrochées. Ces photos sont l'oeuvre du grand photographe Marc Riboud, beau-frère de ladite Krishna.

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(Krishna Riboud et Nicole Salinger dans son jardin, Paris, 1995, © Marc Riboud)

L'exposition en elle-même a le défaut de son ambition: vouloir présenter, de façon thématique des costumes de toute l'Asie, avec ses cultures et civilisations si variées, le tout à travers le prisme de l'habillement enfantin. Cela conduit à la fois à une réflexion intéressante  sur l'unité de la symbolique de l'enfant traduite à travers le vêtement dont on le pare mais parfois à une fragmentation un peu sèche du propos. Néanmoins, l'exposition a la qualité de nous montrer le vêtement dans sa part symbolique et comme objet d'ethnologie et de culture. Le musée Guimet a eu cette intelligence d'aller bien au-delà du côté "bel objet" ou de l'aspect "oh c'est adorable" (mot psalmodié sans cesse par deux mémères qui ne se seraient pas extasiées le moins du monde devant un vêtement d'adulte, mais du moment que ça traite de l'enfance, c'est forcèment "adorable"...)

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(Statuette d'enfant, Chine, Dynastie Qing)

Une remarque formelle: il est bien d'avoir imaginé de petits cartels avec des explications simplifiées à destination des enfants qui visiteraient l'expo. Et il est intelligent de les avoir placé à hauteur desdits enfants, avec tout de même la réserve qu'un enfant de cette taille ait déjà l'âge de savoir lire... Quel dommage également que les autres cartels, très techniques et plutôt destinés aux adultes, soient placés à la même hauteur, obligeant mon fragile dos à une position un peu courbée assez pénible à la longue. Autre critique: le sens de circulation dans l'expo n'est pas toujours aisé à appréhender. On passe d'une zone géographique à l'autre sans vraiment de séparation nette, à d'autres endroits il faut se déplacer de part et d'autre de l'allée centrale pour voir des pièces sur le même thème. Cela est un peu perturbant et c'est dommage.

L'exposition se découpe en trois parties: le costume d'apparat, le costume religieux et enfin le costume populaire. La partie sur le costume religieux est un peu discutable à mon sens en cela que la plupart des objets présentés auraient pu rentrer dans l'une des autres catégories. En fait, la vraie distinction que nous avons se fait entre costume populaire et costume des princes et de la haute société. Une dernière partie, assez réduite, évoque les liens entre costume et art contemporain en Asie, de façon pas inintéressante.

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(Armure d'enfant, Lahore, Inde, fin XVIIIe s.)

La première partie, intitulée "Costume d'apparat", se concentre sur les princes, familles royales et impériales et souverains divers. La leçon essentielle de cette partie est que dès le plus jeune âge (une fois passée le stade de bébé dirons nous), on inculque à ces enfants l'idée du futur statut social qu'il devront assumer. Et cela passe par un habillement somptueux qui n'est le plus souvent qu'un pesant décalque de l'habillement des adultes exerçant la fonction à laquelle ils sont destinés. A cet endroit, un lien avec l'Occident aurait été pertinent, tant les choses sont semblables, par exemple pour les dauphins de France.

Ainsi l'on voit de petits indiens déjà vêtus de costumes princiers et qui semblent parfois perdus dans la masse de leurs vêtements, écrasés par une charge encore trop lourde à soutenir.

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(Portrait du prince de Jamnagar, Gujarat, vers 1900)

Le pire étant la Chine impériale, où non seulement les futurs empereurs portent la robe-dragon symbole de leur autorité future, mais où cette permanence du statut social à travers les générations se traduit dans toutes les couches de la société.

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(Robe-dragon d'enfant ou de statue, Chine, XIXe s.)

Si la seconde partie, sur le costume religieux, est séduisante par les belles pièces qu'elle présente, son intitulé et son unité me semblent assez peu pertinentes. A cette idée du religieux, on a agrégé, pour l'Inde la symbolique des couleurs protectrices et pour l'Asie du Sud-est l'importance notamment des jupes des jeunes filles dans les évènements de leur vie qui ont fonction de rite de passage, en particulier le mariage. On est plus, dans mon esprit, dans le domaine de la tradition, de la superstition que dans le pur domaine "religieux". Ou alors il faut l'entendre dans un sens extrèmement large, mais je ne suis pas franchement convaincu.

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(Veste et jupe de cérémonie pour jeune fille, Sumatra, peuple Kauer, fin XIXe - début XXe s.)

La partie sur le Japon et la Chine est encore plus intéressante et curieuse, avec tout un tas de symboles de bonne augure qui entourent l'enfant pour le protéger des démons et des mauvais esprits qui chercheraient en lui prenant son âme à faire augmenter le taux de mortalité infantile. En Chine, cela passe (surtout pour le petit garçon, il faut bien le dire, les filles sont l'objet de moins de sollicitude) par des vêtements (bonnets, chaussons) qui prennent la forme d'animaux protecteurs, comme le tigre ou le chien.

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(Chaussures d'enfants à tête de tigre, Chine, XXe s.)

Faisant le lien entre cette partie et celle sur le costume populaire, une petite section évoque la torture traditionnelle des pieds bandés en Chine, cette déformation mutilante synonyme de beauté... Et l'on découvre que pour être beau, un pied féminin ne devait pas dépasser 14 centimètres, soit une pointure 24 si je ne me trompe pas...

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(Chaussures pour pieds bandés, Canton, Chine, XXe s.)

La troisième et dernière grande partie s'attache donc aux costumes populaires, avec une bonne partie de détails sur la fabrication, notamment la culture de la soie en Chine ou la technique du batik très utilisée en Asie du Sud-est.

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(Tissu de hanches pour enfant, Indonésie, vers 1910)

Les vêtements chinois sont toujours marqués d'un symbolique très forte, à l'instar de cette veste de petite fille qui arbore un phénix, symbole exclusif de l'impératrice, ici utilisé pour signifier que la jeune fille a vocation à se marier et ainsi à être "l'impératrice du jour" lors de ses épousailles. Un seul symbole suffit à écrire sur ses vêtements la destinée "normale" de la petite fille.

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(Veste de petite fille, Chine, début XXe s.)

Le Japon présente une face plus austère en ce qui concerne les kimonos des enfants. On y apprend simplement qu'une tradition veut qu'on réutilise parfois des morceaux de kimonos d'adultes pour en faire un en une sorte de patchwork pour l'enfant et qu'ils sont moins codifiés que ceux des adultes, laissant une certaine part à la fantaisie. Au vu des pièces exposées, on est tout de même en droit de trouver cette fantaisie assez restreinte.

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(Kimono d'enfant, Japon, XXe s.)

Enfin, une ultime et toute petite section évoque les rapports de l'art et du design contemporain asiatique avec les vêtements d'enfants. Trois oeuvres se trouvent là: un set pour bébé conçu selon une technique étrange par Issey Miyake, des photographies de jeunes indiennes très endimanchées, et un intéressant diptyque rose et bleu d'un artiste coréen, qui constitue une belle interrogation finale sur le rôle des vêtements d'enfant, leur fonction et leur statut social et symbolique, ainsi que la place qu'ils occupent actuellement dans la société de consommation.

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(Jeong-Mee Yoon, The pink project, 2005, Collection de l'artiste/Galerie Paris-Beijing, © Droits réservés)

En gros, s'il fallait tirer un bilan de ma visite à cette exposition, ce serait pour encourager tout le monde à y aller pour admirer cette collection unique au monde insérée dans un propos intelligent. L'ensemble est enthousiasmant malgré quelques défauts mineurs. A noter, la finesse du musée, qui a publié un catalogue "normal" et un catalogue "pour enfants" sous la forme d'un illustré plutôt bien fait où l'on suit l'histoire d'un jeune tisserand indien à travers l'Asie.

(Sauf indication contraire, les oeuvres qui illustrent cet article sont du musée Guimet et proviennent du leg Krishna Riboud.)

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