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Nouvelle Feuille
28 février 2013

Turin V : pas d'idée de titre

 Après cette visite matinale du Palais royal, nous partons déambuler quelques temps dans le marché qui se tient non loin de là, sur la Piazza della Republica. Si j'en crois mon Guide Vert, c'est le plus grand marché à ciel ouvert d'Europe. Peut-être... c'est en tout cas très grand, animé et coloré, et les produits sont globalement moins chers que chez nous.

Marché de la piazza della Republica

(Marché)

 

La place de la République sur laquelle se tient ce marché est par ailleurs encadrée par des halles où s'amoncellent les fromages, les charcuteries et les petits points de restauration sur le pouce. Le tout sous le regard bienveillant de la Sainte Vierge...

Dans le marché couvert

(Halles, Piazza della Republica)


Nous repartons de là avec des poivrons farcis et un kilo de pâtes, et nous dirigeons vers le dernier musée que nous aurons le temps de visiter : le Museo Civico d'Arte Antica, dans le Palais Madame. Il s'agit en fait d'un musée d'art contenant toutes les oeuvres peintes, sculptées, d'art décoratif qui ne sont pas issues des collections de la famille de Savoie, que l'on a vu à la Galerie Sabauda. Les 70 000 pièces de ce musée sont passionnantes et il y a de quoi y passer des heures (un peu plus de cinq heures en ce qui nous concerne).

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(Benedetto Buglioni, Annonciation, début du XVIe s.)



Les collections se déploient sur quatre niveaux : au sous-sol se trouvent les dépôts lapidaires antiques (peu) et médiévaux (beaucoup), le rez-de-chaussée et le premier étage forment un ensemble chronologique qui débute à l'époque gothique pour finir dans le baroque du XVIIIe s. tandis que les Arts décoratifs occupent tout le second étage. Une tour, appelée tour du trésor, et qui possède une ouverture sur chacun de ces étages, abrite dans ses murs ronds des pièces exceptionnelles considérées comme les pièces maîtresses du musée. Certes, ce qui y est présenté est de très grande qualité et il s'agit parfois de pièces majeures; pour d'autres étages, on a l'impression d'un cabinet de curiosités rassemblant les pièces qui rentraient péniblement dans le cadre du reste de la présentation.

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(Salle Staffarda, vue générale. Stalles et lutrin provenant de l'abbaye de Staffarda)



Bref. Dès les premières salles, le musée frappe fort avec une pièce aux superbes plafonds. Cette Salle Staffarda abrite une collection exceptionnelle de mobilier gothique en bois, dans un état de conservation quasi-parfait.

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(Ecole anversoise, Retable de la vie de la Vierge et de l'enfance du Christ, vers 1535)

 

Les éléments les plus impressionnants sont sans conteste les stalles sculptées qui fourmillent de détails. Elles proviennent de l'abbaye de Staffarda, l'un des grands ensembles monastiques du Piémont. 

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(Stalles de l'abbaye de Staffarda, détail)



La salle suivante, qui porte le nom des princes d'Acaia (une branche de la famille de Savoie), débute avec une série de sculptures en bois du Val d'Aoste, essentiellement des retables d'autel. Profitant de sa situation géographique privilégiée, le Val d'Aoste a développé au Moyen Âge de nombreux ateliers de sculptures, qui démontrent leur inspiration à la fois italienne et influencée par les écoles nordiques. La plupart ont conservé une belle polychromie.

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(Atelier du Maître de la Madone d'Oropa, retable d'autel avec l'histoire de Marie-Madeleine, 1295-1300) 



Une sorte d'exposition-parcours dans les collections sur le thème du "portrait dans l'art", nous amène notamment devant cet autoportrait de Macrino d'Alba, un des plus importants peintres piémontais de la Renaissance, qui s'est représenté avec les attributs de son art.

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(Macrino d'Alba, Autoportrait, 1495-1496)



Il n'y a cependant pas que des productions locales qui soient exposées. Quelques petits morceaux de bravoure de la sculpture allemande sont présentés, comme ce tableau en bois sculpté, qui est réalité la réutilisation d'un bas-relief qui a été réduit pour le mettre aux dimensions de l'encadrement représentant un arbre de Jessé travaillé en haut-relief. Le résultat, surprenant, ne manque pas de charme.

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(Allemagne du Sud et Pays rhénans, Annonciation et Arbre de Jessé, vers 1520)



On remarque aussi forcèment, au fond de la pièce, cette déploration du Christ en bois polychrome, attribué à Domenico Merzagora, dit le Maître de Santa Maria Maggiore.

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(Domenico Merzagora (?), Déploration du Christ, vers 1480)



Malgré la présentation assez bizarre du Christ, seulement relié au sol par un seul point et qui semble ainsi soit flotter dans l'air soit réaliser une posture de yoga particulièrement complexe, on est frappé par la qualité du travail sur l'expression de douleur exprimée par l'entourage du Christ, qui donne une impression très réaliste de tristesse inconsolable. 

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(Domenico Merzagora (?), Déploration du Christ, vers 1480, détail)

 

A cet étage, la fameuse "Tour des Trésors" abrite notamment plusieurs reliefs en marbre dûs à Agostino Busti. Tous proviennent du monument funéraire de Gaston de Foix-Nemours, général de Louis XII mort en 1512 au cours des campagnes dans le Milanais pendant la quatrième guerre d'Italie. Le monument en question, probablement inachevé, est depuis longtemps en morceaux; seul un dessin conservé au Victoria & Albert Museum permet d'avoir une idée de l'ensemble. Pour le reste, le gisant du Comte de Foix se trouve à Milan et c'est ici, à Turin, que sont conservé les reliefs qui illustrait les côtés du monument de scènes de batailles.

C'est encore une fois ce précieux Vasari qui nous donne des indications sur le monuments et sur les reliefs présentés à Turin : « en morceaux de marbre en lesquels sont dix histoires de petites illustrations, gravées avec beaucoup de diligence, de faits, batailles, victoires et conquêtes de tours par ce monsieur, enfin la mort et sa sépulture [...] et bien sûr c'est dommage que cette œuvre qui est digne d'être énumérée entre le plus splendides de l'art, soit inachevée et laissée par terre en bouts sans être murée en quelque endroit ; je ne m'émerveille pas que des figures aient été volées et puis vendues et posées en autres endroits. Pourtant il est vrai que bien peu d'humanité, ou plutôt pitié, se retrouve aujourd'hui entre les hommes, qu'à personne des nombreux qui furent bénéficiés et aimés par lui, jamais ait importé de la mémoire de Foix, ni de la bonté et excellence de l'œuvre » (Giorgio Vasari, Vite, Volume V)

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(Agostino Busti, dit Bambaia, Relief avec scène de bataille, 1515-1523)



On peut également voir dans cette tour un très beau tryptique en os de l'atelier des Embriachi ainsi que ce portrait d'homme par Antonello da Messina, l'un des plus importants peintres de la Renaissance italienne, qui témoigne d'une importante influence flamande, notamment celle de Van Eyck.

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(Antonello da Messina, Portrait d'homme, 1476)



La visite se poursuit avec l'autre moitié de la salle Acaia, qui délaisse plus la sculpture au profit de la peinture, tout en avançant un peu plus au coeur du XVIe s. italien. L'essentiel est composé de peinture religieuse, pour la plupart provenant de commandes d'églises ou de monastères du Piémont, comme ce polyptique commandé pour l'autel d'une des chapelles de la cathédrale d'Asti.

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(Pietro Grammorseo et Gandolfino da Roreto, Polyptique : Vierge à l'enfant, Crucifixion, saints et donatrice, vers 1525)

 

On sera par contre beaucoup plus perplexe sur ce type de muséographie certes originale mais franchement pénible pour le spectateur qui ne voit que les reflets de l'éclairage, se trouve trop bas par rapport à l'oeuvre (ce qui est logique, car avec cette installation du genre "vente d'affiches", la tentation de toucher serait grande pour le couillon moyen). Bref, ça partait sûrement d'une double bonne idée : montrer plus d'oeuvres dans un espace moindre et permettre de voir les deux côtés du tableau. Au final, c'est raté.

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(Muséographie discutable)



Le musée abrite une vaste et belle collection de peintures de Defendente Ferrari, artiste piémontais majeur et influent localement. Son style se situe quelque part entre les influences gothiques à ses débuts et le maniérisme qui s'épanouit dans ses travaux plus tardifs.

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(Defendente Ferrari, Présentation au Temple, vers 1525-1530)



Un autre Ferrari, Gaudenzio est présent avec des oeuvres de jeunesse qui constituent des brouillons de son travail à venir. Bien que d'une qualité d'exécution encore assez fruste, ces petites prédelles charment par leur aspect naïf les rapprochant presque d'une facture populaire.

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(Gaudenzio Ferrari, Prédelle, Adoration des Mages, vers 1505)



Parfois, on se perd un peu dans la chronologie, avec une présentation qui doit obéir à une certaine logique; néanmoins, ignorant laquelle, on est surpris de passer d'oeuvres du milieu du XVIe s. à des tableaux qui ont presque un siècle de moins, comme celui du vénition Vivarini, où l'on retrouve le fond doré, les groupes d'anges roses, verts, blancs, etc...

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(Antonio Vivarini, Couronnement de la Vierge, vers 1450)



On remarquera aussi ce Saint Jérôme de Gerolamo Giovenone, un élève de Defendente Ferrari et suiveur de Gaudenzio Ferrari cités plus haut.

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(Gerolamo Giovenone, Saint Jérôme en prière, début XVIe s.)



Les représentations de Saint Jérôme sont souvent parmi les plus intéressantes; ici, ce n'est pas tant le vieux Père de l'Eglise qui attire l'attention que son lion, qui regarde son maître en prière d'un oeil très expressif : à la fois doux, aimant et triste. Comme une sorte de bon gros chat, sa présence adoucit un personnage qui généralement offre un aspect bien plus torturé.

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(Gerolamo Giovenone, Saint Jérôme en prière, début XVIe s, détail)

 

A de rares occasions on sort de l'art sacré pour des sujets beaucoup plus profanes et hauts en couleurs, comme cette partie de jeu d'échecs par Giulio Campi. J'en ignore la symbolique exacte. On y voit une dame demander conseil à un bouffon, s'agit-il d'une métaphore du jeu? avec la pièce la plus puissante qui demanderait son aide au fou? Etrange en tout cas. Si quelqu'un en sait plus sur cette iconographie étrange, qu'il n'hésite pas à nous en dire plus en commentaire. 

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(Giulio Campi, Le jeu d'échecs, vers 1530-1532)



S'enchainent ensuite deux salles plus petites, l'une consacrée aux armoiries de différentes familles nobles du Piémont et de Savoie, l'autre consacrée aux terres cuites. La première, la Salle Stemmi, est la plus intéressante, avec notamment sa superbe cheminée armoriée.

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(Salla Stemmi)



Les terres cuites, qui proviennent de l'atelier de Luca della Robia, représentent des éléments décoratifs issus de l'Antiquité. Quant à certains blasons, le moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils surprennent.

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(Blason, famille indéterminée)

 

Le parcours se fait dans des pièces moins bien expliquées mais avec un superbe plafond peint et à caissons.

Plafond, salle Stemmi

(Plafond, Renaissance)



Ces pièces donnent ensuite sur une partie de l'ancienne fortification romaine dans laquelle prend le palais, qui en a intégré des pans entiers dans ses murs. Cela donne un aspect assez étonnant au lieu il faut bien le dire.

Restes du mur romain, pris dans Palais Madame (2)

(Eléments de la muraille romaine, Porta Fibellona)



C'est à cet endroit que débute l'escalier qui nous mène au sous-sol, vers les salles abritant les collections lapidaires médiévales. Quelques rares éléments d'époque romaine introduisent le parcours, qui se déroule chronologiquement du IXe s. à la fin du Moyen Âge. 

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(Fragment de corniche, première moitié du IXe s., marbre, provenant de l'abbaye de Novalaise)



La plupart des éléments présentés ici proviennent d'établissements religieux locaux existant ou ayant existé. Cette collection rassemble des fragments de chapiteaux, de chancels et même une très belle mosaïque du XIIe s. qui se trouvait dans la cathédrale d'Acqui Terme, une modeste ville de la région.

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(Mosaïque, vers 1120-1130)



A côté de toutes ces productions locales de grande qualité, on trouve, au détour d'un cartel, ce médaillon de vitrail qui provient de l'abbaye de Saint Denis, à côté de Paris! Aucune explication sur la raison pour cette présence unique et incongrue n'est donnée, à part la date d'acquisition (1888), ni sur cette bizarre iconographie d'un triple couronnement du Christ. 

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(Maître verrier d'Île de France, Vitrail, Triple couronnement, vers 1145. Restauré par Alfred Gérente vers 1850)

 

Parmi les chapiteaux romans historiés qui sont présentés, un grand nombre est de facture très provinciale, présentant un canon curieux, avec ces personnages aux très grands yeux bien ouverts, y compris le serpent tentateur qui prend un aspect bien inoffensif et presque cartoonesque.

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(Maître des chapiteaux de Saint-Ours, Le pêché originel, vers 1132, provenant de la Collégiale St Ours d'Aoste)



Le même genre de remarque fonctionne pour toute la sculpture romane du Piémont. Je ne vais pas multiplier les exemples mais juste vous donner à voir tout de même ce magnifique Saint Pierre qui accueille les fidèles au Paradis. Outre le canon vraiment étrange des personnages (dont pas un ne se présente de la même façon au spectateur : St Pierre est de face, le fidèle à gauche est de profil et celui du milieu cherche vaguement à se montrer de trois-quarts), on remarquera la petite clef, semblable à l'un de ces items que l'on doit récupérer dans les jeux vidéo, que le sculpteur a ajouté pour bien caractériser le saint qu'il avait représenté. Mais ne sachant le placer dans les mains déjà occupées du saint, il l'a tout simplement ajouté à côté de sa tête.

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(Sculpteur piémontais anonyme, Chapiteau, Saint Pierre accueillant les fidèles à la porte du Paradis, vers 1130-1140)



C'est à cet étage que la Tour des Trésors présentent son rassemblement le plus hétéroclite : coupes perses en argent, petites sculptures aztèques en pierre, orfévrerie Chimù, argenterie de l'Antiquité tardive et pièces d'orfévrerie ostrogothique. 

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(Fibules, Orfévrerie ostrogothique d'Italie, début du VIe s.)



Le reste des salles visitables au sous-sol est composée d'un vaste espace recueillant les dépôts des arts du feu, essentiellement de la céramique. Ce sont les réserves des oeuvres d'art décoratifs du deuxième étage qui sont présentées de façon tournante. Autant dire que ça paraît bordélique, mais l'aspect "vrac" de la présentation est largement atténué par le plaisir de visiter des réserves. Il est vrai aussi qu'à part nous, personne ne s'y attarde.

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(Dépôts de céramiques)



Reste toujours la légère frustration d'apercevoir des objets intéressants mais qui, forcèment, sont montrés de façon brute, sans cartel ni rien pour se renseigner.

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(Veilleuses en céramique, Italie ou France, XIXe s.)

 

Cette salle des dépôts communiquait au XVe s. avec les douves du château, aujourd'hui réaménagées en jardin "médiéval". 

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(Jardins du Palais Madame)



Il est extrémement agréable de détendre nos pauvres pattes fatiguées dans ce jardins très bien entretenu qui encadre deux côtés du palais. D'aspect très "jardins de curé", il a l'avantage de ne pas comporter que des simples et autres plantes médicinales, mais également des pastèques, des coings, un figuier, etc.

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(Jardins du Palais Madame)



Enfin, excellente chose, l'aspect pédagogique n'est pas oublié, avec par exemple ce sympathique dispositif d'arrosage archaïque, appelé chantepleure. Un petit pot renflé est garni d'une embouchure à son sommet et de petits trous à sa base. On le met dans le bassin, il se remplit d'eau. Il suffit ensuite de le récupérer en prenant soin de placer son pouce sur l'embouchure. L'eau ne tombe pas, et on peut la transporter jusqu'aux plantes que l'on arrose ensuite en ôtant ou en remettant son doigt. Simple et très efficace.

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(Chantepleure pédagogique)



Histoire de prolonger un peu la petite pause du jardin, nous montons vers le premier étage, histoire de manger un morceau dans la cafétéria toute vitrée qui donne sur l'escalier de Juvarra. Au-delà de cet escalier, juste en face, on aperçoit la salle équivalente de l'autre aile, qui a été - et c'est une idée géniale - aménagée en "salle relax" avec fauteuil et admiration de la vue sur la ville pour le délassement du visiteur. On est accompagné pour notre pause déjeuner par les halètements et les touffes de poils de Céline, un chien de race briarde installé là sur un écran par l'artiste et metteur en scène Robert Wilson. Nous reviendrons un peu plus loin sur l'exposition que le musée lui consacre (à Wilson, pas au chien Céline).

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(Robert Wilson, Céline, 2004)



Après ce petit remontant, nous enchaînons avec les superbes salles du premier étage du palais. Les deux premières salles, dites salle des fleurs et cabinet rond, abritent notamment une très jolie collection de miniatures françaises des XVIIIe et XIXe s. (Isabey et Jacques Augustin notamment), une collection de portrait exposés de façon difficilement lisible et quelques bijoux et menus objets d'art.

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(Francesco Tanadei, parure : collier, broche, bracelet et boucles d'oreilles, ivoire sculpté, début XIXe s.)



L'ensemble de cet étage est composé par les appartements des deux "Madame Royale" qui ont laissé ce nom au palais. C'est donc dans les diverses salles des gardes, antichambre et dans la vaste salle des fêtes que sont exposées les collections baroques du musée.

 

Dans les appartements proprement dits, c'est toute une collection de tableaux commandés à des artistes prestigieux par les ducs aux XVIIe et XVIIIe s. qui est exposée.

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(Orazio Gentileschi, Saint Jérôme, vers 1611)



Tout irait bien si on n'avait pas installé dans ces salles l'exposition de vidéos de Robert Wilson. Autant le chien briard tout dans la cafétéria était amusant, autant là... on reste perplexe. Que l'on "confronte" de l'art contemporain à de l'ancien qui n'a rien à voir, pourquoi pas, c'est une déviance des musées actuels mais admettons, c'est la mode. Mais que cet art soit aussi sonore et se fasse entendre dans toute la salle, perturbant plus la visite que ne le ferait un enfant colérique ou un troupeau de touristes japonais, c'est vraiment une grosse erreur de la part des conservateurs du lieu.

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(Une adoration des bergers et un portrait bruyant de Johnny Depp habillé avec de la moute)



On remarquera malgré tout dans ces salles une curieuse statue en bois du milieu du XVIe s. Semblable à un mannequin de boutique de vêtements, mais poudré et avec des bas. On ignore la destination exacte de ces statues en bois dont Nero Alberti da Sansepolcro s'était fait une spécialité dans ses ateliers romains et toscans. L'hypothèse la plus probable est cependant un travail exécuté pour des fêtes patronales et autres processions religieuses. 

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(Nero Alberti da Sansepolcro, Carubina di Mence, 1559)


Au-delà des questions irritantes de confort de visite, on peut se réjouir que ce premier étage ne soit pas qu'une galerie de tableaux mais qu'il présente aussi une superbe collection d'objets d'arts, et particulièrement d'ébénisterie, qui est présentée dans la salle des fêtes du palais.

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(Imitateur d'André-Charles Boulle, Bureau, fin XVIIe s.)

 

Parmi les pièces les plus impressionnantes de cette salle qui en compte beaucoup, il y a tout un groupe de Simon Troger en ivoire, bois et bronze, autour de l'histoire de Salomon et un autre sur le sacrifice d'Isaac. C'est très baroque, les compositions semblent parfois en équilibre précaire et l'utilisation d'ivoire et de bois sombre permet un rendu bicolore qui attire immédiatement l'oeil. C'est vraiment un travail exceptionnel et l'on s'étonne de ne pas trouver autre chose sur le net que des cotes de marché de l'art concernant cet artiste qui tint visiblement pendant 40 ans un florissant atelier à Monaco et exportait sa production dans toutes les cours d'Europe. 

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(Simon Troger, Le sacrifice d'Isaac, 1741)

 

Marqueterie, ébénisterie, miroiterie... la plupart des métiers d'art recherchés par les princes d'Europe sont très bien représentés ici, avec le plus souvent des objets très chargés en éléments baroques. Parmi les pièces plus inattendues, on se réjouit de voir ce petit carrosse pour enfant, que l'on devait faire tirer par des chiens ou des chèvres.

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(Manufacture turinoise, Carrosse de jardin pour enfants, fin du XVIIIe s.)

 

Les quelques tableaux accrochés dans cette salle illustrent des paysages ou des scènes de vie de Turin ou ses environs. On reconnaît avec plaisir les lieux arpentés les jours précédents, qui ont assez peu changé depuis le XVIIIe s. - du moins en ce qui concerne la Piazza San Carlo où se trouve notre hôtel, mais où ne se tient plus un marché aussi animé.

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(Giovanni Michele Graneri, Piazza San Carlo, vers 1750)

 

Attenante à cette salle des fêtes - et faisant le lien avec la Tour des Trésors, se trouve une salle dite des Quatre Saisons, qui présente assez peu d'objets et d'oeuvres d'art, mais qui surprend par la richesse décorative qu'il déploie, en particulier sur le plafond stuqué et peint.

Salle des quatre saisons, plafond

(Plafond, Salle des quatre saisons)

 

La tour des Trésors présente ici de petits objets d'arts du type de ce que l'on pouvait exposer dans des cabinets de curiosité, remarquables à la fois par la qualité de leur exécution et par la rareté et/ou l'exotisme du matériau travaillé : corail rouge, ivoire, etc... ou encore l'origine lointaine du lieu de fabrication : Proche-Orient, Afrique noire, Asie...

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(Royaume du Bénin (Nigéria actuel), Cuillère, XVIe s.)

 

Comme la salle des quatre saisons, les suivantes frappent moins par les oeuvres qui y sont exposées que par la qualité et la richesse des décors, qui sont une véritable leçon sur la décoration des grandes demeures au XVIIIe siècle. Ici, la plupart des fresques ont été réalisées par Bartolomeo Guidobono au début du XVIIIe s.

Chambre de Madame Royale (2)

(Chambre de Madame Royale, décor de Guidobono : le triomphe de Madame Royale, 1708-1715)

 

Quelques petites salles et salons se succèdent ensuite, toujours dans un goût XVIIIe s. très sûr, avec notamment un cabinet chinois et un autre peint de motifs d'animaux et de plantes exotiques.

Petit salon chinois

(Chambre neuve)

 

C'est dans ces espaces que se déroule une exposition essentiellement bibliophile consacrée à Dante : Affiches, illustrations d'ouvrages depuis les plus anciennes gravures jusqu'aux travaux de Gustave Doré ou Salvador Dali, éditions récentes ou anciennes, et même comics inspirés par son oeuvre... tout un monde de "papiers" consacrés au poète est exposé. Il s'agit de la collection de Livio Ambrogio, un collectionneur turinois fou de Dante, qui a passé sa vie à collectionner tout ce qui concernait l'auteur de la Divine Comédie. 

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(Galileo Chini, Affiche pour le sixième centenaire de la mort de Dante, 1921)

 

Toutes ces salles évoquées au premier étage forment en fait une sorte de vaste couloir donnant sur une grande salle dite "du Sénat" sur laquelle chaque autre pièce donne. Un peu comme s'il s'agissait de l'atrium d'une villa romaine. Il s'agit en fait d'une ancienne cour du château médiéval, couverte au XVIIe s. Elle a reçu sa décoration actuelle, à la gloire de la dynastie savoyarde, au XVIIIe s. mais surtout, elle doit son nom à la réunion du Sénat qui s'y tint en mai 1848 et qui confirma l'engagement du royaume de Piémont-Sardaigne dans l'unification de la péninsule italienne.

Salle du Sénat (2)

(Salle du Sénat)

 

Le vaste espace de la salle sert aujourd'hui de hall d'exposition. En l'occurence ce jour-là, la suite de l'exposition Robert Wilson, toujours à base de vidéos plus ou moins bruyantes, souvent ludiques. Si quelqu'un sait me dire ce qu'est le bizarre animal ci-dessous...

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(Installation vidéo de Robert Wilson)

 

Le second étage, consacré aux arts décoratifs, est organisé simplement : trois très grandes salles, trois thématiques : la verrerie et les ivoires, les céramiques, les tissus. Clair net et précis. Sur le papier... car une fois dans les salles, on se trouve face à de très belles vitrines en bois où s'accumulent des quantités d'objets d'art, classés comme on a pu, ici par matériau, ici par époque, ici par provenance géographique. C'est très intéressant et la qualité des objets mérite que l'on s'y attarde, mais hélas, après une visite déjà longue du reste du musée, la fatigue est bien là et ce genre de présentation un peu datée en rajoute une couche.

Petits bronzes

(Vitrine de petits bronzes)

 

Je vais pour cette partie indiquer seulement quelques éléments majeurs. Les arts du verre (qui vont de l'antiquité romaine au XIXe s.) sont bien entendus dominés par la très grande qualité, la légéreté et les coloris vifs de la verrerie vénitienne, particulièrement la production issue des célèbres ateliers de Murano. Où l'on se rend compte que le style des petites bestioles en verre qu'on y vend aux nombreux touristes ne date pas d'hier.

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(Murano, Coupe, fin XVIIe s.)

 

Les ivoires sont très beaux et proviennent d'à peu près partout, aussi bien de l'atelier des Embriachi déjà évoqué que des productions coloniales importées par le Portugal.

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(Portugal, Crucifixion, milieu XVIIe s.)

 

Ou que ces ivoires soient utilitaires, comme ces superbes petits peigne du XIVe s. dans un état de conservation parfait, ce qui est assez rare pour de tels objets de toilettes; les exemplaires présentés dans les musées sont souvent édentés, cassés, avec des manques ou des accidents. Ces deux pièces sont remarquables et n'ont pas dû être beaucoup utilisées pour démêler des cheveux.

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(Lombardie, Peigne avec scène profane, vers 1370-1380 - Peigne avec portrait de guerrier, première moitié du XVe s.)

 

Au passage, je signale les superbes vues que le musée offre sur la ville de Turin, en particulier sur le Mole Antonelliana et les Alpes.

Mole Antonelliana vu depuis le musée

(Vue depuis le deuxième étage du Palais Madame)

 

La vaste salle consacrée aux collections de céramique de toute l'Italie et au-delà, rangée par lieu de production, en plutôt intéressante et l'on y aperçoit parfois des objets que l'on a pas dû trop savoir où mettre ailleurs, comme cet adorable travail de serrurerie anglaise, dont il existe un autre modèle au Victoria & Albert à Londres:

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(Angleterre, Serrure, vers 1680)

 

Je ne prends pas le temps de m'attarder sur chacune des productions de céramiques présentée. Certaines ont le charme des productions baroque qui cherchent l'exotique (goût chinois) ou le bizarre (portraits de nains difformes en porcelaine) et la fantaisie parfois régionaliste (biscuits représentant des saynètes napolitaines). Ces collections ne sont pas uniquement composées d'oeuvres des XVIIe et XVIIIe s. Le XIXe s., avec notamment des productions au service de la monarchie piémontaise puis italienne, ou encore le XXe s. avec des oeuvres aux traits plus épurés tirant volontiers vers l'art déco, sont bien représentés.

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(Manufacture Claude Innocent Du Pâquier, Vienne, Horloge, 1725)

 

La salle des tissus, faiblement éclairée - ce qui est normal pour la conservation de pièces très sensibles et fragiles - ne présente pas de collection permanente, mais des accrochages thématiques tournants. Ce jour-là, c'était la dentelle qui était à l'honneur. De belles pièces mais une présentation parfois peu convaincante car brouillonne, ce qui est regrettable car il y avait de bonne idée, notamment au niveau de la médiation.

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(Taie d'oreiller ou de coussin, Allemagne, début XVIIe s.)

 

Alors que les lieux sont sur le point de fermer, nous nous autorisons une rapide montée dans les tours qui dominent le palais, pour un petit coup d'oeil sur la ville, de nuit.

Depuis la terrasse du palais (2)

(C'est beau Turin la nuit)

 

Autant le dire, nous sommes parfaitement crevés après cette longue journée. On fait donc quelques achats indispensables, on admire les vitrines des vendeurs de chocolat, panettone, et autres délices sucrés.

Chocolat!

(Chocolat au lait, chocolat noir, gianduja)

 


Tout cela est très bon et très beau à la fois, que demander de plus?

Panettone

(Panettone, confiseries)

 

Les boutiques de Turin sont parfois... originales. Certes, on est loin de la folie douce des magasins anglais (en particulier à Londres) mais celui-ci, qui présentait tout son ameublement et objets quotidiens couverts de maille tricotée n'était tout de même pas mal.

Théière tricot

(La théière avec son petit pull, c'est le top de la tendance!)

 

Nous notons aussi après le repas que la ville a déjà, en ce début novembre, installé ses décorations de Noël. Il y a bien, dans certaines rues, des étoiles, des flocons et autres choses de ce genre. Et puis il y a, le long de cette rue interminable, une sorte de poème ou de début d'un texte en tout cas, avec quelques mots suspendus, qui incitent à descendre la rue pour lire les mots suivants... Recherche fait, il s'agit d'un texte de l'auteur italien pour enfants Guido Quarzo.

Décorations de Noël (2)

(La città era piena di rumore, etc, etc...)

 

Dernière nuit à l'hôtel. On paie, on nous garde nos bagages, nous prenons un petit-déjeuner pour la dernière fois dans un des cafés historiques de la ville. Ou nous oublions au passage notre petit sac à dos, ce qui me vaudra une course à la Assassin's Creed dans la ville pour rejoindre à toutes jambes le café où - bonheur - on nous avait mis de côté notre sac. Et oui, à la Assassin's Creed, tout à fait, j'ai couru sur les toits de la ville pour gagner du temps. Et si vous ne me croyez pas, prouvez-moi le contraire!

Capuccino

(Un dernier cappuccino)

 

Alors que notre train est à 11h00 du matin, nous n'avons pas le temps de faire une quelconque visite et décidons de simplement déambuler ce dimanche matin dans la ville. Lorsque, sur la place du château, nous tombons sur une foule de militaires en grand apparat.

Cérémonies de commémoration du 4 novembre

(Cérémonies militaires)

 

Il s'agit en fait des cérémonies du 4 novembre, un important jour de célébration de l'armistice de 1918 (qui a été conclu pour l'Italie avec l'Autriche-Hongrie quelques jours avant celui entre France et Allemagne). Mais ce "jour des morts" est aussi le jour de l'unité du pays, autant dire que son importance est plutôt énorme, surtout à Turin, ville-phare de l'unification italienne.

Nous restons quelques temps à écouter les discours, la musique. Nous devons hélas partir après la levée des couleurs, et nous en retourner vers nos pénates parisiennes.

Levée des couleurs (2)

(Levée des couleurs)

 

Hum... après cinq articles et un très long week-end sur place, que retenir de Turin? La qualité et la richesse des musées, la beauté classique de la ville, le baroque omniprésent, les incroyables témoignages d'art populaire dans certaines églises, la douceur de vivre dans les cafés historiques de la ville... J'espère que mes très longs (et très en retard) compte-rendus auront pu vous donner envie de découvrir cette ville d'Italie qui se fait généralement plutôt discrète sur les guides de tourisme.

 

Promis, on quitte enfin l'Italie dans la prochaine note, et on rattrape l'affreux retard pris par ce blog.

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