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Nouvelle Feuille
16 juin 2013

Bordeaux : Le musée des douanes

Nous entrons donc ce musée, qui dépend directement des Douanes - et dont les gardiennes à l'accueil sont en uniforme d'ailleurs. Etonnant lieu, curieux. On se demande un peu ce que l'on va trouver dans ce qui n'est qu'une partie du beau bâtiment classique de l'Hôtel des Fermes. On craint un peu, comme dans certains petits musées de province, quelque chose d'accumulatoire et de vieillot, de très didactique et d'un peu ennuyeux.

Musée des douanes (2)

(Vue intérieure du musée)

 

Et l'on aurait tort! C'est une vraie découverte que ce musée original, au coeur de Bordeaux, peu fréquenté et qui raconte en fait, en prenant pour angle d'approche l'histoire de la Douane et des douaniers, beaucoup d'éléments d'histoire de France et d'histoire populaire. Les panneaux de salle sont plutôt clairs et assez détaillés. Malgré tout, l'importance accordée aux différentes périodes de l'axe chronologique varie largement en fonction des pièces présentées. Ainsi, la période avant Colbert est à peine évoquée, tandis que les XIXe et XXe s. constituent le gros du musée en volume.

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(Moulage d'après Nicolas Coustou, Buste de Jean-Baptiste Colbert, fin du XVIIe s.) 

 

Le musée débute réellement avec l'oeuvre du Grand Colbert, qui organise la division administrative douanière du royaume selon une organisation qui perdurera jusqu'aux grandes réformes révolutionnaires et impériales. L'époque moderne est présentée en quelques vitrines à travers des objets symboliques : un recueil d'ordonnances relatives à la gabelle (droit sur le sel), des jetons de corporation ou de gabelle, de la vaisselle de la Compagnie des Indes...

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(Assiette, burette, tasse et soucoupe, porcelaine "de la Compagnie des Indes", Japon, fin XVIIIe s., dépôt du musée des Beaux-Arts de Bordeaux)



S'ils nous parlent moins de l'oeuvre réglementaire de Colbert, les objets issus du grand commerce de la Compagnie des Indes sont assez fascinants; outre la vaisselle japonaise déposée par le musée des Beaux Arts de Bordeaux, on remarque cet énorme coffre de voyage.

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(Coffre dit "de la Compagnie des Indes, fin XVIIIe s.)

 

Mais au-delà des pièces présentées, qui sont parfois des facs-similés, ou parfois assez ordinaires en comparaison de ce que l'on peut voir dans les musées d'histoire ou d'arts décoratifs, on est surtout très positivement marqué par l'effort de pédagogie et la relative clarté des explications sur un sujet franchement peu "sexy" à la base. A coup de maquettes, d'explications détaillées, de cartes, on nous éclaire un peu plus cette combinaison de deux mondes d'une grande complexité : l'Ancien Régime et les douanes, qu'on ne connait trop souvent que par bribes, ou par clichés.

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(Maquette de "L'Aurore", navire négrier de la fin du XVIIIe s. reconstitué à l'aide des archives de Rochefort, échelle 1/50e)



Le musée est - je l'ai déjà signalé - installé dans l'ancien Hôtel des Fermes, sur la place de la Bourse qui elle-même donnait sur le port de Bordeaux. Et cet aspect n'est pas oublié, le musée mettant en scène la propre histoire de ses lieux, avec notamment cette impressionnante balance servant à peser les marchandises soumises aux traites (droits de douane).

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(Balance de l'Hôtel des Fermes de Bordeaux, 1783) 



L'organisation de ce petit monde grouillant qu'était un centre douanier du XVIIIe s. est très bien représenté par la maquette de l'Hôtel des Fermes. Tout y est montré: les espaces administratifs, les lieux d'entreposage, de contrôle, de déclaration, de vérification. Cela vaut le coup de s'y attarder un peu et d'essayer de comprendre.

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(Maquette de l'Hôtel des Fermes)



Mais au-delà de cet aspect institutionnel, les réactions "populaires" face à la pression des douaniers, fermiers généraux et autres gabellous n'est pas oubliée. Le sel et la gabelle, célèbre et très impopulaire impôt frappant ce produit, sont particulièrement évoqués. Et c'est là qu'on touche du doigt ce qu'est la France d'alors, car nous ne sommes pas dans un musée des impôts : la France est découpée, pour ne pas dire morcellée, en un nombre énorme de juridictions qui font que dans tous les domaines, le moindre petit "pays" n'a souvent pas les mêmes droits, devoirs, impôts et libertés que son voisin distant de quelques lieues. Ainsi en allait-il pour la gabelle, où l'on distinguait, sans continuité géographique parfaite au sein de chaque bloc : les pays de grande gabelle, de petite gabelle, les pays redîmés, les pays de quart bouillon, les pays francs et les pays de salines! Pour en savoir plus sur cet impôt, rendez-vous sur la page wikipédia, qui met un peu les choses au clair.

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(Anonyme, Le grenier à sel, XVIIIe s.)



Le tabouret à sel est un objet assez fascinant qui témoigne du rôle primordial de ce produit dans la vie quotidienne. Il témoigne aussi de la ruse des contribuables : les longues jupes des femmes pouvaient aisèment dissimuler ce tabouret aux contrôleurs éventuels!

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(Tabouret à sel, XVIIIe s.)

 

La vie quotidienne des douaniers et leur place dans l'administration est une des thématiques importantes du musée mise en avant par le musée. Pour la période concernée, cela consiste surtout en de lourds registres qui - et cela en raison de leur statut proche des gendarmes - ressemblent à des états de service militaires.

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(Sommier pour les brigades, XIXe s.)



Quelques éléments évoquent la résistance à l'impôt, aux taxes douanières et aux abus dont sont accusés - à tort comme à raison - les agents. Ainsi se déroule une histoire du XVIIIe s. relue au travers de la haine des taxes et des fermiers en tout genre; les bandits Cartouche et Mandrin se font une popularité sur le dos de l'administration fiscale, tandis que les fermiers-généraux, exécrés, seront les premiers à subir les fureurs populaires. Avant la prise de la Bastille, la première "attaque" révolutionnaire fut celle des barrières des Fermiers Généraux (il n'en demeure que 4 à Paris aujourd'hui), le 13 juillet 1789.

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(Assiette révolutionnaire, réédition, vers 1889, Atelier de Nevers) 



La Révolution justement, met un peu d'ordre dans ce foutoir d'Ancien Régime : les frontières intérieures sont abolies et il n'y a plus qu'une seule Ferme générale, tandis qu'une Régie est créée pour surveiller le commerce extérieur. Rien de bien neuf en ce qui concerne les hommes et la façon de procéder, mais tout est désormais clair et aux mains de l'Etat. La Douane proprement dite ne naîtra qu'en 1801, sous le Consulat. C'est cette administration qui connaîtra un formidable essor et marquera durablement l'imaginaire français pendant les XIXe et XXe s. L'oeuvre de Napoléon en la matière est largement saluée, car il permet d'établir une administration solide et de consolider quelques habitudes françaises au premier desquelles un protectionnisme plutôt fort.

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(Epée de cérémonie d'un fonctionnaire des Douanes, Ier Empire)



Au XIXe s., les parcours personnels sont mieux connus, l'administration mieux réglée et l'ensemble donne un témoignage des changements du pays et des passions qui parcourent ce siècle. On voit le recrutement devenir de meilleur niveau : du simple dévouement, on passe à des critères objectifs d'âge, de connaissances scolaires minimales, ou plus subjectifs de moralité... Ainsi les registres ne distinguent pas la vie privée de la vie professionnelle et l'administration des douanes - comme la plupart des autres - se réserve le droit de limoger un fonctionnaire qui ne serait pas "de bonnes moeurs". De bonnes moeurs, Jacques Boucher de Crévecoeur de Perthes l'était certainement et l'on sait rarement que le "père de la Préhistoire" en France, exerçait le métier de directeur des douanes à Abbeville (il est d'ailleurs aussi l'auteur d'ouvrages sur la douane, le commerce et la vie administrative). Un boulot qui lui laissait assez de temps libre pour se consacrer à ses chers cailloux...

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(Collection de silex de Boucher de Perthes, dépôts du musée d'Aquitaine)



On découvre aussi, au gré des panneaux de salle, le curieux système par lequel on accédait alors à la carrière dans la fonction publique à l'époque (et jusqu'au début du XXe s.) : le surnumérariat. Cette pratique consistait à l'entrée dans la fonction publique comme surnuméraire : pendant un à quatre ans, le surnuméraire travaillait bénévolement pour l'administration avant d'être titularisé. Cela permettait de vérifier la motivation du fonctionnaire mais éliminait ceux dont la famille ne pouvait subvenir aux besoin pendant ces années gratuites. La pratique ne sera supprimée définitivement qu'en 1908. Au fur et à mesure se mettent également en place des vérifications de compétences, des examens pour créer un corps de fonctionnaires loyaux sans que leurs opinions politiques ou religieuses ne soient la base de leur admission ou de leur renvoi.

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(J. Georges, Vue du port de Bordeaux, photochromogravure, 1903)

 

Les différentes particularités régionales sont également évoquées, comme celle de Paris, de la Savoie (rattachée en 1860 à la France), de l'Alsace-Moselle annexée de 1871 à 1918, ainsi que l'évolution des politiques douanières, plus ou moins protectionnistes. La deuxième moitié du musée s'attache à la période plus récente de la fin du XIXe s. et évoque les évolutions techniques et technologiques ainsi que l'adaptation de la Douane dans les différents milieux et conditions, surtout en ce qui concerne les brigades d'active (sur le terrain). L'évolution de la Douane suit les innovations utilisées par les contrebandiers. Ainsi, l'apparition du vélo, puis de l'automobile, change les méthodes de la contrebande. Face à ces nouvelles techniques de passage en force, de dissimulation facilitée, il faut inventer les barrages, les herses et toute une panoplie de moyens d'arrêter ces engins. Cependant, la création de brigades automobiles ne sera effective qu'en 1919, laissant l'impression que la contrebande a toujours un coup d'avance.

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(Herse, début XXe s.)



De très belles vitrines évoquent l'évolution de l'uniforme des douaniers: tuniques, plaques et surtout les chapeaux! Il faut savoir que, jusqu'en 1908, l'uniforme fourni par l'administration était à la charge du fonctionnnaire, sous la forme d'une retenue sur salaire.

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(Bicorne d'inspecteur, Ier Empire)



Les chapeaux sont sans doute la partie d'uniforme qui présente le plus de variété, depuis les bicornes de l'époque impériale aux shakos, képis et jusqu'au canotier, spécifique au douaniers marins pour les jours très ensoleillés.

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(Canotier de marin des douanes, début XXe s.)



Après la guerre de 1870, les Douanes sont de plus en plus assimilées à un service militaire, avec armes, fanfares, drapeaux, etc. Ils seront une force militaire d'appoint jusque 1940. Les douaniers s'essaient aussi à de la surveillance en milieux plus extrèmes, avec des équipements adaptés notamment à l'embuscade en montagne.

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(Eléments pour l'embuscade en montagne, fin XIXe s.)



C'est à ce moment-là que, nous rendant compte de l'heure avancée, nous sortons manger à deux pas de là, à l'excellente "Brasserie bordelaise" où nous avions réservé. Le repas, composée de spécialités bordelaises et arrosé d'un Médoc, est tout à fait excellent.

Après cet intermède bienvenu, obstinés comme nous sommes, nous retournons au musée. Rares seront les visiteurs à l'avoir détaillé autant; j'en ai vu qui visitaient l'ensemble des collections en moins d'une demi-heure... 

 

Bref, tandis que la surveillance de marchandises autrefois symboliques, comme le sel, s'étiole et finit par disparaître en 1926, d'autres denrées et fournitures quotidiennes font l'objet de contrôles et de taxes nouvelles. La vérification étant parfois complexe, elle impose l'utilisation d'instruments scientifiques perfectionnés et la formation des douaniers à leur utilisation. On vérifie ainsi le textile (pour vérifier de quel textile il s'agit et imposer la taxe en rapport), le bois, le bétail, le fourrage, le sucre, l'essence, le vin et les alcools, etc...

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(Sondes, pipettes et instruments de mesure et d'analyse pour le contrôle des alcools, XXe s.)

 

La fin de l'exposition permanente évoque d'abord la Douane et les douaniers dans l'art et la culture populaire : bande dessinée, cinéma, mais également les beaux-arts plus classiques, à commencer par la peinture de Monet qui, installé au Pourville, un hameau de pêcheur non loin de Dieppe, y peint plusieurs version de la cabane des douaniers.

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(Claude Monet, Cabane des douaniers, effet d'après-midi, 1882, dépôt du musée d'Orsay)



La contrebande et les contrebandiers sont bien illustrés dans cette section, avec notamment une copie d'un tableau de Rémy Cogghe (vu à la Piscine de Roubaix), où les douaniers fouillent ces femmes, les pacotilleuses, qui profitaient de la frontière belge toute proche et de leurs longs tabliers et jupons pour passer des petites quantités de marchandises en fraude.

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(D'après Rémy Cogghe, La visite des pacotilleuses, XXe s.)



Un bronze particulièrement remarquable de Joseph Carlier illustre l'ingéniosité - et la violence - des contrebandiers. On y voit un contrebandier, sans doute sur un terrain accidenté, qui retient par une laisse un molosse caparaçonné. Dans cette carapace était placée la marchandise de contrebande tandis que, pour éviter les attaques de chiens des douanes, ladite carapace était cloutée.

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(Joseph Carlier, Le contrebandier et son chien, fin XIXe s.)



La section suivante, passionnante, est la plus hétéroclite et présente selon une organisation vaguement thématique, différents types de marchandises saisies. La variété est extrème : plantes et animaux protégés, transformés en objets d'un mauvais goût très sûr : 

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(Crocodile-sac à main, saisie)

 

ou tout simplement naturalisés, comme un trophée ou un exemplaire de musée d'histoire naturelle:

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(Lion (panthera leo), spécimen naturalisé, saisie)

 

Bien sûr, la lutte contre le trafic de drogue occupe une vitrine entière, où l'on remarque ce pauvre ourson en peluche, innocente victime de la drogue dissimulée dans son ventre. L'opération a été nécessaire mais la pauvre bête n'a pas été recousue...

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(Ourson en peluche, cache de stupéfiants, fin XXe s.)

 

La protection du patrimoine, en particulier la lutte contre le pillage archéologique et le vol dans les musées, est une des mission essentielle des Douanes. Tout est susceptible de faire l'objet d'un trafic : éléments architecturaux, produits du pillage d'épaves en mer, armes anciennes, livres et manuscrits. Mais, contrairement à l'idée répandue, en proportion, assez peu de tableaux.

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(Objets volés ou pillés : pistolet à silex (vers 1760); assiette en porcelaine, balles, longue-vue, poignée de meuble, charge de grenade, chaine : tous pillés sur l'épave du HMS Magnificent, navire anglais naufragé en 1804, dépôt du Ministère du Culture)

 

Ceci dit, les fouilles illégales ne concernent pas que les objets d'art ou historiques, mais également la paléontologie. Ainsi nous est présenté un oeuf d'Aepyornis (oiseau éléphant), le plus gros oiseau ayant jamais existé, qui disparu de Madagascar au début du XVIe s. et qui nous est encore mal connu. Les sites fossiles étant protégés au titre des conventions avec l'UNESCO, cela a permis la saisie de plus de 300 de ces oeufs géants en 1999. A titre de comparaison, un oeuf d'autruche et un oeuf de poule.

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(Oeufs d'Aepyornis Maximus, oeuf d'autruche, oeuf de poule)

 

A côté des vols, il y a aussi les faux. La contrefaçon, souvent difficile à détecter pour un oeil profane, touche encore une fois absolument tous les domaines imaginables. L'art, bien entendu, avec ce faux Guardi particulièrement réussi :

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(Copie d'après Francesco Guardi, Le port des Doges, fin XXe s., saisie 1979)

 

Mais aussi bien sûr le monde du luxe, avec ces superbes pièces d'orfévrerie contrefaisant des oeufs de Fabergé:

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(Oeufs d'orfèvres contrefaisant Fabergé, 2010)

 

Sans oublier les biens de consommation courante, depuis les médicaments jusqu'aux appareils technologiques:

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(Téléphones 4 G contrefaisant Apple, 2010)

 

La visite s'achève avec la présence d'objets techniques illustrant l'évolution de la douane au cours de la deuxième moitié du XXe s. avec pour révolution essentielle l'apparition de l'ordinateur. Quelques affiches complètent la collection.

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(D. Barrère, "Vous n'avez rien à déclarer?", début XXe s.)

 

La visite se complète, dans la travée centrale du musée, par une exposition photographique consacrée aux douanes en terres coloniales d'Asie et d'Afrique. C'est tout à fait intéressant pour la mémoire de cette profession et pour la façon dont la France a su imposer son administration jusque sur ces terres les plus reculées, tout en faisant toujours quelques concessions, notamment architecturales, à la "couleur locale".

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(Magasins des douanes à Vatomandry, Madagascar, éditions Gamonin)

 

Certains bâtiments sont remarquables, comme le bâtiment des douanes de Beyrouth, construit en 1932 dans le style art déco.

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(La nouvelle douane de Beyrouth, 1932)

 

Je m'arrête là mais je ne peux sincèrement que conseiller ce musée original et bien fait. Et je n'ai rien d'autre à déclarer!

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(Ben, Rien à déclarer, 1994)

 

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