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Nouvelle Feuille
14 juin 2009

Lire ou relire Albert Cossery

J'ai rencontré deux fois dans ma vie Albert Cossery, à chaque fois au salon du livre. Chaque année cet humble vieillard venait y faire de la présence par sympathie pour Joëlle Losfeld, son éditrice, qui l'avait sorti du semi-oubli où il demeurait en rééditant ses ouvrages.

Un peu par hasard j'étais allé vers ce vieil homme presque sourd, à l'oeil pétillant, dont j'avais acheté un livre. La lecture de cet ouvrage (Un complot de saltimbanques) ayant été une révélation, il m'a fallu continuer à explorer son oeuvre; ce fut chose faite l'année suivante avec l'achat du premier volume de ses oeuvres complètes, qu'il m'a fait l'honneur de dédicacer. Quelques mois après, ce vieil égyptien qui avait toujours écrit en français s'éteignait dans la chambre d'hôtel qu'il occupait depuis plus de 50 ans à Paris, entouré de rares meubles et objets personnels. L'homme était modeste et se contentait de peu.

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(Albert Cossery en 2007. La photo est floue au possible, mais finalement, je l'aime bien)

En matière d'écriture également il se contentait de peu de quantité pour beaucoup de qualité. Il s'était volontairement fait l'image d'un écrivain un peu paresseux, n'écrivant qu'une phrase par jour et passant le reste de sa journée à flâner dans le Quartier Latin. Il y a sans doute du vrai et sans doute de l'exagération dans ce propos, je n'en sais rien à vrai dire. L'homme était mystérieux. Mais ses romans sont exceptionnels et méritent la lecture, tant ils nous plongent dans l'ambiance de ce petit peuple du Caire, pauvre mais débrouillard, gouailleur et parfois un peu escroc.

Bien sûr, Cossery c'est un ton parfois suranné et des types de personnages récurrents: femmes jeunes, sensuelles et abusées, matrones violentes, petits voleurs, poètes et amoureux un peu sots, petit peuple travailleur, drogués philosophes, etc. Pour lui qui a quitté Le Caire en 1945 pour Paris, il a peuplé ses romans uniquement de ses visages du Caire, inoubliables.

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Mendiants et orgueilleux

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Mendiants et orgueilleux est sans doute l'ouvrage le plus connu d'Albert Cossery. Comme les autres, il ne raconte pas franchement une histoire, ou plutôt l'histoire est si ténue qu'elle n'est finalement pas très important. L'importance est dans la galerie de personnages pittoresques et truculents qui peuplent le roman et lui donne une vie incroyable. L'essentiel du roman tourne autour de Gohar, un ancien professeur de philosophie de l'université qui a tout abandonné pour vivre pauvrement dans un petit logis miséreux, sans meubles, ne vivant que de mendicité sympathique et n'ayant pour toute dépense que l'argent pour payer son hachich et de temps en temps une fille au bordel du coin.

La plupart des personnages de Cossery sont ainsi, des mendiants orgueilleux, pauvres certes, mais ne souhaitant surtout pas faire partie de toute cette société des gens biens, des gens qui réussissent. Ils préfèrent vivre de l'air du temps, ne rien faire ou alors pas grand chose, et demeurer dans une semi-honnêteté un peu interlope. Mais le tout sans jamais que cela ne devienne apitoyement. Ces pauvres se moquent des riches et des pédants et leur jouent des tours. Et finalement, dans ce petit monde, rien n'est vraiment grave, pas même le meurtre d'une jeune prostituée tuée par un pauvre hère en manque de drogue... Et quand cette curieuse philosophie finit par contaminer l'un des rares policiers intègres du coin...

Le roman est nonchalant, bien écrit et oscille toujours entre l'admiration pour cette pauvreté choisie par Gohar et la dénonciation de celle, violente et totalement subie, de la plupart des gens qui l'entourent.

"Sa réputation de poète lui avait acquis un immense prestige parmi ses compagnons illettrés. C'était lui qui mariait - affreux simulacre - les détenus entre eux. Il est vrai que sa laideur le préservait d'un danger réel: il aurait fallu être aveugle pour vouloir le sodomiser. Heureusement il n'y avait pas d'aveugles en prison."
p.43


Les hommes oubliés de Dieu

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De tout ce que j'ai lu de Cossery c'est sans doute ce que j'ai le moins apprécié. Le ton est dur, sans espoir, d'une noirceur incroyable. Ici aucune pauvreté choisie, mais une pauvreté écrasante, subie et violente, qui broie les hommes et les âmes. Un recueil de nouvelles remplies d'une humanité très noire, sans espoir de redemption. Pour une fois également, l'humour de Cossery, son regard goguenard et distant est absent ou presque. Ne se trouve ici qu'une hésitation entre révolte face à un monde d'une injustice noire et dédain pour cette humanité pauvre et qui se complait dans une manière de vivre assez odieuse et ne se révolte pas. Bref, une autre face de Cossery, moins connue et moins riante. Heureusement que la beauté de l'écriture sauve un peu ce livre qui sans cela ne serait qu'un précis de désespoir social.


La maison de la mort certaine

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Ici on aborde un sujet grave encore une fois, mais avec un retour au ton léger et à la célébration de la débrouillardise et l'invention du petit peuple cairote. Ici le récit est celui de la lutte épique entre les locataires d'un immeuble qui menace de s'écrouler et le propriétaire, un homme très avare, issu du même milieu et qui s'est à peine embourgeoisé. Toute cette histoire est l'occasion encore une fois de dresser une belle galerie de portraits, un peu mesquins, certains odieux, mais tous tellement humains. Une sorte de comédie humaine, un peu tragique, bien plus pauvre que celle de Balzac. Et surtout beaucoup plus amusante!


Un complot de saltimbanques

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Sans doute le roman le plus anarchiste de Cossery. Le plus jouissif aussi. Il s'agit ici d'un récit plus tardif, écrit par Cossery dans les années 1970. Beaucoup moins désespéré, il met en scène un jeune homme riche, Teymour, qui a fait ses études à l'étranger et s'en retourne dans sa petite ville d'origine, une quelconque bourgade provinciale d'Egypte. Armé d'un faux diplôme, il revient s'ennuyer dans cette ville. Mais, en reprenant contact avec des amis d'enfance, il prend conscience du fait qu'il ne sert à rien d'aller à la capitale ou à l'étranger pour se divertir, que l'amusement est présent partout dans cette rue et que l'on peut rire à chaque coin de rue. Pour cela, il faut simplement savoir le voir et le vouloir, qui à jouer des farces, à se tenir dans une sorte d'anarchie morale et civile, avec pour seul but de profiter de la vie et ses joies. Les jeunes hommes passent donc leur temps à choquer le monde, à outrepasser les lois, à provoquer la police et à se faire experts en subversion. Et tout cela sans but, sans idéal politique, juste pour rire et profiter de la vie. Une très belle lecture, légère et réjouissante, qui fait penser par moments au roman Les copains de Jules Romains.

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