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Nouvelle Feuille
5 août 2012

Les laques de Shibata Zeshin

Le musée Cernuschi, consacrée à l'art chinois et japonais essentiellement (et dont j'ai déjà parlé longuement ICI), propose régulièrement de courtes expositions tout à fait agréables. Jusqu'au 15 juillet s'y tenait une exposition intitulée : "Rêves de laque - Le Japon de Shibata Zeshin", consacrée, comme on s'en doute, à l'artiste susnommé, peintre mais surtout grand innovateur dans l'art du laque. Ses oeuvres, de grande qualité, seront même présentées - et récompensées - aux Expositions Universelles de Vienne en 1873 et Paris en 1889. Wikipedia donne un très bon aperçu de la vie et de l'importance de cet artiste, en particulier son influence sur l'Occident et l'art nouveau, avec la vague du japonisme dont son oeuvre est une grande source d'inspiration : http://fr.wikipedia.org/wiki/Shibata_Zeshin

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(Ensemble de boîtes superposées (jūūūbako) à décor de saule et de roue à eau, Laque sur bois, signé “Zeshin”, vers 1860-1890, , Collection Catherine et Thomas Edson, San Antonio Museum of Art / Photo John Deane)

 

Celle-ci pourtant, disons-le tout net, est un peu en-dessous de celle sur les animaux, en cela qu'elle propose des pièces passionnantes mais qu'elle tombe, malgré son riche sujet, dans un écueil qui devient beaucoup trop courant désormais : les explications sont d'une très grande rareté, tandis que le catalogue est un élément quasiment indispensable non plus pour "compléter" la visite, mais tout simplement pour la faire! C'est une tendance très triste, dans laquelle on est surpris que soit tombée Christine Shimizu qui dirige le musée depuis un an, pourtant connue pour quelques beaux ouvrages de vulgarisation sur l'art japonais et l'art chinois.

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(Héron blanc et corbeau en vol, peintures en laques colorées (urushi-e) pigment blanc et feuille d’or sur papier, vers 1880, signé « Zeshin sei » (« fait par Zeshin »), Collection Catherine et Thomas Edson, San Antonio Museum of Art, Photo Peggy Tenison)

 

Le grand intérêt du travail de Zeshin est sa situation dans une période charnière pour le Japon, avec une carrière qui débute à la fin de l'ère des Shoguns Tokugawa et qui se poursuit sous l'ère d'ouverture et de restauration impériale appelée Meiji. Sa participation à de nombreuses expositions et foires internationales lui valut un très grand succès à l'étranger, si bien qu'à la fin de sa carrière, en plus des oeuvres commandées par le palais impérial, il ne travaille plus que pour des clients situés en Europe ou en Amérique du Nord. Aujourd'hui encore, la plupart des oeuvres qu'il a réalisé avant l'ère Meiji et ensuite pour le gouvernement impérial ont disparu, tandis que l'essentiel des pièces qui nous restent sont conservées en Angleterre ou aux Etats-Unis. L'exposition du musée Cernuschi est d'ailleurs réalisée à partir de la très belle collection rassemblée par Catherine et Thomas Edson, et qui se trouve au musée de San Antonio, au Texas.

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(Faucon se mirant dans une cascade, Paire de rouleaux verticaux, Encre et couleurs légères sur soie, 1881, signé « Zeshin sha » (« peint par Zeshin ») et « Gyōnen nanajūgo-ō Zeshin » (« Zeshin dans sa 75ème année »), Collection Catherine et Thomas Edson, San Antonio Museum of Art/ photo Peggy Tenison)

 

Pour en revenir à l'exposition, outre la faiblesse des explications - déjà signalée - on regrettera le côté "lourdingue" des gardiens, qui ne veulent pas vous laisser entamer votre visite avant que vous ne soyez passé au 1er étage pour voir une vidéo sur la laque... Que l'on m'impose aussi ouvertement un ordre de visite est quelque chose que je déteste.

Pour l'exposition proprement dite, plus que jamais, on est dans l'esthétisme presque total. Du moins le croit-on jusqu'à ce que, miracle, l'on tombe, de-ci de-là, sur un panneau explicatif qui, sans préambule, fonce tout droit dans les détails techniques les plus complexes sur les différentes techniques de laques et d'enduits ou sur les éléments de la carrière de Zeshin. La plupart des bases de vulgarisation ne sont pas posées correctement, notamment, pour certaines pièces aux motifs typiques de la culture shintoïste ou bouddhique, dont l'occidental moyen (dont moi) n'est pas forcèment à même de saisir toute la signification.

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(Boîte à papier à lettres (ryōshibako) ornée des attributs des sept dieux du bonheur et son couvercle, Laque colorée sur bois, vers 1860—1870, signé “Zeshin”, Collection Catherine et Thomas Edson, San Antonio Museum of Art/ Photo Peggy Tenison)

 

Au vu de la qualité des techniques utilisées, de l'importance des thèmes floraux et animaux dans l'influence sur les productions occidentales par la suite, on peut s'étonner que l'exposition ait tenu à ne rester quasi exclusivement que dans la collection de San Antonio et n'ait pas trouvé à piocher dans les riches collections françaises d'Art Nouveau, une ou deux pièces d'inspiration japonisante, à titre de comparaison. Je pense qu'il convient par contre de saluer l'excellente idée d'avoir exposé les panneaux d'échantillons de laques présentées à l'exposition universelle de Paris en 1889, et désormais conservés au musée d'Orsay.

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(Netsuke en forme de moineau, Laque sur bois ; fond vert bronze, vers 1860 – 1890, signé « Zeshin », Collection Catherine et Thomas Edson, San Antonio Museum of Art / Photo Peggy Tenison)

 

Au final on a assisté, comme trop souvent, à une superbe exposition où tout le côté didactique a été oublié. L'on gardera tout de même un souvenir ému de la qualité des pièces présentées et du charme des thèmes représentés; l'on retiendra aussi le nom de cet artiste au confluent de deux traditions - la japonaise et l'occidentale - qui le nourrissent et dont il inspire le développement ultérieur, et qui mariait également l'artisanat traditionnel avec les nouvelles techniques de production industrielle.

On ose simplement espérer que la muséographie de la prochaine exposition de Cernuschi, consacrée au Vietnam vu par les peintres français, sera plus convaincante.

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