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Nouvelle Feuille
17 juin 2013

Bordeaux : visite partielle du musée d'Aquitaine

Une petite marche en extérieur à travers les belles rues du coeur de Bordeaux nous mène au musée d'Aquitaine. Nous n'aurons bien entendu, vu l'heure (15h00 passées) pas le temps de tout détailler.

Cathédrale

(Cathédrale)

 

Nous décidons donc de nous concentrer sur les salles que nous n'avions qu'aperçu vite fait lors de notre premier passage, à savoir les salles consacrées au XVIIIe s. à Bordeaux et les nouvelles salles sur l'histoire de la traite négrière atlantique. De toute façon, les salles d'archéologie locale ne sont pas visibles car en plein chantier. Du coup, pour ne pas trop frustrer le visiteur, une exposition temporaire consacrée aux Gaulois utilise une partie des collections. Nous ne nous y attardons pas : entre les visites guidées qui encombrent le peu d'espace de circulation disponible et les marmots qui courent et braillent partout, les conditions ne nous paraissent guère agréables.

Expo gaulois, musée d'Aquitaine

(Reconstitution de maison gauloise)

 

Et en fait de collections sur l'histoire de Bordeaux, c'est la section d'ethnographique extra-européenne sur laquelle nous tombons en premier. Souvent dans les musées de Province, à plus forte raison dans les villes portuaires, il y a une section plus ou moins développées d'objets exotiques et de "curiosités", la plupart du temps données par des voyageurs et autres aventuriers du XIXe s. Et on se retrouve ainsi avec des collections hétéroclites que le musée est souvent bien en peine à gérer. Ici, par chance, la section est plutôt riche et comporte des objets intéressants. Si la section sur le Grand Nord et les populations a le mérite d'exister mais guère plus, ce n'est pas le cas du reste, organisé en deux pôles principaux : l'Océanie (Nouvelle-Calédonie et Australie notamment) et l'Afrique Noire.

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(Epées garnies de dents de requins, îles Gilbert (Kiribati), XIXe s.)

 

La collection d'objets australien est intéressante, car ce genre de pièces est assez rare dans les musées français. Ainsi, signalons cette très belle écorce peinte. Dommage que l'on en sache pas plus sur la représentation du mythe figuré par cette tortue, tant on connaît la dimension à la fois symbolique et géographique de la peinture aborigène d'Australie.

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(Ecorce peinte, XXe s., dépôt du musée du Quai Branly)

 

Les arts africains sont les plus représentés en nombre, au point par exemple qu'une section entière est consacrée aux instruments de musique de ce continent, classés selon leur catégorie : à membranes, à percussion ou frottement, à vent, à cordes...

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(Trompe, Congo, XXe s.)

 

Parmi les autres éléments remarquables, je me contenterai de signaler une belle collection de statuettes, parmi lesquelles émerge celle-ci, couverte de perles qui lui donnent l'air du polichinelle, à la fois amusant et inquiétant.

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(de gauche à droite : Figurine divinatoire, Côte d'Ivoire, Sénoufo, XXe s.; Statuette perlée, Cameroun, Bamun, XXe s.; Statue de jumeau, Bénin, Yoruba, XXe s.)

 

Pour finir cette section, une remarque sur la présence de trois masques yoruba plutôt rares, car issus d'une société secrète féminine - ce type de sociétés secrètes étant beaucoup moins bien documentées que leurs équivalents masculins. Celle-ci, appelée Gelede, était a priori assez redoutée. 

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(Masques casques, Bénin, Yoruba, XIXe s.)

 

Les salles évoquant les XVIIe et surtout XVIIIe s. bordelais sont vastes. Lors de notre premier passage, seules celles sur l'histoire de la ville étaient achevées. Depuis, un vaste espace sur la traite négrière atlantique - mais au-delà, sur la vie dans ces sociétés créoles, a été ajouté. La partie sur la ville de Bordeaux est très intéressante. On peut trouver la scénographie, globalement très sombre, un peu trop esthétisante. Et il est vrai qu'elle se justifie peu pour les cartes géographiques et autres papiers exposés (et dont les cartels expliquent fort bien la façon dont Bordeaux tire profit de sa position géographique privilégiée d'interface entre le vaste monde atlantique et un grand arrière-pays qui englobe tout le Sud-Ouest français). De même pour les tableaux, comme souvent, elle n'apporte rien d'autre qu'un éclairage trop fort qui complique la bonne perception de l'oeuvre dans son ensemble.

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(Fac-similé de Chantloub, Portrait de Marie-Jeanne Legrellier avec sa négrillonne, 1718, collection particulière, La Rochelle)

 

Cette pénombre seulement traversée d'éclairages crus est en revanche excellente pour la mise en valeur des marbres, en particulier ces deux immenses bas-reliefs qui proviennent du piédestal de la statue de Louis XV érigée au milieu du XVIIIe s. par les intendants de Bordeaux. C'est à cette époque que les grands projets d'urbanisme transforment la ville en un bel ensemble néo-classique. La statue de Louis XV devait constituer le point central de la place Ludovise destinée à remplacer le château Trompette.

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(Claude-Nicolas Francin, La bataille de Fontenoy (1745) (d'après le tableau de Charles Parrocel), élément du piédestal de la statue équestre de Louis XV, 1764)

 

Au-delà des intéressants éléments d'urbanisme, il y a tout un espace illustrant la présence des Noirs à Bordeaux pendant la période, plutôt bien fichue même s'il s'agit évidemment d'une concession à un thème à la mode (dont on ne comprend surtout pas pourquoi elle n'est pas dans la section suivante spécifiquement axée sur l'esclavage) au prix d'oeuvres parfois présentes sous la forme de fac-similés... Mais enfin, on découvre au passage la façon dont certains maîtres tentaient de conserver leurs domestiques esclaves bien que cela soit interdit en métropole et comment également, de rares esclaves se sont vus donner raison et la justice ordonner leur affranchissement immédiat. "L'air de France rend libre" disait l'adage. Et puis, comme toujours, une petite révérence aux "Grands Hommes" locaux, Montesquieu en tête.

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(Edmond Prévôt d'après J-B Lemoyne, Buste de Montesquieu, 1878)

 

Un regret : les vitrines sur la franc-maçonnerie et sur la religion à Bordeaux sont très rapidement évacuées, comme si elles n'avaient guère passionné au moment de concevoir ces nouvelles salles. Bref, la section suivante aborde Bordeaux sous l'angle de sa prosperité comme port colonial, ce qui est une transition futée pour arriver à l'esclavage, thème majeur en m² occupés à cet étage

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("Bordeaux porte Océane", musée d'Aquitaine)

 

La scénographie est plutôt attrayante et agréable et relativement aérée, rappellant un peu certains musées maritimes espagnols notamment, avec des élémens évoquant la vie portuaire. Le spectaculaire enrichissement de la ville à cette époque est dû au commerce "en droiture", c'est à dire au commerce direct entre la métropole et les colonies - spécialement les îles des Antilles. Le système colonial étant basé sur le système de l'exclusif, les résidents de ces îles, qu'ils soient blancs, esclaves ou "libres de couleur" étaient obligés de s'approvisionner et de consommer uniquement des produits en provenance de France. Le même système existait bien entendu pour les colonies espagnoles, portugaises ou britanniques.

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(Eléments de scénographie, maquettes de navires et fût de canon)

 

La partie sur le commerce négrier est faite, dans son propos, avec intelligence. Sans tomber dans les clichés de toutes sortes, on parvient à une compréhension plus fine du système et l'on fait certaines découvertes surprenantes quand on n'est pas spécialiste de ces questions. Ainsi, si Bordeaux est l'un des principaux ports négriers français avec 500 expéditions en 150 ans de traite, il est à peu près équivalent à La Rochelle ou - plus surprenant - au Havre! Et bien entendu loin derrière Nantes et ses 1700 expéditions. Mais, grâces aux excellentes cartes de remise en contexte, sur les autres traites d'une part (traite orientale, traite dans l'océan indien), et sur le reste de l'Europe, je dois avouer ma surprise en découvrant que le plus important port négrier d'Europe n'était ni Nantes ni Rotterdam ni aucun port espagnol ou portugais mais bien Liverpool et ses presque 5000 expéditions, suivi par Londres et Bristol à plus de 2000 expéditions!

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(Nicolas de Fier, L'isle de Saint Domingue ou Espagnole, 1723)

 

La partie sur la traite des Noirs proprement dite est un peu moins bien traitée, cédant une sorte de dolorisme vaguement esthétisant et franchement gênant, comme cette entrave d'esclave, accrochée là dans une vitrine, avec un éclairage bizarre qui en multiplie l'ombre. A froid, sans plus d'explication et dans le but évident de susciter de l'émotion, cet accrochage est pour le moins discutable.

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(Entrave, XVIIIe s.)

 

On préférera de très loin cet exceptionnel fétiche Fon du Bénin, utilisé pour le désenvoûtement des personnes considérées comme folles (et donc enchaînées à leur folie). La spécificité est que ce fétiche est bardé d'authentiques chaînes d'esclave anciennes.

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(Fétiche Fon, Bénin, fin XIXe s., collection particulière)

 

La partie sur la vie dans les colonies, moins doloriste et "mémorielle", est plus plaisante car plus fine intellectuellement. On y découvre la prospérité des blancs et la difficulté de la vie d'esclave mais aussi le mépris intense des libres de couleurs face aux esclaves, qu'ils possédaient parfois eux-mêmes quand ils parvenaient à s'enrichir. L'organisation des plantations est aussi très bien amenée; on en ressort avec les idées plus claires sur une situation souvent bien plus complexe que la vision transmise par la culture populaire.

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(Valérie Coraini, Maquette d'une plantation réalisée à partir de documents d'archive, 2009) 

 

La vie matérielle et culturelle dans ces colonies de grandes plantation n'est pas oubliée, et se concentre beaucoup sur Saint Domingue (future Haïti), une région vaste et bien documentée. Vaudou, musique, alimentation, techniques... à l'exception d'une grande élite blanche, toute cette communauté se mélange et fait naître une nouvelle culture, créole d'Européens, d'Africains et d'un soupçon d'Amérindiens.

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(Julien Vallon de Villeneuve, Petit maître que j'aime, vers 1840)

 

Bien entendu, toute cette section sur l'esclavage et le XVIIIe s. s'achève avec l'évocation des révoltes de Saint Domingue, la première abolition de 1794, l'épopée de Toussaint-Louverture, la répression dans le sang des révoltes et au final, l'indépendance d'Haïti en 1802, seconde nation indépendante en Amérique et première "République noire".

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(Denis A. Volozan, Portrait de Toussaint-Louverture, vers 1800)

 

Le musée étant en voie de fermeture - et nous-mêmes ayant vu les sections que nous n'avions pu détailler autrefois - nous repartons dans la ville pour aller prendre notre train de retour, non sans flâner encore dans le centre de cette belle ville. Voilà qui achève cette petite expédition bordelaise, riche en découvertes culturelles et avec le plaisir de voir un peu de famille.

Mairie (4)

(Palais Rohan - Mairie de Bordeaux, 1772-1784) 

 

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