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Nouvelle Feuille
9 novembre 2010

L'art en France au tournant des XVe et XVIe s.

Le Grand Palais réalise souvent des expositions plutôt bien amenées et rassemble souvent des oeuvres venues de très loin et rarement vues en France. Pour l'exposition France 1500, le mérite est plutôt dans le choix du sujet, assez original, que dans les oeuvres rassemblées, pour la plupart visibles en France et souvent assez bien connues du public.

Le parti-pris est de s'intéresser à ces quelques décennies qui marquent en France la fin du Moyen Âge et le début de la Renaissance (en gros entre la fin de la guerre de Cent Ans et le règne de François Ier), sans appartenir très franchement ni à l'une ni à l'autre période au niveau artistique. C'est donc un art de transition qui est étudié dans cette exposition plutôt exigeante.

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(Jean Hey, Nativité au Cardinal Jean Rolin, vers 1480, Autun, Musée Rolin)

Première impression, comme souvent dans les expos en semaine et à plus forte raison au Grand Palais: le lieu est envahi de petites vieilles désagréables et d'audioguides bruyants. Il faut donc faire abstraction de la chaleur et des remarques soit idiotes soit irascibles des mémés qui hantent l'endroit. Point très positif: on peut s'asseoir par terre (sans gêner personne) sans se faire engueuler, ce qui n'est pas si courant dans les musées.

L'exposition est répartie sur deux niveaux: le rez-de-chaussée évoque l'art à la fin du XVe s. suivant une progression essentiellement géographique, tandis que le premier étage s'articule autour d'un axe technique et thématique. L'ensemble est intéressant et cohérent même si l'on peut parfois trouver que le tout manque de liant. On a plus l'impression d'un kaléïdoscope à recomposer soi-même pour obtenir une image de la situation politique et artistique de l'époque. Mais après tout, la diversité des formes artistiques présentées et la multiplicité des foyers et des grands mécènes justifie sans doute cette vision un peu éclatée.

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(La France en 1500. Copyright Rmn. Cliquez pour agrandir)

L'exposition débute avec un rappel des années 1460 à 1480 (approximativement), soit la fin de la guerre de Cent Ans, le règne de Louis XI et la fin brutale de "l'Empire bourguignon" avec la mort de Charles le Téméraire devant Nancy en 1477. La première oeuvre est de Jean Fouquet, l'artiste majeur de cette période. Il s'agit du premier autoportrait connu et tente de montrer le nouveau souffle artistique qui perce à cette époque.

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(Jean Fouquet, Autoportrait, vers 1452, Musée du Louvre)

A cette époque, le rôle le plus important en matière de mécénat et de grande politique culturelle ne revient pas tellement à la France de Louis XI, mais se répartit plutôt entre deux pôles: la Bourgogne qui joue un rôle majeur dans l'influence de l'art flamand en France de par la géographie de ses Etats (Bourgogne et Franche-Comté actuelle d'une part, Pays-Bas bourguignons soit l'équivalent approximatif du Bénélux d'autre part), et les Etats de René d'Anjou, soit l'Anjou proprement dit et la Provence.

La Lorraine n'est pas évoquée car elle est alors indépendante et ne ressort que très peu du royaume de France. Elle connaît pourtant un certain essor artistique durant cette période, notamment sous les ducs René II et Antoine Ier. De même, la Bourgogne n'est évoquée qu'assez marginalement, ce qui est regrettable.

La personnalité de René d'Anjou, "le bon roi René" est par contre longuement et brillamment évoquée. Son importance est particulièrement mise en relief. Il a su, aussi bien en Anjou qu'en Provence, protéger et passer de nombreuses commandes à des artistes très brillants venus de tous horizons, à l'instar du peintre Nicolas Froment ou du sculpteur Francesco Laurana.

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(Attribué à Nicolas Froment, vers 1475, Diptyque Matheron (portraits de René d'Anjou et de sa seconde épouse Jeanne de Laval), Musée du Louvre)

Les autres foyers artistiques mis en valeur par l'exposition, dans une muséographie parfois brouillonne (on a un peu de mal à savoir vers où aller pour rester dans la cohérence géographique du pan de mur précédent...), permettent de constater à quel point la France de cette époque est éparpillée et encore assez peu dépendante de la monarchie, qui est en tout cas encore loin de tout faire à proximité de Paris, ce foyer n'en étant alors qu'un parmi d'autres et bien plus lié à son statut de ville très peuplée (150 000 habitants alors) et très commerçante. De cette époque subsiste des éléments architectaux rares mais superbes, qui témoignent du gothique finissant en vogue parmi les élites parisiennes: la tour Saint-Jacques, l'hôtel de Cluny ou l'hôtel de Sens.

Successivement, on découvre les différents foyers. Certains sont très liés à la monarchie, comme le Val de Loire, souvent vu comme prééminent à cause des châteaux qui couvrent la région, mais dont l'importance est sans doute à relativiser un peu. Les artistes importants oeuvrant dans cette région se nomment alors Jean Poyer, Michel Colombe ou Jean Bourdichon. La personnalité royale marquante à cette époque, au-delà des rois Charles VIII (1483-1498) et Louis XII (1498-1515), est leur épouse (elle sera successivement la reine de l'un puis de l'autre) Anne de Bretagne.

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(Jean Marot, Le voyage de Gênes, Gênes s'inclinant devant la raison, enluminé par Jean Bourdichon, vers 1508, BnF)

La Provence de René d'Anjou est largement évoquée, comme signalé plus haut, ainsi que le Bourbonnais, qui constitue l'un des foyers les plus vivants. Dans cette exposition, c'est la partie consacrée à cette province appartenant aux ducs de Bourbons qui font de Moulins un centre artistique de premier ordre, qui comprend l'ensemble le plus exceptionnel, celui des tableaux du "Maître de Moulins", identifié comme Jean Hey. Celui-ci était flamand et cette influence est largement perceptible chez tous les artistes de la région qui travaillèrent probablement autour de Hey. Il faut saluer la très bonne idée d'avoir exposé de ce maître un échantillon important d'oeuvres venues de collections très dispersées côte à côte. Il s'agit sans doute de l'intérêt majeur de cette exposition. Les oeuvres sont d'une fraîcheur et d'une qualité étonnantes.

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(Jean Hey, L'Annonciation, vers 1490-1495, Art Institute of Chicago)

Plutôt complète sur le plan historique, mais assez ardue pour qui ne maîtrise que moyennement le contexte, l'exposition évoque ensuite le mécénat de la famille d'Amboise, la ville de Lyon, lieu de commerce, de passage pour les guerres d'Italie et ville de grande tradition d'imprimerie.

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(Notre-Dame des Grâces, vers 1470, Toulouse, Musée des Augustins)

La seconde partie de l'exposition évoque donc des aspects plus thématiques et techniques de l'art à cette époque charnière. L'accent est mis sur la tapisserie, surtout produite dans les villes de Flandre mais également à Paris, avec une grande prédominance de tapisseries dite "millefleurs". Dans ce domaine, c'est également le début du carton préparatoire exécuté par un peintre renommé. Le domaine de l'émail, dans lequel Limoges occupe toujours une place dominante et innove avec la technique de l'émail peint, est évoqué, ainsi que le vitrail, qui connaît un certain renouvellement et une vitalité particulièrement en Lorraine, en Normandie et en Champagne autour des centres que sont Troyes, Reims et Châlons. Pour l'exposition, certains vitraux ont été démontés de leur église d'origine, ce qui est assez exceptionnel.

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(Saint Adrien, vers 1510, Eglise Notre-Dame, Louviers)

A la grande question que pose cette exposition sur la qualification de cet art des années 1470-1510, une réponse assez subtile est apportée, mettant bien en lumière la transition qu'il représente. A la fois encore essentiellement religieux, il se permet quelques nouveautés iconographiques plus profanes, telles que les "Triomphes", d'après Pétrarque ou la "Nef des fous" d'après l'ouvrage de Sébastian Brant. Plus vraiment médiéval, pas franchement de plain-pied dans la Renaissance italienne, cet art se révèle extraordinairement fécond en artistes de talents. Le parti-pris assez fort de l'exposition est de démontrer qu'essentiellement, l'art français de l'époque, même s'il se mâtine tout doucement d'innovations italiennes à la faveur des guerres d'Italie (à part de 1495), est un art d'école nordique et d'influence flamande primordiale. Bien évidemment, le tout est adapté, travaillé avec d'autres influences, notamment italiennes.

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(Maître de Saint-Gilles, Episode de la vie d'un saint évêque, vers 1500, National Gallery of Art, Washington)

A la sortie de l'exposition, on a vraiment l'impression que la France n'a rien inventé à cette époque et que son seul génie a été celui de sa géographie et de ses différents mécènes qui en ont fait le creuset idéal pour mélanger arts du nord et arts du sud. Tout cela est très imbriqué et le propos est subtil. Les choses changent à partir de 1515, quand débute le règne de François Ier, qui fait réellement entrer la France dans la Renaissance "classique", c'est à dire italienne. En guise de conclusion, l'exposition s'achève sur un tableau de Léonard de Vinci, "La belle ferronière" ainsi que sur un curieux portrait de François Ier. Une manière de montrer que la parenthèse est refermée, que la Renaissance est vraiment là et que désormais, la monarchie française entame sa longue marche vers l'absolutisme politique, culturel et artistique.

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(Jean Clouet, François Ier en Saint-Jean Baptiste, vers 1518, Musée du Louvre)

En somme l'on retiendra de cette exposition, quelques points négatifs: l'éternel problème de la présentation de livres et d'enluminures, devant lesquels il est malaisé de circuler dès qu'il y a un peu de visiteurs; le fait qu'à quelques exception les oeuvres proviennent toutes de collections françaises et la gestion parfois hasardeuse de la scénographie dans une espace où on la sent parfois un peu désorientée. De façon positive, on gardera en mémoire l'originalité du thème, la finesse avec laquelle il est présenté et la grande qualité des oeuvres proposées. Je n'engage toutefois que les initiés à s'y rendre, car elle est tout de même assez complexe et risque d'en laisser un certain nombre un peu déçu. Les autres se régaleront.

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