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Nouvelle Feuille
21 janvier 2013

Turin II : Superga

Le lendemain matin, nous quittons notre hôtel assez tôt. Les rues sont encore quasi-désertes et nous nous dirigeons de l'autre côté du Pô, vers le quartier plus ordinaire mais pas dénué de charme dénommé Sassi. Le but n'est pas de nous attarder dans les petites épiceries et boulangeries, mais de trouver la station de funiculaire qui nous permettra de monter jusqu'à Superga, une colline qui surplombe Turin, les Alpes et la vallée du Pô du haut de ses  670 m. d'altitude. Bon, en pratique, si nous sommes tout le long sur la bonne voie, nous avons mal estimé les distances et il nous faut pas loin d'une heure pour parvenir, en nage, à la station basse du funiculaire. Nous craignons de manquer la montée, qui ne se fait semble-t-il qu'une fois par heure. Arrivés autour de 10h25, nous nous préparons donc à une attente longuette jusqu'à 11h00. De nombreux autres touristes, italiens pour l'essentiel, attendent devant les grilles de la station. Qui s'ouvrent en fait vers 10h35... 

Station basse du funiculaire

(Station basse du funiculaire, Sassi)



Nous prenons place dans ce beau train à suspension, d'un modèle assez ancien mais parfaitement entretenu. L'intérieur est très plaisant, presque entièrement en bois et possède un charme suranné. Le train est bondé et de nombreux voyageurs sont debout. Il y a moins de monde le matin sur la ligne 2 du métro parisien quand je pars au boulot! Bon d'accord, la photo ci-dessous n'est pas probante, mais je l'ai prise à l'arrivée une fois tout le monde descendu.

Funiculaire (6)

(Funiculaire de Superga)



En haut, avant même d'arriver à la basilique de Superga (rapidement évoquée dans le billet précédent), le premier choc est celui des Alpes. La vue est exceptionnelle et le temps idéal pour qu'une sorte d'immense barrière bleue et blanche ferme l'horizon. 

Alpes (2)

(Vue sur les Alpes)



Comme je l'ai déjà indiqué, la basilique de Superga, un des nombreux sommets du baroque qui constellent Turin et ses environs, est née du voeu prononcé par le duc Victor-Amédée II en 1706. Sur cette colline qui surplombe la ville, lui et son cousin le prince Eugène de Savoie (le fameux général des armée impériale qui fit le palais du Belvédère à Vienne) observent le siège de la ville que mènent les Français. Ce n'est là qu'une des nombreuses péripéties de la Guerre de Succession d'Espagne, mais elle menace la capitale de la Savoie, un Etat prestigieux mais encore faible au niveau européen. Il n'en faut pas plus pour que les deux princes se rendent devant la statue de la Madone des Grâces qui se trouve dans la petite chapelle du coin. Et le duc d'y faire le voeu de bâtir un grande église en ce lieu si la victoire était accordée.

Basilique de Superga

(Basilique de Superga)



Et Victor-Amédée tint sa promesse une dizaine d'années plus tard. Les travaux sont alors confiés au génie sicilien que la cour de Savoie a attiré ici, le fameux Juvarra. Les travaux s'échelonnent de 1717 à 1731 et comprennent, outre l'élévation de cette grande basilique, la création d'une nécropole dynastique pour la famille de Savoie (à l'instar de la Crypte des Capucins pour les Habsbourg d'Autriche, de la basilique de Saint-Denis pour les rois de France, etc.) L'inspiration du Panthéon romain est bien présente, flanquée de deux tours et d'un escalier qui accentuent la symétrie de l'ensemble.

Basilique de Superga (5)

(Basilique de Superga)

 


L'intérieur est élégant mais donne finalement une impression de relative étroitesse, presque d'intimité, qu'on ne soupçonnerait pas d'extérieur.

Superga, coupole

(Basilique de Superga, dôme)



L'intérieur se révèle assez audacieux en ce qui concerne la décoration. L'oeil est en particulier irrésistiblement attiré par la qualité des retables en marbre blanc. On peut admirer le travail du sculpteur, qui ne se semble pas se brider, débordant largement du cadre si besoin et travaillant le même ensemble aussi bien en bas-relief qu'en haut-relief, jusqu'à flirter avec la ronde-bosse pour les personnes principaux de la composition.

Retable (5)

(Le voeu de Victor-Amédée, XVIIIe s.)



Et puis, l'on passe par la sacristie, sans guère d'intérêt, avant d'arriver à la "sala ex-voto". Un merveilleux sanctuaire de la dévotion populaire, qui mérite que l'on s'y attarde un peu (même si j'y reviendrais encore un peu plus longuement dans un prochain billet). On y trouve en effet des ex-voto très populaires qui constituent en de simples petites peintures ou dessins réalisés pour remercier la réalisation d'un voeu à la Madone. Bien que les thématiques soient infinies, elles tournent en grande majorité autour de la rémission de maladies ou après des accidents graves.

Ex-voto (12)

(Ex-voto pour la guérison d'un enfant blessé, 1893)



Certaines sont très anciennes (depuis le début du XVIIIe s.) et l'on constate que la tradition perdure jusqu'à aujourd'hui, comme ci-dessous où un enfant remercie la Vierge après un accident de chantier dont son père a été victime. A travers un même type de représentation, c'est toute une histoire et des particularités qui transparaissent et évoluent: ainsi on des accidents de charettes tirés par des chevaux, de tracteurs, de voitures, de bus, de tramway... C'est incroyablement riche et intéressant et cela mériterait sans doute une étude approfondi. C'est en tout cas pour nous la découverte formidable d'une dévotion toujours vivante et plutôt inventive.

Ex-voto (5)

(Ex-voto pour la guérison d'un ouvrier blessé sur un chantier, 2005)



Si les ex-voto peints ou dessinés ainsi sont l'éléments le plus étonnants, on trouve pas mal d'objets populaires chargés d'une valeur votive, comme un Christ souffrant brodé ou une robe de mariée déposée ici en 1980 "per grazia ricevuta" (pour la grâce reçue) sans que l'on sache de quelle grâce il s'agit.

Le tout sous l'oeil bienveillant du très discuté Padre Pio (qui est en fait, je viens de le découvrir, saint aux yeux de l'Eglise catholique depuis 2002, après des années de méfiance et sous la pression populaire jamais démentie).

Padre Pio

(Statuette du Padre Pio, début XXIe s.)



Nous accédons ensuite à la toute petite chapelle dite "du voeu", qui correspond théoriquement à l'endroit où s'élevait la chapelle primitive où le duc s'était agenouillé pour prier la Vierge de faire lâcher prise aux troupes françaises. C'est là qu'on a soigneusement exposé la statue miraculeuse et quelques tableaux qui évoquent le voeu de Victor-Amédée II. 

Madone des Grâces (2)

(Chapelle du Voeu : la Madone des Grâces)



Nous souhaitons ensuite visiter la crypte où se trouvent les tombeaux royaux. Comme de juste, la visite est payante, guidée, en italien uniquement (mais on nous fournit des fiches explicatives pas trop succinctes) et les photos sont interdites... Dit comme ça, ça ne paraît pas terrible. En fait, le guide est d'une grande gentillesse avec nous, nous demandant régulièrement si nous ne sommes pas trop largués, et comme il se coltine tout le reste du troupeau de visiteurs auxquels il explique longuement plein de choses (la visite dure presque une heure), nous pouvons librement nous balader et prendre des photos sans personne pour nous voir ni nous dénoncer. Je rappelle à tous les gens qui pourraient me lire et tenteraient de faire pareil, ces quelques conseils : les photos ne font de mal à personne et encore moins aux oeuvres; les flashs, si. Alors par pitié, évitez ces lumières violentes et peu discrètes, elles sont souvent totalement inutiles. De la même manière, soyez discrets, évitez de photographier ostensiblement dans un lieu interdit. Si vous n'êtes pas un peu furtif, vous vous ferez prendre et là, tant pis pour vous, les gardes et autres guides vous auront à l'oeil...

Salle des Papes (6)

(Salle des Papes)



Avant de descendre dans la crypte, la visite débute par l'ancien réfectoire, où depuis 1876, on a rassemblé les portraits des 265 Papes successifs, depuis St Pierre jusqu'à notre ami Benoît XVI. De qualité plutôt moyenne, ces tableaux ont surtout le mérite du nombre et de la continuité.

Salle des Papes (5)

(Salle des Papes, portraits des Papes Léon X, Benoît XVI, Jean-Paul II et Jean-Paul Ier)



Nous passons devant un étrange machin dont je ne comprends d'abord pas l'utilité, me trouvant assez loin du guide. A la fin de la visite, je lui redemande de me préciser de quoi il s'agit : c'est en fait un véhicule d'incendie du début XIXe s., qui était tiré par des chevaux.

Véhicule d'incendie

(Véhicule d'incendie, début XIXe s.)



La descente se fait par un bel escalier et l'on arrive enfin dans la crypte, un espace assez réduit en fait, composée d'une salle en T, dont chacune des branches du T donne accès à une pièce secondaire. Mais un petit schéma vaut mieux que mes propos confus :

plan

(Plan de la crypte de Superga)



Comme indiqué, nous quittons donc le groupe et nous faisons la visite à notre rythme, en photographiant allègrement.

Crypte

(Crypte, vue d'ensemble depuis le bras droit du transept)



Du coup, notre visite a été un peu décousue et pour ne pas égarer le lecteur, je vais essayer d'en rendre compte de manière un peu plus méthodique.

Coupole de la crypte

(Crypte de Superga, Coupole)

 

Au centre de la salle principale, dite Salle des Rois, se trouve le grand sarcophage qui accueillait selon la tradition, chaque roi de Sardaigne lors de son décès. Celui-ci restait à cet endroit jusqu'au décès de son successeur, qui prenait alors la place. Cette tradition a cessé avec la mort du roi Charles-Albert en 1849, puisque ses successeurs, devenus Rois d'Italie, reposent à Rome au Panthéon.

Monument de Charles-Albert

(Tombeau de Charles-Albert de Savoie)

 

De part et d'autre de ce monument central, se trouvent deux monuments élevés à la gloire de deux de ses prédécesseurs, les rois Victor-Amédée II et Charles-Emmanuel III.

Victor-Amédée II est le fameux fondateur de la basilique, duc de Piémont, de Savoie et premier roi de Sardaigne. C'est à lui que l'on doit les transformations subies par sa capitale, Turin, au début du XVIIIe siècle et notamment l'emploi abondant des talents de Guarini et Juvarra. L'épitaphe royale est encadrée par les allégories de la Fortune et la Justice, tandis qu'elle est surmontée par la Gloire tenant le portrait du roi en médaillon.

Monument de Victor-Amédée II

(Monument de Victor-Amédée II)

 

A part ce monument, ce secteur n'est pas le plus fascinant. Il est plutôt vide et la grande salle qui se trouve derrière est celle "des enfants", où l'on mettait tous les membres de la famille royale mort à un âge peu avancé. Du coup, à part un certain nombre de sarcophages bien rangés dans leurs petites cases, il n'y a rien d'intéressant, ni sculpture ni quoi que ce soit de ce genre. L'enfant, même royal, mérite une attention assez faible, à plus forte raison s'il est mort et que son potentiel diplomatique et matrimonial s'est donc évanoui.

On notera juste au passage la grande qualité des éléments décoratifs mineurs en marbre (ou en stuc?), qui évoquent assez classiquement des éléments de "tempus fugit" et de "memento mori".

Sablier ailé

(Sablier ailé)

 

L'autre salle, où se trouve le monument de Charles-Emmanuel III, est plus intéressante que la précédente. Le monument lui-même est tout aussi élégant et allégorique que celui de son père Victor-Amédée II, mais il comporte à sa base un relief rappelant ses succès militaires des années 1740. 

Monument de Charles-Emmanuel III

(Monument de Charles-Emmanuel III)



A ses côtés, dans des sarcophages plus simples aux épitaphes elles-mêmes mourantes, reposent ses trois épouses, deux princesses allemandes plutôt mineures et Elisabeth-Thérèse de Lorraine, l'une des filles du duc Léopold et de la duchesse Elisabeth-Charlotte, qu'il épousa au début de l'année 1737, soit juste avant que le roi Stanislas ne prenne officiellement possession du duché de Lorraine. Cette princesse était donc la soeur de l'Empereur François Ier et belle-soeur de Marie-Thérèse d'Autriche.

Tombe d'Elisabeth-Thérèse de Lorraine, 3e femme de Charles-Emmanuel III

(Tombeau d'Elisabeth-Thérèse de Lorraine)

 

On trouve aussi quelques sarcophages où l'on a installé divers membres de la famille royale italienne décédés après l'abolition de la monarchie. Le plus récent est mort en 1990. Juste derrière, s'ouvre la Salle des Reines. Comme son nom l'indique, c'est là que repose les reines et certaines bénéficient d'un monument, toujours de belle qualité. Au nombre de trois, on admire celui de Marie-Adélaïde de Habsbourg-Lorraine, plutôt hiératique dans ses atours du XIXe s. et celui de Marie-Thérèse de Habsbourg-Toscane représentée dans une attitude très maternelle. Mais le plus élégant est sans doute celui de Maria Vittoria del Pozzo, épouse du prince Amadée, fils du roi d'Italie Victor-Emmanuel II et futur roi d'Espagne de 1870 à 1873.

Monument de la duchesse Marie-Victoire (3)

(Monument de Maria Vittoria del Pozzo)



Voilà qui conclut, plutôt avec satisfaction, notre découverte de Superga et de sa crypte royale. Nous ne regrettons finalement pas d'y être allé, ni nos quelques euros pour la visite. C'est un très bel endroit pour le paysage autant que pour la qualité de son architecture baroque et de sa sculpture de la première moitié du XIXe s. 

Décor de la crypte

(Vanité)

 

Cette montée à Superga, plutôt mal engagée vu les difficultés de la matinée pour atteindre la station de funiculaire, s'achève donc dans la joie. La redescente se fait dans un funiculaire tout aussi bondé. Bien que devant rester debouts, nous parvenons à nous installer à l'avant, avec vue imprenable sur la cabine (renseignement pris, le matériel roulant date de 1884!) et sur le trajet de retour. 

Funiculaire, descente (2)

(Funiculaire de Superga, descente)



Et en observant un peu en détail, l'on se rend compte que la Madone de Superga veille également sur le vénérable funiculaire...

Funiculaire, protégé par la Vierge

(Cabine du funiculaire) 

 

... le protégeant sans doute des accidents lorsque les gens qui montent croisent les gens qui descendent. 

Funiculaire, descente (4)

(Croisement de funiculaires)

 

Nous regagnons - cette fois sans difficulté - le centre-ville. Nous nous installons sur les marches de la cathédrale, le temps de manger un morceau de pizza acheté une poignée d'euros un peu plus loin. L'après-midi est déjà fort entamée et nous avons prévus encore plusieurs visites, à commencer par la Galleria Sabauda (Galerie Savoie). Mais ça, c'est pour l'article suivant.

Cathédrale (7)

(Cathédrale de Turin)

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